5.3.1. Le choix délicat des intermédiaires

Lorsque Grimpi s’est senti suffisamment fort pour se tourner vers l’extérieur, certains membres du groupe se sont retrouvés investis d’une mission d’opération-séduction pour chercher les appuis nécessaires au développement des actions entreprises. C’est à ce moment que les différentes appartenances à des sphères professionnelles complémentaires ont joué, l’intérêt de cette diversité résidant dans la possibilité de choisir les bons intermédiaires. Rétrospectivement, on s’aperçoit que deux critères ont été presque instinctivement privilégiés, l’un ayant trait à la personnalité et à la force de conviction qu’elle dégageait, l’autre à la position occupée par rapport aux décideurs. Ce sont donc les deux leaders naturels du groupe (créateurs de la cellule avec le sous-préfet) qui sont régulièrement partis sur le front, ainsi que le conseiller municipal, fort de sa position d’adjoint au maire. Avec tout le confort que donnent le recul et la position d’observateur, nous faisons ces trois commentaires.

Tout d’abord, le conseiller municipal retenu n’était pas, comme il l’a reconnu lui-même par la suite, « en odeur de sainteté auprès de la mairie », ses prises de position répétées sur la relative inertie de sa commune quant à la diffusion des télé-activités lui ayant valu quelques inimitiés non dissimulées. Si sa mise à l’écart du projet de Centre de communication alors qu’il était officiellement en charge du dossier des T.I.C. a été perçue comme un règlement de compte politique, c’est également à travers la défection du soutien porté au groupe que sa personne a été atteinte. En d’autres termes, le choix d’un intermédiaire plus neutre mais tout aussi volontaire aurait été moins dangereux.

De plus, sans s’attarder en général sur les traits caractéristiques des leaders et en particulier sur la personnalité des deux instigateurs du groupe, on peut noter que leur engagement dans l’action locale a permis d’ouvrir autant de portes qu’il en a fermées. En effet, mais était-ce prévisible, l’un des deux maires que nous avons interviewés nous a donné sa vision des choses en la résumant ainsi : « ‘ils n’hésitent pas à dire ce qu’ils pensent...mais comment vous dire...ils sont un peu desservis par leur personnalité parce que les chiens fous font peur aux politiques...l’action politique est un peu stérile et eux en agitant beaucoup de monde, ils se sont faits quelques ennemis (...), et même avec la caution du sous-préfet, ça n’a pas suffi’  ». Le choix du bon intermédiaire n’était donc pas forcément celui du participant qui semblait être le plus introduit dans les milieux politiques.

Enfin, et cette remarque est liée à la précédente, en assumant jusqu’au bout leur rôle d’instigateurs et de pionniers, les deux membres en question n’ont pas forcément su identifier dans le groupe les intermédiaires potentiels qui, se mettant naturellement moins en avant, se sont retranchés derrière leurs leaders naturels. Ces erreurs d’appréciation donnent au concept de marginal sécant toute son importance puisqu’il s’agit justement de dire que certains acteurs ont un pouvoir d’action et de conviction parce qu’ils sont partie prenante dans plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les autres et qu’ils peuvent, de ce fait, jouer le rôle indispensable d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’action différentes, voire contradictoires (Crozier M., Friedberg E., 1977)272.

Notes
272.

Crozier M., Friedberg E., (1977), « L’acteur et le système », Seuil, Paris.