3.3.3. L’éthique des T.I.C.

Il est difficile de rendre compte d’une démarche aussi engagée sans donner le sentiment que l’on souhaite la défendre ou au contraire s’en défier. Chacune de nos remarques qui consiste plus en une interprétation des activités du groupe par rapport à notre objet qu’en une description fidèle de son mode d’agir et de penser nous fait courir le danger de pencher plus d’un côté que de l’autre. C’est en ayant conscience de ce travers et de ce danger que nous abordons la question de l’éthique mise en avant par le groupe dans son approche des télé-activités.

Tout d’abord, il ne s’agit pas de crier au loup dès qu’il est question de marché ou de dénoncer toutes les initiatives lorsqu’elles portent un label institutionnel. Parler de déontologie dans la diffusion des télé-activités revient simplement, d’après le groupe, à adopter une logique multidimensionnelle qui permette d’appréhender tous les genres (marché, politique, associatif) sans pour autant les confondre ou les assimiler. Cela veut dire en clair, et dans le discours des membres, qu’on ne peut plus se permettre de promouvoir une offre sous couvert de développement local ou de militer pour un projet lorsqu’il n’y a qu’un intérêt politique qui apparaît derrière. Si la confusion n’a pu, au final, être complètement évitée250, son risque d’occurrence est au moins resté présent dans les esprits, suffisamment pour ne pas déraper et pour que le groupe puisse se permettre de dénoncer des abus comme celui d’un conseiller municipal qui a incité une société privée à créer un site au nom de la commune dont il était un des élus, en n’omettant pas cependant de déposer le site en son nom propre. Comme le soulignera l’un des participants du groupe, lui-même élu de la commune mentionnée, ‘« à qui appartient le nom d’une commune si ce n’est à elle-même et en premier à ses administrés ?’  ».

En outre, parler de déontologie ou d’éthique en matière de diffusion de l’innovation à l’échelle d’une société, c’est également rappeler que la diffusion de l’innovation technologique, ici les télé-activités, ne doit rester qu’un contre-point à un but ultime plus noble, celui de l’innovation sociale. Nous ne voulons pas caricaturer l’environnement sur lequel est venu se greffer l’action observée. La prudence du groupe s’inscrit plutôt dans la droite ligne des propos que J. Perriault évoque en traçant la grande lignée des innovations et des mythes qu’elles révèlent « ‘il n’est pas question de radicaliser l’opposition entre logiques techniques et logiques d’usagers, les logiques techniques sont également des logiques de société, et elles savent souvent tirer la leçon de l’usage qui est fait de ce qu’elles produisent (...), il n’en reste pas moins que le monde de la technique a sa propre trame et son temple subsiste à travers les âges »’ (Perriault J., p22, 1989)251.

L’interrogation qui apparaît derrière cette question d’éthique peut être énoncée de la façon suivante : en admettant que les technologies se diffusent et qu’elles soient effectivement et massivement utilisées, à quoi doivent-elles nous conduire en tant que société ? Nous ne reviendrons pas sur les raisons qui ont motivé la constitution du groupe autour d’un objet de réflexion plus noble que les seules télé-activités. En revanche, il faut rappeler que la diversité des participants a permis d’éviter qu’il y ait un diktat des experts en technologie et a donné lieu à des propositions de projets où des applications parfois très simples étaient mises en oeuvre. Par rapport à un contexte général hypertechnologique, il s’agissait donc de rétablir un certain équilibre avec des applications toujours plus sophistiquées où le souci d’innover et de se distinguer d’un point de vue technologique semble parfois l’emporter sur les possibilités d’appropriation attendues de l’outil envisagé. Sans entrer une énième fois dans un débat sur la place et le sens de la technique dans notre société, cette prudence procédait du souci de ne pas voir l’innovation technologique peu à peu dévorer toute autre possibilité de progrès. Pour conclure sur ce point, rappelons que le projet très innovant dont le groupe a été porteur n’utilise que des applications courantes très répandues sur le marché, la volonté de départ étant d’innover dans les services à partir d’un existant accessible et maîtrisé.

Enfin, parler de déontologie au sein du groupe s’est traduit par la mise en valeur de deux tendances que sont la transversalité d’une part et l’horizontalité de l’autre dans la mise en oeuvre technique des outils de communication. Face au discours qui annonce un village planétaire, aux tentations de voir dans Internet un outil d’échange interculturel ou au souhait plus ou moins exprimé de faire des télé-activités un outil facilitant le débat démocratique avec, comme point commun aux trois phénomènes, l’idée que les T.I.C. sont nécessairement des outils de mise en relation, le groupe a choisi de traduire ces déclarations d’intention dans les applications et projets qu’il souhaitait développer, Mesiane en étant la principale tentative d’illustration. Par rapport à la définition première et philosophique de l’éthique qui se pose en science de la morale et en art de diriger une conduite, l’éthique affichée et revendiquée de Grimpi peut se définir comme un engagement à rester fidèle à des principes et des intentions qu’une réflexion collective a fait surgir.

Cependant, considérant que nous nous appuyons ici sur du discours, donc sur une stratégie d’affichage des participants, nous pouvons amender ces propos en donnant la parole à P. Zarifian pour qui « ‘la pratique contemporaine montre que les groupements intermédiaires – tels que les associations ou les entreprises – sont en général non pas des médiations vers une représentation morale collective du bien commun, mais souvent un simple niveau d’organisation d’intérêts qui restent fondamentalement particuliers, quand bien même ils seraient collectif’ s » (Zarifian P., p156, 1997)252.

Notes
250.

Rappelons que Mesiane est envisagé comme un projet rentable sur deux ans.

251.

Perriault J., (1989), « La logique de l’usage », Flammarion, Paris.

252.

Zarifian P., (1997), op. cit.