2.1.3. Vercors Connect dans le monde de l’opinion : un projet-vitrine et l’image d’une région 

Contrairement à certaines actions où le développement des télé-activités a semblé être recherché comme une fin en soi, Vercors Connect a assigné à ces T.I.C. la place qu’elles devraient toujours occuper : celle d’un outil qui permet de faire, de créer. Ceci était clairement affiché dans la réponse à un appel d’offre qui a permis d’obtenir des financements ; mais le projet s’est également conjugué sous un autre mode dès son lancement : celui d’un formidable outil-prétexte pour communiquer sur l’image d’une région. Cela s’est traduit dans cette région par la mise en oeuvre d’un projet de grande envergure dont on a rapidement fait le projet phare du monde rural, celui qu’il faut montrer à un ministre quand on veut parler des télé-activités.

Cette prise en compte de l’extérieur et la nécessité de considérer le renom et la notoriété comme étalon de mesure de la grandeur du projet ont fait de l’image de Vercors Connect un véritable objectif en soi, l’opinion des autres sur le projet devenant du même coup une réalité, à part entière. Comme le souligne L. Boltanski et L. Thévenot, si la célébrité fait la grandeur (Boltanski L., Thévenot L., p223, 1991), les télé-activités sont devenues le moyen de dynamiser une région (une fin justifie des moyens) et le projet Vercors Connect est devenu le méta-moyen permettant d’asseoir toute la politique de communication du plateau. Ici, la diffusion de l’innovation revêt bien ces deux dimensions : la première s’appuie sur le potentiel réel de l’innovation, la seconde utilise l’image que le public et notre imaginaire (en action) lui associent en termes de modernité.

C’est pour cette raison, qui n’a d’ailleurs rien de contestable si ce n’est qu’elle a occasionné une mise en oeuvre du projet pas toujours dictée par l’exploitation du potentiel réel de l’innovation, que les porteurs de projet se sont mis très rapidement à parler de vitrine technologique, voire de vitrine tout court. Pour une région qui a bâti l’essentiel de ses ressources sur l’exploitation du potentiel touristique, cette intuition était bel et bien la meilleure, car jamais un projet de développement local n’a entraîné autant d’articles et de discours. Comme l’a souligné l’un de nos interlocuteurs en reconnaissant qu’il ne s’était pas beaucoup investi dans la mise en oeuvre du projet et dans l’accompagnement de son développement, la visibilité du projet est devenue le centre des attentions.

‘« Pendant près de deux ou trois ans, on a eu l’impression que les autres communiquaient pour nous ». « Si l’on parle de nous, c’est que le projet est bon »293

Nous serons amenée à noter que c’est peut-être le principal écueil sur lequel aura buté la diffusion de l’innovation : le projet a été happé par la communication et victime d’un succès dont certains diront qu’il n’était que médiatique. On retrouve ce que D-J Boorstin dénonce à propos du rôle de l’image (au sens propre comme au figuré), laquelle, dit-il, ‘« centre l’attention plutôt sur le nom que sur le produit »’ (Boorstin D-J, p 45, 1991)294.

Ainsi, en même temps que se mettait en place une politique de communication destinée à la sensibilisation de l’opinion publique au projet295, toute une série d’initiatives étaient lancées pour que le projet soit non seulement connu mais aussi reconnu. De la participation à un appel à projets pour obtenir des financements à la présence régulière et remarquée dans la presse locale et nationale, Vercors Connect s’est peu à peu imposé ‘« comme un projet possédant tous les ingrédients susceptibles de modifier la vision de développement des régions rurales296 ».’

