De notre point de vue, l’intérêt majeur de ces travaux, - qui engendrent un phénomène d’acculturation technique progressive - est de permettre aux différents publics visés de développer de nouvelles représentations de la technologie, d’une part, et de l’autre, de relever les contradictions, les difficultés et les alternatives possibles en matière de choix technologiques, organisationnels et sociaux.
C’est probablement par la recherche des modalités adaptées pour favoriser la concertation sociale sur les choix technologiques et en déployant une réflexion pour construire un discours critique sur les choix technologiques ou politiques d’introduction des technologies que l’émergence d’un contre-pouvoir, notamment face à l’offre technologique, est facilitée. En ouvrant cette voie qui repose donc sur une culture de l’interrogation et du questionnement, nous nous apercevons en fait que ces groupes, plus ou moins constitués, ou ces individus, plus ou moins organisés, ont tenu un rôle social que la société ne reconnaît pas forcément, mais qui remplit une fonction de médiation dans les relations sociales au sein des organisations, indispensable selon nous face à la complexité et à la rapidité du changement149.
Dès lors, il nous a semblé intéressant de prolonger cette réflexion à propos du contexte que nous prenons en charge et d’envisager la forme sous laquelle cette médiation150 de type technico-culturelle pourrait réapparaître dans les milieux où la diffusion ne s’opère pas par capillarité. Cette question est d’autant plus légitime que certains organismes ou équipes de recherche ont constaté que le nombre de ces médiateurs sociaux avait fondu comme neige au soleil, cependant que l’innovation n’avait pas faibli. Une explication avait alors germé, selon laquelle ces médiateurs étaient peut-être devenus des entrepreneurs et non plus des militants, supposant ainsi une évolution radicale des formes de l’action sociale. Au-delà de l’ambivalence de cette thèse (intéressante parce qu’elle met l’accent sur un phénomène social important dans la diffusion des T.I.C., mais dangereuse parce qu’elle occasionne un traitement caricatural de la figure du médiateur), cela nous conduit alors à formuler l’hypothèse suivante :
De nouvelles formes de médiation apparaissent dans les milieux ruraux, non pas parce qu’émergeraient de nouvelles races de médiateurs151, mais simplement parce que les significations sociales attachées à la société informationnelle, pour ces populations, conduisent à imaginer de nouvelles formes de problématisation des usages capables de mobiliser les utilisateurs potentiels, assurant ainsi le processus de diffusion de l’innovation.
Une enquête152 avait permis de montrer que dès qu’un engagement des usagers à un projet collectif était demandé, sans s’appuyer sur des réponses à des demandes individuelles mais en conditionnant ces réponses à une aventure collective, des phénomènes de fuite se manifestaient. La mort lente des projets était alors reconnue sans constat de décès. Tout l’enjeu de notre recherche consiste justement à déterminer dans quelle mesure une nouvelle forme de médiation peut entraîner le processus de diffusion en apportant une réponse à une demande cette fois-ci collective153.
Cette approche de la médiation correspond tout à fait aux logiques sociales que décrivent M.F. Kouloumdjian et L. Busato dans leur ouvrage sur les usages de l’audiocassette au Brésil. Les auteurs rappellent en effet la nécessité d’instaurer une triangulation individu-environnement social-médiateur à la place d’une relation individu-monde extérieur bloquée (Busato, L., Kouloumdjian M-F., p15, 1987)154 en montrant que le groupe est un espace fondateur privilégié d’une prise de conscience d’abord collective puis individuelle. Ces auteurs insistent sur le fait qu’il ne suffit pas de proposer la technologie pour que se fasse automatiquement le vide des acquis antérieurs, ni même, dans la meilleure hypothèse, la synthèse de l’ancien et du nouveau : le communicateur est bien celui qui introduit l’outil médiatique, le fait connaître, l’utilise le premier, en maîtrise l’utilisation et le propose pour un projet plus ou moins explicite à une collectivité.
L’Histoire semble indiquer que, plus les innovateurs, les producteurs et les utilisateurs entretiennent des relations étroites, plus la société se transforme rapidement, et plus les conditions sociales rétro-agissent positivement sur les conditions générales d’une poursuite et d’une diffusion de l’innovation. Dans son ouvrage sur la Société en réseau, M. Castells n’utilise pas forcément le terme de médiation mais insiste très clairement sur cette dimension.
Depuis quelques années, le concept de médiation tend à devenir un concept « fourre-tout ». M. Pelletier note dans sa préface à l’ouvrage intitulé « Médiations dans la ville, dossiers d’experts », que « ce n’est jamais par hasard si un concept, à l’origine défini par sa singularité, se banalise et se trouve utilisé à tout propos. Cela signifie que ce concept, à tout le moins, répond à un besoin ». En ce qui nous concerne, il ne s’agit pas effectivement de sacrifier à une mode, mais au contraire d’utiliser un concept qui permet de comprendre certaines énigmes théoriques et pratiques qui, sans cette aide, resteraient bien obscures.
Il n’y a pas de nouvelles races, mais il semble qu’il s’agisse d’une catégorie sociale montante (Miège B., p163, 1995). Voir Miège B., (1995), « L’espace public : perpétué, élargi et fragmenté », L’espace public et l’emprise de la communication, ellug, Grenoble.
Mallein P., Toussaint Y., (1987), « Les processus de médiation en actes dans la diffusion de l’usage des T.I.C. », rapport de recherche, pug.
L’idée d’intérêt collectif, sur laquelle nous reviendrons, est bien sûr associée ici à celle de développement local et de défense d’un pays ou d’un territoire : tout l’intérêt consiste à présenter les télé-activités comme l’outil de ce développement, auquel la population adhère. Une fois amorcé, le processus de diffusion est lancé.
Busato L., Kouloumdjian M.F., (1987), « L’audiocassette, voix de résistance au Brésil », ellug, Grenoble.