Entretien avec la consultante en développement local, leader du groupe, le 5 mai 1998

Dans une première histoire, je suis prof de gym et dans une deuxième, chef de projet en lien avec le développement local, au départ lié à l’environnement et très rapidement aux technologies.

Et comment tu passes de l’un à l’autre ?

Parce qu’en 1989, je suis au conseil Economique et social où j’ai à rédiger une saisine sur le rôle des TIC dans le développement rural. Je commence à enquêter là-dessus et à faire un tour de France. Donc, mon intérêt et ma soi-disante compétence en matière de TIC se fabriquent à cette époque avec le CES et derrière avec l’université rurale européenne. Quand on m’attribue professionnellement la mission de développement et de création d’activités, d’emplois, j’ai une consigne qui est d’aller regarder du côté des métiers de l’environnement et j’amène moi mes intérêts personnels qui sont le monde des technologies. Donc, c’est un parcours un peu particulier avec un retour en fac à 45 ans toujours sur les domaines liés aux TIC et au développement.

Donc, mon intérêt précède effectivement le groupe Grimpi puisque je fais partie des deux qui en sont les instigateurs. J’ai d’ailleurs mis en place une association qui fonctionne sur des stratégies de télétravail, chose que j’explique un jour dans un article au moment où le journal télétravail magazine se crée, qui me vaut à un moment donné une certaine notoriété entre guillemets dans ce monde-là, c’est-à-dire une identification en tant que partenaire d’une association, etc... Alors, quand j’entends des mots comme spécialiste ou expert, je mets en italique avec des guillemets et des petits points parce que c’est effectivement de la compétence sur la problématique d’analyse mais pas sur l’outil et ses applications. Je les utilise comme utilisateur moyen.

Comment est né Grimpi ?

Ayant été interpellé comme association spécialiste au niveau du télétravail, en même temps je découvre qu’il y a une multitude de formations au télétravail qui sont prêtes de se mettre en route. Donc, pour la petite histoire, c’est entre autres une réaction contre MN et Ame-sud qui a provoqué mon interpellation du sous-préfet, à savoir que non seulement le Greta, non seulement le lycée agricole, non seulement Saint-régis, non seulement le Cermosem, etc...se mettaient à lancer des formations mais y compris des associations comme Ame-Sud. Ca, c’était effectivement normal puisque c’était le hobby de MN qui arrive lui aussi avec une histoire liée aux TIC. J’interpelle le sous-préfet en lui disant qu’on peut pas laisser partir des promotions entières de filles qui vont croire qu’elles vont pouvoir faire du secrétariat chez elles avec leur bébé dans les pieds... il faut être sérieux. Et c’est à ce moment-là que le sous-préfet me dit « ok, montez moi un groupe pour réfléchir sur le sujet » et il me dit dans un deuxième temps, « j’ai demandé à M de D de participer à votre groupe de réflexion, lui-aussi m’ayant interpellé sur la pertinence de l’utilisation des TIC en basse Ardèche ». Donc, là sur une dimension plus technique, et le sous-préfet était en plus intéressé par une éventuelle liaison avec les inforoutes.

Voilà comment on crée ce groupe qui se réunit avec trois types de partenaires, des gens invités par D, par le sous-préfet et par moi. D’où son hétérogénéité qui présente un grand intérêt, et du point de vue professionnel et du point de vue du degré de connaissance des TIC, puisqu’il y a de vrais béotiens même si tous sont plus intéressants les uns que les autres en termes de réflexion et de puissance d’analyse.

Quel était l’objectif annoncé alors aux invités ?

En fait, il y a pas tellement d’objectifs annoncés par Grimpi ; il y a une demande de résoudre des problèmes auprès du sous-préfet et ce que le sous-préfet annonce au groupe quand il vient c’est qu’on réfléchit sur une perspective à 25 ans et on apprend à coordonner les projets des uns et des autres en essayant de faire qu’ils ne soient pas concurrentiels ou au moins gérables dans un plan d’ensemble.

