3.3.2. Une honnêteté inhabituelle

Contrairement à une position largement répandue qui consiste à mettre la technologie à la disposition des individus, sans se donner les moyens de savoir s’ils pourront effectivement se l’approprier, et à terme, l’utiliser, Grimpi a tenu à défendre une position qui consistait à mettre en avant ce que des élus n’osent pas et ne peuvent pas dire. Sa démarche était la suivante : insister sur le fait que les télé-activités doivent d’abord s’adresser à des acteurs-relais, dans des lieux de sociabilité et de médiation, d’avantage qu’au grand public. En d’autres termes, le parti pris par le groupe consistait à découper la rencontre entre le public et la technologie en deux temps et à militer pour le respect systématique de niveaux intermédiaires qui facilitent l’accompagnement de la diffusion de l’innovation. Si cela revenait en quelque sorte à auto-légitimer son existence et à faire valoir l’intérêt de sa démarche, cette position a tout de même permis de privilégier la découverte des télé-activités par la rencontre avec des personnes-ressources et la prise de conscience dans le cadre de groupes ou d’activités organisées.

Sans vouloir dresser un schéma un peu trop simpliste des différents types d’approche que suscite la diffusion de cette innovation, le groupe a choisi de ne pas miser sur l’initiative personnelle et sur la démarche individuelle. Nous verrons à l’heure des bilans que cette décision n’a pas forcément été suivie des effets qu’elle visait247.

Enfin, se positionner en tant que groupe-relais et faire le pari de la diffusion par la mise en relation a conduit Grimpi à tenter de sensibiliser ses membres en interne comme les administrés des communes placées dans son modeste champ d’intervention aux notions de collectivité, de devoir de citoyen et de devenir collectif.

‘« De quoi on s’occupe quand on parle de citoyenneté alors qu’il est question ici d’une réflexion sur les télé-activités et de mises en oeuvre de projets...mais on est en plein dans le sujet vous savez. On est citoyen et on vit dans un système, alors soit on le trouve mauvais et on se fout des autres et on décide de vivre seul, soit on estime qu’on a une contribution à apporter, qu’on ne veut pas s’en remettre exclusivement à des élus, ce qui est bien facile vu que ça nous évite d’agir et de penser, et alors là, il faut se dire que c’est l’oeuvre de tous qui doit être engagée...et les télé-activités peuvent changer tellement de choses pour nous dans les milieux ruraux, en bien comme en mal, qu’il me semble qu’elles nous poussent plus que jamais à avoir ce type de démarche salutaire...peut-être que pour les citadins c’est pas flagrant encore, mais nous on voit bien ce qu’on a à y perdre et à l’inverse ce qu’on peut peut-être y gagner... » (un enseignant). ’

Ceci nous renvoie à la distinction que B. Poche opère entre la citoyenneté politique (celle qui s’exprime par rapport à l’Etat) et une citoyenneté distincte par rapport à une communauté ou à un groupe d’appartenance (Poche B., p239, 1996)248. Elle met sur le devant de la scène la notion de pays à laquelle les acteurs du développement local sont particulièrement attachés. Se pose ici la question de la légitimité du groupe à renvoyer autant de questions et à mettre des citoyens ordinaires face à leurs responsabilités249. En effet, à la différence d’élus qui sont missionnés pour agir en notre nom, Grimpi s’est lui-même attribué une mission de défense de l’intérêt collectif. Si la position est louable et mérite d’être soulignée, il n’en reste pas moins qu’il n’a jamais été investi par une communauté, ce qui lui enlève sa légitimité et sa crédibilité pour s’exprimer au nom d’une collectivité dont il serait le défenseur. En outre, au-delà de cette question récurrente de la représentativité et de la difficulté à intervenir en tant qu’intermédiaire, cet appel à la conscience du devoir qu’aiguise de façon particulièrement inhabituelle l’entrée prochaine dans une société dite des télé-activités, soulève également le problème majeur d’une définition de la citoyenneté à laquelle Grimpi a donné un contenu confus.

Nous serons amenée dans le fil de ce chapitre à identifier les erreurs que Grimpi a pu commettre, erreurs dues à une interprétation erronée d’une situation donnée, erreurs qu’un excès d’enthousiasme et d’énergie a pu laisser passer. Notons simplement pour le moment qu’une approche de la diffusion basée sur un sursaut de la collectivité était pour le moins un pari ambitieux. Précisons également, bien que cela apparaisse déjà entre les lignes, que la dérive du groupe vers une réflexion militante sur le devenir de la citoyenneté par rapport à des objectifs plus raisonnables de fédération des énergies et des projets n’a pas forcément servi l’intention de départ.

Notes
247.

Ce qui est probablement plus lié à un manque d’envergure qu’à une erreur de jugement.

248.

Poche B., (1996), « L’espace fragmenté, éléments pour une analyse sociologique de la territorialité », L’Harmattan, Paris.

249.

T. Bardini a largement traité cette question de la représentativité des porte-paroles dans son ébauche d’une approche communicationnelle du changement technico-social. Voir Bardini T., (1993), « Diffusionnisme, constructivisme et modèle technique, ébauche d’une approche communicationnelle du changement technico-social », TIS, volume 5, n°4.