2.2.3. Un groupe visionnaire : dimension futuriste et inspirée227

Dès le mois de février 1997, c’est-à-dire lors de la deuxième réunion, une question prévisible a surgi et a été inscrite à l’ordre du jour : « que pouvons-nous faire de ces réunions ? » Si la réponse n’a pas surgi immédiatement, si deux axes de travail se sont finalement dégagés (l’un de réflexion fondamentale, l’autre pratique), il s’avère qu’une troisième perception du rôle de Grimpi et de sa nature a émergé, nous conduisant à parler cette fois-ci de mission et non plus seulement de rôle.

‘« nous sommes tous des illuminés et il ne nous reste plus qu’à utiliser cette lumière ; pour moi, c’est éclairer la vie publique, pour vous M. B., c’est éclairer les entreprises » (le sous-préfet), « on a compris l’intérêt d’une chose et dans une visée messianique, on veut la faire partager. Comment peut-on partager cette prise de conscience ? On peut réussir notre mission mais nous ne devons pas rester isolés des gens que nous entendons lier. ’

Grimpi est cette fois-ci présenté comme un groupe visionnaire, un propagateur de nouveaux concepts, un porteur de bonne parole, et c’est parce qu’il détient cette connaissance qu’il doit jouir de son rôle de pionnier et qu’il se sent investi d’une mission. Nous sommes donc bien loin de l’obligation de résultat ou de la performance évoquées précédemment : la portée de l’action est envisagée cette fois-ci dans une ambition futuriste qui procède à la fois de la visée prophétique et de l’évangélisation, interprétation que confirment les termes « illuminés » et « lumière » de l’extrait cité. Tout ce qui procède du faire et de l’objectif d’action est alors inspiré de ce discours quasi mystique. Il n’est plus question d’évaluer des projets ou de former des entreprises mais il s’agit de développer une culture nouvelle, le groupe est appelé à saisir des enjeux et à se porter dans l’avenir, son approche doit rester prospectiviste (anticipation de besoins) mais néanmoins fumeuse (délire créatif) et la finalité ultime de cette mission devient alors de faire rêver à travers la technologie, de faire partager des visions et à terme d’initier (et non plus former ou informer) la population.

Il n’est pas surprenant de retrouver à quelques variations près les trois univers qui nourrissent l’imaginaire du groupe et donnent naissance à trois images différentes des technologies d’information et de communication228. Le groupe s’est découvert autour de l’innovation, s’est inventé et bâti une mission à partir de cette même innovation : le même imaginaire social qui a alimenté sa réflexion alimente également son discours. C’est à partir de cette connaissance nouvelle qu’apporte l’analyse de l’imaginaire social qu’il nous est maintenant possible de comprendre comment le groupe a agi, quelles sont les logiques d’action qu’il a mises en oeuvre et quels types de rapports ont été noués sur le plan local pour tenter de se poser en instance de médiation entre la technologie et le territoire.

Notes
227.

Nous empruntons la référence à Boltanki et Thévenot, bien que la filiation avec la cité inspirée de Saint-Augustin soit bien lointaine.

228.

Parmi les projets présentés dans le cadre des réunions et « retenus » pour bénéficier de l’aide du groupe, nous avions mentionné le projet SDF, qualifié de passionnant, et le projet de l’architecte naval, qualifié de visionnaire. En d’autres termes, ceux qui avaient visiblement une résonance trop « monde industriel » ou « monde marchand » n’ont pas retenu les faveurs du groupe et ont été, malgré un discours de collaboration entre projets, écartés.