3.2.3. L’insolence salutaire ?

Sans faire de l’impertinence et de la subversion des principes de rigueur, les membres les plus actifs du groupe ont tenu à insister sur le rôle d’incitateur, d’agitateur et sur l’intérêt qu’un groupe qui s’inscrit en parallèle 237 des réseaux politiques et institutionnels puisse, à l’occasion, leur rappeler, leur mission. Outre l’allusion à l’organisation Green Peace238 pour son caractère militant et au nain du conte de Blanche-Neige, Grincheux, pour son côté dérangeant, le rapport à l’Etat s’est donc traduit par une position constante de rappel à l’ordre des collectivités, position qui conduira l’un des membres à présenter Grimpi comme une sorte de poil à gratter. Si cette volonté de se poser en élément subversif sur le territoire ne doit pas occulter les démarches beaucoup plus traditionnelles entreprises pour sensibiliser, convaincre et informer239, dans ce cadre précis, déranger les collectivités locales signifiait faire surgir des questions qu’une simple routine avait suffit à occulter et faire bénéficier le territoire d’une insolence salutaire. Ainsi, au-delà d’un engagement moral, le positionnement du groupe en tant que citoyen s’est conjugué sous un mode empirique qui l’a conduit à représenter à ses propres yeux ce que J-D Reynaud appelle le premier niveau de la réalité sociale240 C’est en tant que tel que Grimpi s’est posé en défenseur ou porteur d’une revendication collective qui restait implicite et larvée.

Ainsi, entre le mode du « on a besoin des structures », et « on veut être reconnu par les structures », Grimpi a également adopté une troisième position, d’une logique mathématique compte tenu de ce que nous avons dit de son imaginaire social et de sa volonté de se poser en groupe novateur et informel, et ce afin d’éviter la momification ou de devenir un machin comme disait De Gaulle. Entre le souhait d’apparaître comme une instance de médiation possible pour le territoire, comment se positionner par rapport à la Région (nécessité du compromis) et la revendication de cette insolence, quelle place accorde-t-on à la société civile, ne soyons pas victimes des décisions qui viennent d’en haut, certains échanges portent la trace de ce besoin (ou réflexe) de défiance et de posture négative de rigueur : l’accueil d’opposition clair et net vient en général des structures. Notons enfin que la référence positive et favorable à l’institution apparaît dans le discours lorsque cette dernière est clairement nommée et identifiée (l’Etat, la sous-préfecture, la mairie, etc) ; à l’inverse, l’institution se cache derrière l’anonymat de la structure lorsque la référence est négative et que l’opposition doit être marquée.

On peut être tentée de faire le lien avec l’approche de B. Floris concernant la médiation entre « l’Etat et la société civile privée », cette médiation n’étant pas seulement un processus de ‘« négociation démocratique entre la sphère civile privée et celle du gouvernement mais aussi une médiation des rapports de forces économiques, politiques et symboliques de la société, c’est-à-dire la médiation des capacités et des pouvoirs inégaux dans la production économique et sur le marché, dans les choix et l’exercice d’une activité politique, dans la production et l’accès aux biens culturels »’ (Floris B., p125-126, 1995)241. Ne pas se laisser imposer des usages ne relève pas d’un excès de fierté face à l’autorité mais plutôt d’une conscience du rôle de citoyen impliqué dans le devenir d’une cité. C’est une réaction face à « ‘une civilisation technico-scientifique dans laquelle, partout, des tabous d’irréversibilié sont agités »’ (Rudolf F., 1995)242. Ne pas se laisser imposer des usages revient à prendre position face à une société qui se déstabilise. Il faut souligner que l’analyse de R. Zoll concernant ce regain de citoyenneté est beaucoup moins noble. L’auteur estime « qu’il ne s’agit plus ici d’une exigence de représentation d’intérêts ‘en vue d’une participation institutionnalisée à la décision ou, pour l’administration de la consultation des usagers, mais plutôt d’une exigence de justice née de la tension entre le mouvement d’individualisation et d’autonomie des acteurs et le caractère hiérarchique des institutions’  » (Zoll R., p67, 1992)243.

Notes
237.

En s’entourant des précautions de rigueur lorsqu’il est question d’aborder une notion qui ne fait l’unanimité que sur son ambivalence, nous sommes tentée de faire un lien entre l’espace de discussion créé par Grimpi et la notion d’espace public, parfois « érigée en médiatrice entre la société civile et l’Etat, entre la sociabilité et la citoyenneté, entre le privé et le public, les moeurs et la politique » (Chambat P. 1995), p67, op. cit.

238.

Nous n’inventons rien, la filiation a été revendiquée.

239.

En effet, il faut rappeler que le groupe a été à l’origine de plusieurs réunions dont l’objectif était de présenter à des élus tout le potentiel des télé-activités pour un milieu comme l’Ardèche, classé au rang des défavorisés. Si l’un des protagonistes avoue n’avoir pas toujours su s’adresser à cette population « aux représentations si éloignées », il faut souligner que Grimpi a parfois été la seule source d’information auprès de communes très peu mobilisées. Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette absence de mobilisation peut être attribuée à un effet pervers du projet Inforoutes officiellement plébiscité : souvent par effet d’imitation plus que par conviction motivée, parfois par sympathie pour l’initiateur du projet ou par intérêt politique, nombre de communes ont adhéré au SIVU et estimé, une fois le geste effectué, qu’elles avaient bien assez oeuvré pour le sujet. En quelque sorte, seule comptait la possibilité de pouvoir afficher une adhésion aux Inforoutes, même lorsque cet engagement n’était suivi d’aucun effet au-delà de l’arrêté préfectoral qui l’entérinait.

240.

en-dessous, il n’y a que l’individu.

241.

Floris B., (1995), « L’entreprise sous l’angle de l’espace public », in L’espace public et l’emprise de la communication, ellug, Grenoble.

242.

Rudolf F., (1995), op. cit.

243.

Zoll R., (1992), « Nouvel individualisme et solidarité quotidienne », Kimé, Paris.