2.1. La nécessité d’une coupure épistémologique d’avec le monde évident

Nous avons donc participé à toutes les réunions que le groupe a organisées, quasiment depuis son origine. Notre rôle, souhaité et souhaitable de notre point de vue, était celui de l’observateur. Cependant, compte tenu du savoir que nous avions déjà accumulé dans le domaine d’action du groupe étudié, nous avons très vite été invité à prendre part aux réunions en tant qu’acteur capable d’alimenter la réflexion dont le groupe se voulait porteur.

Or, ce changement de position ne peut être ignoré d’un point de vue méthodologique. En effet, la principale difficulté tenait au fait qu’il fallait articuler ces deux dimensions simultanément, c’est-à-dire apporter son opinion sur ce qui était dit tout en continuant d’observer les échanges entre les uns et les autres, et ceci en sachant distinguer ce qui relevait dans les réactions des autres de notre implication de chercheur et ce qui revenait à l’objet lui-même. En d’autres termes, jusqu’à quel point pouvions-nous déterminer si le simple fait de notre présence suffisait à influencer la nature des réunions en terme de forme et de contenu, ou si nous étions effectivement perçu en tant que participant « lambda » dont la caractéristique était d’être chercheur, comme d’autres étaient chefs d’entreprises ou chargés de mission ?

En effet, le chercheur doit pouvoir se ménager une position de recul et de distance critique lui permettant de rompre avec la réalité sensible, avec les catégories du sens commun et d’enlever aux données ce caractère d’évidence qu’elles revêtent souvent aux yeux des autres participants. C’est ce que nous avons essayé de faire et nous avons donc choisi de ne pas considérer notre participation, dans un premier temps, comme une source d’informations à mettre sur le même plan que les entretiens menés et les compte-rendus de réunions. Autant ces derniers ont fait l’objet d’une collecte très formelle, autant notre participation, bien que reconnue, a permis de nouer des échanges très informels difficilement exploitables sur du court terme mais ô combien éclairants au moment de l’analyse des résultats. Il nous a semblé important de ne pas confondre les deux. En revanche, cela va de soi, cette intégration a considérablement facilité la collecte d’information en premier lieu et leur analyse dans un second temps, y compris pour le suivi dynamique du processus observé.