Comment tu l’évalues après bientôt deux années ?

Après un an et demi d’existence, moi je fais une évaluation qui est très bonne de ce groupe de travail, à savoir qu’il y a déjà deux...bon, on a su écouter l’ensemble des projets qui se sont proposés, on a favorisé l’émergence indirectement d’un projet et on a carrément fabriqué le nôtre.

Alors, en termes de qui a fait quoi, il est clair que sur le plan informatique c’est P qui, en intégrant une réponse à un appel d’offre, s’est appuyé sur ce groupe avec CJ pour lancer Mesiane. Là, on est dans un domaine de professionnels qui réagissent en professionnels avec l’ouverture qu’on leur connaît en termes de développement. C’est-à-dire qu’ils sont assez intelligents pour comprendre qu’il faut passer par une démarche indirecte pour se faire de la clientèle. Ce groupe a d’autant mieux fonctionner qu’il est informel et qu’on a fait attention pendant un certain temps de convoquer tout le monde, qu’il s’est posé la question de cette particularité d’être informel puisqu’on a fait venir presque chaque fois des gens avec une analyse et un regard extérieur et y compris jusqu’à se poser la question de savoir si on montait une association ou pas à partir de ce groupe, donc on avait fait le choix de le laisser informel. Par contre, on est allé modéliser et structurer Mesiane à l’extérieur du groupe...

Mais pas forcément comme la traduction de grimpi, est-ce que Mesiane peut apparaître comme la seule action concrète de Grimpi, pour que Grimpi soit visible ?

Moi, l’analyse que je fais de ça, c’est de dire que Mesiane a acquis une lisibilité publique grâce à la foire, au SETAM, Grimpi est connu maintenant comme groupe, c’est le groupe qui se réunit à la sous-préfecture sur les TIC, il est identifié, connu par les gens qui à un moment donné se posent le problème de la fonction des TIC. Quelque part, j’ai aussi envie de dire que, à l’extrême, que ce groupe soit pas connu, c’est pas grave. C’est un groupe qui recherche, qui réfléchit, c’est un groupe de recherche-action et dès l’instant où il prend comme méthodologie de créer des projets et de se séparer des projets qu’il crée, comme Mesiane, il peut rester dans la discrétion.

D’ailleurs, s’il perd de sa discrétion, il devient sujet d’attaques, de questionnements ou de sollicitations qui risquent de lui faire perdre son objectivité. Voilà comment je vois les choses... S’il a à continuer, la question qui se pose aujourd’hui puisque là on est vraiment dans un temps de rebond, on a l’impression d’avoir accouché d’un petit avec mesiane, c’est est-ce qu’on remet un petit en route, on a à stabiliser Grimpi, on est dans la transition là, on veut revenir à l’initiative de départ et en même temps on change de sous-préfet, l’autre était très porteur... Ce groupe ne peut rester informel et n’aura d’ailleurs de poids en tant que groupe informel que s’il obtient une caution officielle.

Pourtant, YA avait dit un jour que même si le groupe se réunissait à la sous-préfecture, il était membre à titre personnel...

Oui, il est membre de Grimpi, il est membre individuel de Mesiane. Ca, c’est son attitude d’homme, c’est un choix qu’il fait. Par contre, le fait d’accepter que les réunions se déroulent à la sous-préfecture, c’est une caution publique aux yeux des autres. Le fait de transmettre le relais au directeur de la préfecture, c’est une action délibérée qui officialise. Le fait que D nous demande d’attendre le sous-préfet, c’est encore un relais vers le sous-préfet, autrement dit c’est une caution de l’Etat qui dit « ce groupe travaille, travaille bien et on veut qu’il continue à travailler ». Ca veut dire que c’est ce qui donne sa pertinence et sa force à ce groupe et là où on voit que c’est un groupe qui a été conforté quelque part, c’est que ça n’a jamais baissé en nombre. Alors qu’un groupe comme ça, a priori, n’avait aucune raison de durer.

