5.3.4. A la recherche des statuts et des écrits perdus

Grimpi a toujours tenu à inscrire son action en parallèle ou en complément des actions entreprises par les réseaux politiques pour éviter de se mêler aux petites luttes intestines qui animent une région. C’est aussi dans le même état d’esprit qu’il a choisi de rester informel pour ne pas risquer « le corporatisme et la momification ». C’est enfin en partant de la même philosophie qu’il a fait le choix de ne pas diffuser de messages par écrit pour ne pas être assimilé à du lobbying ou à un groupe de pression. Ces décisions n’ont jamais fait l’objet de négociations houleuses et ce n’est qu’au moment de l’analyse des erreurs commises qu’elles sont revenues sur la scène des discussions. Des débats auxquels nous avons assisté et des confidences que nous avons reçues, voici les deux remarques que nous retirons.

Grimpi n’a quasiment pas communiqué par écrit, chose qui n’avait rien de préjudiciable sur du court terme sauf si l’on considère que l’écrit a deux fonctions, délivrer un message mais aussi et surtout pour un élu, laisser une trace de ce qui a été dit. A la question « faut-il diffuser ce qu’on a dit ? », le groupe a répondu non mais s’est privé de l’opportunité de la deuxième chance, celle qui permet de revenir sur un dossier ou de comprendre mieux ou différemment des propos mal compris ou oubliés à peine une fois entendus.

Grimpi a eu, de surcroît, un problème de reconnaissance peut-être lié à son absence de statut et qui a émergé au cours de nos discussions avec les acteurs dits institutionnels lorsque la question de sa légitimité en tant qu’intermédiaire a été posée : on peut être convaincu par un contenu, par un acteur qui a une force de conviction même si le contenu n’est pas très innovant, on peut être obligé d’accepter parce que nécessité fait loi, mais lorsqu’aucune de ces raisons qui entraînent l’adhésion automatique n’est présente, on se penche alors sur la respectabilité du ou des destinateurs de la proposition. Le fait de ne pas être classable ni reconnaissable n’a pas joué en faveur d’un groupe dont le statut n’était pas en correspondance avec l’importance de sa mission. Grimpi a donc expérimenté à ses dépens la difficulté d’exister en tant que communauté qui veut jouer à la fois sur le registre de la clandestinité et de la publicité (Alter N., 1993)275.

Enfin, il faut insister sur ce que M. Doms et S. Moscovici évoquent concernant l’influence des minorités dans un processus d’innovation. Les auteurs rappellent que l’opposition et/ou la proposition ne confèrent pas à la minorité une existence de fait et que cette dernière doit être socialement reconnue par la majorité avec ses propres qualités. C’est donc dans son effort d’accession à la visibilité et à la reconnaissance sociale que l’on évalue le droit de la minorité à agir et à provoquer des changements, tout comme sa capacité à convaincre (Doms M., Moscovici S., 1984)276.

Notes
275.

Alter N., (1993), op. cit.

276.

Doms M., Moscovici S., (1984), « Innovation et influence des minorités », Psychologie sociale, puf Fondamental, Paris.