Chapitre 7 : L’expérience du Vercors, lorsqu’une région prend son destin en mains 279

L’expérience de Vercors Connect se distingue de la première que nous venons de relater, et ce de trois manières. Premièrement, elle correspond à une initiative politique qui a généré à sa suite un déploiement d’énergies et des moyens financiers sans commune mesure avec les actions entreprises par Grimpi. Ensuite, elle a été prise en charge par un acteur collectif institutionnel, le District, dont la mission est loin de se limiter à la diffusion des télé-activités. Enfin, elle s’est mise en place trois ans avant nos premières observations, ce qui signifie que la plupart des actions étaient déjà bien amorcées, voire en phase de conclusion et qu’il nous a fallu découdre le processus de diffusion lancé pour mieux le reconstruire et en rendre compte.

C’est cette différence sensible280 qui nous a conduite à faire le choix de présenter ce terrain de la manière suivante. Tout d’abord, il nous a paru indispensable de partir de « l’intuition de départ » et de « l’imaginaire » présent dans le projet afin de montrer en quoi la façon dont le problème de la diffusion avait été posé conditionnait la mise en oeuvre du projet. Nous avons ensuite pensé qu’il était nécessaire d’extraire de la mise en oeuvre sur le terrain les grands principes qui l’avaient guidée, partant du processus de grandissement mis en évidence par les sociologues des sciences. Puis, en reprenant les documents dont nous disposions et en les confrontant à nos entretiens, nous avons essayé de dégager les objectifs qui avaient été visés, au-delà du « chapeau qui coiffe l’ensemble » et qui tient dans la création de nouvelles activités et dans la préservation du tissu économique et social existant. Enfin, nous avons procédé à un état des lieux de la diffusion des télé-activités, et ce en partant de deux critères : l’existence observable (ou non) de pratiques de communication dites sophistiquées, et, le décalage (éventuel) entre les ambitions (encore) affichées et la perception du projet par les habitants et responsables politiques des communes concernées, considérant que ce bilan devait être prudent et nécessairement temporaire. Toute cette démarche fait l’objet des cinq premières sections.

Dans une sixième section, nous nous faisons l’écho du ressenti des acteurs du projet, l’objectif n’étant pas d’évaluer le projet en termes de réussite ou d’échec mais de faire état des différentes réactions qu’il a suscitées : nous parlons alors du phénomène de déréalisation du projet. Le sujet que nous avons entrepris de traiter est éminemment politique, au sens originel du terme, c’est-à-dire qu’il concerne la  polis, la vie de la cité. Ainsi, nos commentaires prennent leur source dans les réflexions que nos interlocuteurs nous ont livrées en s’interrogeant sur cette dimension politique que porte un projet dit de société. Nous ne les avons pas invités à s’exprimer sur le sujet mais c’est assez naturellement que ce thème a été abordé lorsqu’il a été question de leur participation dans la mise en oeuvre du projet, la plupart parlant des erreurs d’appréciation qui avaient été commises. Le thème était suffisamment vaste pour que l’on y consacre la totalité des entretiens, mais compte tenu de notre objet de recherche, nous avons demandé à chaque interviewé de faire le bilan de sa participation en partant de la question-filtre suivante : dans quelle mesure la nature et la forme de mon implication 281 dans le projet ont eu une incidence sur son déroulement? Deux axes de réflexion se sont dégagés et sont venus éclairer pertinemment la question de la diffusion des télé-activités et celle de la difficulté à amorcer une dynamique d’actions sur un territoire appelé à évoluer. Le premier nous a conduite à interroger la notion d’intercommunalité, notion fréquemment invoquée dans les présentations officielles pour attester de la dimension sociétale et de la volonté partagée des élus dans le projet. Le second nous a donné la possibilité de questionner la notion de projet et de la mettre en perspective par rapport à la promotion des télé-activités appréhendée par une collectivité.

Enfin, dans une dernière section, nous identifions les premiers déplacements liés à ce processus de déréalisation du projet et montrons en quoi leur existence interdit de se prononcer radicalement sur la réussite ou l’éventuel échec du projet lancé.

Notes
279.

Dauphiné libéré, 11 juillet 1995

280.

Nous avons également précisé dans notre chapitre consacré à la méthodologie quelles avaient été les contraintes liées à la particularité de ce terrain.

281.

Cette appréciation est, par définition, totalement subjective puisqu’elle est faite par l’intéressé lui-même... bien que certains constats extérieurs permettent de l’objectiver.