3.2. La sociologie de la traduction comme méthode

Si nous n’avons pas retenu, dans notre analyse, certains des choix épistémologiques des sociologues des sciences, à commencer par celui du principe de symétrie généralisée entre acteurs humains et non humains185, il reste que ce courant de la sociologie nous offre des possibilités d’appréhension de notre objet riches d’enseignement. La sociologie de la traduction et la théorie de l’acteur-réseau sont différentes d’une explication par les causes. Elles décrivent des connexions, des associations, des rencontres contingentes, suivent des enchaînements de traduction et d’opportunités.

Dans une logique d’espace, si A et B sont associés et A et C le sont également, on supposera alors que B et C sont proches. Dans l’analyse que propose la théorie de l’acteur-réseau, on refuse une telle conclusion : le chemin B-C n’existe pas nécessairement186 (Vinck D., p208-209, 1995). Pour cette logique, l’espace est toujours local, seul le chemin compte. Elle saisit alors des relations entre des espaces hétérogènes et circule dans des univers disjoints dont la cohésion vient des chemins et traductions qui mènent de l’un à l’autre. L’importance d’un élément, d’un acteur identifié dans le processus de diffusion n’est pas liée seulement à sa position dans l’espace187 mais au poids de ses relations. Ceci est extrêmement important pour tenter de rendre compte d’un processus de diffusion puisque cela conduit à saisir des relations qui échapperaient certainement à l’évidence. La théorie de l’acteur-réseau met donc l’accent sur des interactions pour identifier ou mettre à jour des acteurs : elle rend compte de leur transformation et de leur construction. Plus directement, trois raisons majeures, liées à la nature de notre objet d’étude nous poussent à privilégier cette méthode.

Tout d’abord, en cherchant à comprendre comment un champ est structuré, investi par des réseaux de relations, M. Callon et B. Latour nous donnent a posteriori les clefs qui permettent de passer d’une étape à l’autre, d’alliance en alliance. Ils distinguent en effet, tels des généraux, une série de phases et de règles dont l’enchaînement logique, voire mécanique, est censé porter le traducteur au terme de son chemin. De plus, cette approche présente, selon nous, un atout considérable qui est d’étaler les différents éléments de la diffusion sans les hiérarchiser.

Enfin, si M. Callon et B. Latour ont souvent été critiqués en raison de leur positionnement réducteur, puisqu’ils ne suivent que le traducteur de faits, ce choix est au contraire ce qui fait l’originalité de leur méthode et justifie notre choix. Nous n’avons pas cherché à appréhender tout un processus mais à observer comment un instigateur, qu’il s’appelle « traducteur » ou « médiateur » peut impulser et nourrir le mouvement qui servira à assurer la diffusion d’une innovation. Choisir son point de vue ne signifie pas que l’on ignore le reste du contexte (y compris les acteurs) dans lequel il évolue : c’est simplement adopter un angle d’observation où il est plus question de remonter à l’origine d’un processus que d’en observer le déroulement a posteriori.

Notes
185.

Voir le chapitre 3 pour une présentation du concept de traduction.

186.

Vinck D., (1995), « Sociologie des sciences », Armand Colin, Paris.

187.

Nous faisons ici une petite infidélité à l’approche de la traduction qui postule au contraire que l’importance d’un acteur n’est absolument pas liée à sa position dans l’espace. En ce qui concerne notre objet d’étude, il aurait été impensable d’ignorer cette dimension.