1.2. Une médiation sociale univoque mais un tiers polymorphe

Lorsque nous nous sommes attelée à la construction de notre dispositif théorique, nous avons choisi de présenter deux approches de la médiation, l’une tournée vers l’interpénétration des champs d’une société, l’autre insistant sur l’accès à la compréhension par un tiers symbolique. Il ne s’agissait pas de faire l’économie d’une sélection douloureuse mais simplement de suivre une piste qu’une première immersion dans le terrain nous avait permis d’identifier : notre objet relevait probablement un peu de chacune. Nos observations nous poussent à dire que la construction du processus de diffusion emprunte aux deux sources mais nous remarquons que la distinction théorique de départ tombe à la lumière de la pratique.

En effet, si l’objectif et la raison d’être de la médiation sociale sont la mise en relation, le besoin de médier 374 ou pour le dire encore différemment et par son contraire le besoin de compléter, de parfaire une situation qui ne peut être im-médiate, si nous associons la médiation à l’idée de complétude, de finitude en ce sens qu’elle est ce qui permet de relier la partie à son tout, nous constatons que les différentes formes évoquées dans notre partie théorique ne sont jamais que la traduction du même phénomène à deux niveaux différents, un niveau collectif (au sens du groupe) ou mésosociologique et un niveau sociétal ou macrosociologique, la diffusion des télé-activités à l’échelle d’un territoire ou d’une collectivité apparaissant alors comme l’aboutissement des deux processus375.Nous reprenons ici tous les cas identifiés sur les deux observations et qui permettent soit de parler d’un processus de médiation compte tenu du dispositif conceptuel dont nous nous sommes armée pour appréhender notre objet, soit de montrer que l’absence de médiation a entraîné la faillite ou le retard du processus de diffusion.

Nous nous sommes permis de parler de médiation univoque en ce sens que la distinction opérée par la théorie tombe à la lecture de ces exemples. Quelle que soit la forme retenue, la figure du tiers apparaît toujours et l’objet de son action reste le même. Seule son apparence ou son support varient mais nous voulons noter après ce que dit L. Quéré quant au tiers symbolique que, quelque part, c’est toujours l’individu qui agit et qu’il n’y a de tiers symbolique que dans la représentation que l’on se fait du processus de médiation. En définitive, la fonction qu’assume le médiateur est, au sens propre, ce qu’on appelle une fonction d’intellectuel. A Gramsci définit l’intellectuel378 « ‘comme l’acteur qui définit et construit la vision du monde propre à une couche sociale’ ». Si l’intellectuel construit des images de référence, par exemple une nouvelle représentation de ce qu’est l’action sociale, les médiateurs sont alors ceux qui construisent les images à travers lesquelles une société donnée se représente son rapport au monde. Ceci n’est pas contradictoire non plus avec la définition qu’en donne J-F Six379, pour qui les acteurs-médiateurs sont aussi « ‘des médiateurs naturels, ceux qui naissent dans les groupes sociaux et semblent comme sécrétés par eux pour les besoins d’une communauté’ ».

Notes
374.

Nous risquons ce barbarisme.

375.

L’idée d’aboutissement ne doit pas faire penser à un enchaînement logique et à un passage obligé par les deux étapes.

376.

Le maillage de relations tissées à l’extérieur n’a fait qu’ajouter à ce processus.

377.

Nous entrevoyons ici une piste de réflexion qui ouvre le champ de notre recherche à celui de la médiation politique, thème récemment approfondi et fouillé par B. Lamizet. Lamizet B., (1998), « La médiation politique », L’Harmattan, Paris.

378.

Grisoni D., Maggiori R., (1973), « Lire Gramsci », éditions universitaires, Paris.

379.

Six J-F., (1995), « Dynamique de la médiation », Desclée de Brouwer, Paris.