Le deuxième élément très positif, c’est qu’il y avait un très grand capital confiance et sympathie dans ce groupe, qui risque d’être remis en cause dans la transition. Je pense que ça va bien se résoudre mais il a failli être perdu. Après, il faut rajouter la situation personnelle de chacun. P te parlera de D, par rapport à Mesiane, etc... Pour toi, c’est important d’identifier ce moment...pourquoi ce moment ? Est-ce que c’est parce qu’en terme de laps de temps, sur le plan sociologique, au bout d’un an et demi, ça correspond à un cycle naturel dans un groupe, est-ce que c’est parce qu’on a accouché de Mesiane et que ça provoque une crise en interne ? Alors, il faut aussi analyser les erreurs qu’on a faites et qui font que le groupe a du mal à fonctionner. Il y a encore des gens dans le groupe qui sont pas sur l’intranet, qui l’utilisent mal, moi la première. Donc, ça a été une phase d’apprentissage de tout, de la conduite de groupe, de l’accès aux tic, au fonctionnement en réseau...

En terme d’esprit ou de valeur, on peut définir Grimpi mieux maintenant qu’au début. La dernière réunion, D a très clairement placé le débat sur le concept de citoyenneté, de développement local démocratique, les TIC n’étant plus qu’un outil. C’est mon acception du mot, mon éthique quand je parle de débat démocratique. Grimpi est effectivement un groupe qui va pouvoir se situer sur le plan du débat citoyen avec les TIC en contre-point.

Pour faire le lien avec les questions qui suivent la grille que tu as, en tant que créateur, votre présence à P et toi est pas anodine, on voit que vous orientez souvent, vous canalisez la réflexion, il y a quand même une structure...

Oui, on est un peu les deux boeufs qui tirons la charrue ; alors moi je tire un peu développement local et lui mise en place technologie et politique. On est le cadre et je pense qu’une distanciation entre nous ou une rupture entre nous à mon avis compromettrait le groupe. Si là aujourd’hui, il y avait rupture...

Quels sont les éléments d’innovation que Mesiane introduit sur le territoire ?

C’est clair que dès l’instant où sur une même plate-forme on met les syndicats intercommunaux, des entreprises et des associations, voire des Chambres, on est dans de l’innovation. Ca n’existe pas et je le répète ça n’existe pas.

Actuellement, et c’est ce qui fait le fondement du développement, c’est qu’on parle d’un projet, d’un territoire et d’acteurs, quels que soient ces acteurs et que ces acteurs peuvent se référer à l’ensemble des constituants du corps social... on a vraiment brisé la notion de filière et de corporatisme mais ça augmente les difficultés pour faire marcher le groupe. Là, on est dans l’innovant, et à mon avis l’enjeu des technologies, c’est bien ça. C’est mettre en relation au-delà des systèmes traditionnels des gens qui ont envie de parler d’un même sujet ensemble et donc, créer des liens entre eux qui font qu’on va modifier les rapports de force et d’opposition, ils vont être autrement et ailleurs. On est en train de croiser des trucs là. D’ailleurs, c’est bien le boulot de Grimpi, c’est de l’ordre de l’évolution sociologique actuelle, indirectement occasionnée par les TIC. Un groupe comme ça, un groupe informel qu’on reconnaît, à qui l’Etat reconnaît une réalité alors qu’on est même pas une association 1901, c’est complètement nouveau. Un groupe qui n’est pas dans une association et qui est identifié comme partenaire sur le territoire... Maintenant, que ce soit à la Préfecture ou au contrat global, on nous dit « le groupe Grimpi, vous pensez que... ? ».

Qu’est-ce qui va favoriser l’action de Grimpi ?

D’abord le contexte politique qui va favoriser l’émergence de ce genre de démarche innovante...

