2.2.2. Un groupe humain : dimension collective

L’image du collectif que nous avions vue apparaître derrière la technologie constitue donc le deuxième cadre de référence utilisé dans le discours pour qualifier le groupe et délimiter son action. Grimpi se retrouve ainsi présenté tour à tour comme une table de bistro, un lieu de paroles et d’échange d’idées ou encore un ensemble de bonnes volontés. L’accent est donc porté sur la communauté, le rassemblement et la communication, l’intérêt de Grimpi étant alors de favoriser l’émergence de nouvelles représentations. Probablement marqués et inspirés par des modes telles que les cafés philosophiques, la dimension technologique de l’action du groupe disparaît totalement au profit d’un monde où prime l’humain et l’échange d’idées dans une communauté. Une deuxième dimension vient compléter cette première version du collectif, dimension qui nous amènera, à l’heure de l’examen des rapports de pouvoir, à envisager Grimpi comme un groupe citoyen. Il s’agit de la prise en compte de la collectivité comme destinataire potentiel de l’action, Grimpi devenant alors un groupe-relais face aux usagers, un diffuseur d’information collective, un groupe de médiation ou encore un porte-parole. Le passage d’un rôle d’information à un rôle de communication est visible. Nous reviendrons sur tous les implicites de ces expressions (usagers de quoi, porte-parole de qui) mais il ne s’agit pour l’instant que d’identifier le ou les rôle (s) que le groupe s’attribue. Des compte rendus aux entretiens, il est fait mention des rôles suivants :

‘« mener une réflexion fondamentale sur l’utilisation des T.I.C. », « préfigurer les services publics de demain », « éviter la marginalisation d’une fraction de la société », « participer au modelage du territoire », « ne pas se laisser imposer des décisions », « faire émerger une demande collective », « faciliter l’explicitation des besoins de la population ».’

Cette prise en compte explicite de l’extérieur en tant que collectif peut être également expliquée en partie par les deux évènements suivants. Le premier est lié à l’interpellation du chef d’entreprise lors d’une réunion au conseil général, interpellation qui, raconte l’intéressé, se fait à peu près dans ces termes ; « et vous, le groupe de Largentière 223 , qu’est-ce que vous en pensez ? ». Cette question rapportée renvoie au groupe une image de sa propre existence et lui permet de prendre conscience de trois faits importants224. Tout d’abord, il semble que des élus ou autres acteurs institutionnels commencent à connaître l’activité du groupe et ont eu l’occasion d’en discuter. Ensuite, l’interpellation sur un domaine précis (en l’occurrence les télé-activités) permet de comprendre que l’objet même de ces réunions est connu. Enfin, elle indique également que certains acteurs reconnaissent une compétence à ce groupe alors que ce dernier a le sentiment d’avoir mené jusque-là une réflexion exclusivement interne et presque intimiste.

Le deuxième événement, encore plus significatif parce qu’officiel, correspond à la requête que le sous-préfet adresse à trois des membres les plus compétents techniquement, à savoir présenter au cours d’une rencontre entre élus un premier bilan de leur réflexion. On ne s’adresse plus à des individus isolés mais à des membres d’une cellule active porteuse d’une réflexion méritant d’être partagée. Il y a donc deux phénomènes qui jouent conjointement : d’une part, une confrontation avec l’extérieur qui permet au groupe de valider la pertinence de sa réflexion et qui le renforce dans sa raison d’être, de l’autre, un membre qui renvoie aux autres la façon dont le groupe est perçu.

Nous pourrions également ajouter, mais cette remarque reste valable pour l’ensemble de notre recherche, que notre présence en tant que tiers-participant-observateur a renvoyé également au groupe la manière dont il se comportait. Nous avons été en effet, à l’occasion de la cinquième réunion, prise à parti à l’improviste pour faire état d’un bref historique de l’évolution que nous avons perçue225. Ceci n’est pas sans rappeler ce moment que J-D Reynaud qualifie « d’invention de l’acteur collectif », et qu’il identifie comme phase essentielle de l’action collective (Reynaud J-D., p299, 1993)226.

Notes
223.

Largentière est la sous-préfecture du département : c’est dans ses locaux que s’est réuni le groupe pendant plus de deux ans.

224.

Nous reviendrons largement sur « cet extérieur » et sa perception par le groupe, ainsi que sur la question de la reconnaissance dont il a fait l’objet...ou qu’il a attendue.

225.

La position de notre Directeur de recherche par rapport aux deux principaux protagonistes du groupe a engendré une situation conflictuelle : pour le premier, il s’agissait d’obtenir une reconnaissance sociale des actions entreprises grâce au label du milieu universitaire, pour le second, il s’agissait de bénéficier réellement du regard et du soutien d’un expert. Cette divergence de vue, doublée d’une rivalité de personnes, conjuguée au fait que notre directeur avait été liée ponctuellement à des discussions sur l’avenir du groupe, a nécessité un repositionnement officiel des activités du groupe et c’est l’éclatement du conflit, puis sa résolution, qui ont fait avancer le débat collectif.

226.

Reynaud J-D., (1993), « Les règles du jeu », Armand Colin, Paris.