Cette dimension a été d’autant plus prégnante dans le projet qu’après avoir franchi les étapes de la réflexion et de la mise en oeuvre sur le terrain, Vercors Connect a dépassé celle de la notoriété en devenant lauréat du Grand Prix 1997 du Développement Local, organisé par la Datar et l’Europe. Mise en avant à chaque présentation officielle, cette distinction accompagnée de financements297 a marqué l’entrée du projet dans une nouvelle ère, celle où la reconnaissance de l’extérieur apporte la certitude et l’assurance que la voie choisie est bonne. C’est en effet typiquement le moment décisif dans la vie d’un projet où l’avis émis par des instances étrangères aux préoccupations des instigateurs les confirment dans l’intention d’aller au-delà de la simple expérimentation, celui où l’intuition de départ conduit à ce simple constat : le projet est bon. Nous rappelons, si besoin est, qu’il ne s’agit pas de notre interprétation de l’historique du projet mais bien des différentes phases par lesquelles sont passés ses concepteurs. Nous attirons donc l’attention sur le phénomène suivant sans pour autant en tirer les conclusions qui s’imposeraient : sur l’ensemble des projets sélectionnés par la DATAR lorsque cette dernière lança ses appels en 1993298, certains ont depuis périclité, alors même que leur présentation augurait à l’époque d’une réussite assurée.

En outre, lorsqu’on recense l’ensemble des articles et interviews qui ont jalonné la vie du projet depuis qu’il existe, cela conduit à amasser une documentation dont l’importance atteste à elle seule de la notoriété du projet. La fierté de ses créateurs va sans aucun doute à la publication la plus noble, celle dans un journal dont la diffusion nationale et la réputation qui lui est attachée sont un gage de sérieux et qui a, l’espace d’un article, fait du plateau du Vercors le centre du Monde. Titré de façon neutre, « Internet en zone rurale 299 », le texte saluait l’initiative d’une région capable de mettre à disposition de ses habitants (et ce en partenariat avec la Poste) tous les moyens nécessaires pour se mettre à l’heure de la société de l’information. Cet exemple choisi parmi d’autres montre à quel point la politique de communication menée pour asseoir la notoriété du projet a été active quand on sait que les bornes et adresses électroniques offertes n’entraient en service que deux mois plus tard. Bien que nous ne l’ayons pas précisé, il va de soi que cette popularité dont la Presse s’est fait l’écho, quand elle ne l’a pas engendrée, a été possible compte tenu des fonctions occupées par le porteur du projet. Comme il le soulignera lui-même, « ‘je suis personnellement intervenu pour que le plateau bénéficie d’une bonne couverture en termes d’infrastructures et de télécommunications’  » (Sénateur J. Faure).

Enfin, sans revenir sur les propos que nous avons déjà évoqués dans le chapitre 2, il faut rappeler à quel point le discours tenu par des organismes, administrations ou collectivités tels que la DATAR ou la Commission européenne300suffit à valider les démarches entreprises, le statut et l’autorité qu’on leur accorde étant un gage de sérieux, à défaut de garantir (comme nous l’avons souligné plus haut) le succès. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les fameuses Inforoutes déjà mentionnées et de noter dans quelle mesure les cautions officielles reçues par ces projets ont joué pour beaucoup dans leur développement d’envergure, évacuant de la scène les initiatives beaucoup plus discrètes. Il nous faut rapporter les propos d’un des responsables déçus du projet qui a observé qu’une fois « ‘les permissions institutionnelles données, les intentions de consultation avaient été rapidement oubliées, la plupart des acteurs se disant (en parlant des habitants du plateau) de toutes façons : c’est bon pour eux ».’

Notes
293.

C’est ce que se sont dits les maires du plateau au début des premières expérimentations.

294.

Boorstin D., « L’image », Ch. Bourgeois, 10/18, Paris.

295.

Un des chargés de mission a reconnu « qu’on avait peut-être plus sensibilisé les gens au projet qu’aux télé-activités en elles-mêmes ».

296.

Extrait des minutes de l’ANEM (association nationale des élus de la montagne) réunie pour son congrès annuel sur la commune d’Autrans et attirée par l’exemple d’intercommunalité dynamique, des projets cohérents et des avancées significatives en matière de T.I.C.

297.

Voir le point 2.3.

298.

Tous sont repris dans l’ouvrage intitulé télétravail, télé-économie.

299.

Le Monde, 10 janvier 1998, p29.

300.

En l’occurrence la DG XIII.