Ca rejoint la question suivante, comment l’action de Grimpi s’inscrit sur le territoire en général et plus particulièrement par rapport aux inforoutes ?

Ca s’articule avec, de fait. Il s’est ouvert à la mairie d’Aubenas, et là tu vas comprendre toute l’ampleur du conflit, un centre de communication financé par les inforoutes, cautionné par la mairie d’Aubenas, dont on a découvert l’existence ces derniers jours et qui s’est ouvert d’ailleurs avec une grande discrétion pour pas nous choquer, semble t-il...et qui est dans la logique pure des inforoutes, c’est-à-dire les inforoutes finançant quelques centres avec le matériel et l’animateur qu’on y met dedans, qui n’est autre que mon ancienne secrétaire...dont je connais les capacités. C’est bien, si ce n’est que ça démontre de la part d’Aubenas une volonté de jouer en parallèle puisqu’à aucun moment on ne nous a prévenu, alors qu’Aubenas a assisté au groupe Grimpi... C vient, il est quand même maire-adjoint...

Comment il s’est positionné par rapport à ça ?

Il est obligé de se battre. Il a été obligé d’interpeller le maire lui-même en lui disant qu’il fallait qu’il arrête de jouer au con. Et il lui a dit « ou je suis maire-adjoint chargé des communications et je m’en occupe ou c’est C et je m’occupe plus de rien du tout et je fais autre chose ». Il y a donc une division en interne dans la mairie. Nous, on la subit et on continue à faire semblant de jouer correctement avec.

Je crois que c’est par l’Etat, par les préfets et sous-préfets que si on fait une action commune elle marchera. Enfin, ils savent bien faire aussi, s’appuyer sur des idées...moi, ils m’ont déjà piquer les PIMS, les points d’information multi-services...ils m’ont piqué l’idée, j’ai jamais vu les sous mais on m’a bien félicité d’avoir eu une excellente idée puisque c’était mon rôle en tant que chef de projet.

Ce qui est intéressant, c’est de voir que le contrat global accepte de financer Mesiane sur deux ans, c’est donc une reconnaissance officielle de ce qu’on a fait.

Juste une question, puisque tu les cites souvent ; comment s’inscrivent dans tout ça les Greta, Sivu et Seba et compagnie ?

Ce sont des partenaires, ils viennent à l’information, dans le réseau, ils se mettent aux normes, ou ils ont des propositions et on les aide à les bâtir s’ils sont demandeurs et sinon et bien il y a rien. Greta et le lycée agricole sont venus à un moment et puis plus rien. Il faut dire qu’on a pas toujours eu une attitude très ouverte vis à vis d’eux car un des problèmes...enfin, tu le gardes pour toi, c’est que le double positionnement de Patrice en tant que vendeur de produits informatiques et son rôle en tant que leader dans un projet de développement local crée une ambiguïté à un moment donné. Donc, si on aide à se développer un projet d’un type qui veut faire du PAO ou je’ sais pas quoi, on est très vite dans la concurrence. Il faut vraiment que le projet ne soit que consommateur de biens informatiques et pas producteur pour ne pas être en concurrence avec P.

Sur un objectif qui était d’être de la réflexion prospective, on en a fait plus qu’il ne fallait en faire. Par rapport ce que je connais de la lenteur des mentalités dans ces pays ruraux, de la difficulté d’accès au concept technologique de transmission de données par internet, on a été à une vitesse normale, plutôt vite. Ce que je trouve négatif, c’est qu’on est pas tolérant vis à vis de certains acteurs.

Pour ce qui est des applications, ça se diffuse quand même, il y a pleins de choses qui bougent. Le fait que nous on ait porté une demande auprès du contrat global qui la rediffuse ensuite auprès des maires, pour qu’ils aient accepté de financer Mesiane, c’est qu’ils ont compris. D’ailleurs, ça répond à ta dernière question.

C’est plus une action de sensibilisation Grimpi, c’est plus innover ?

Il me manque un mot, c’est réfléchir. C’est un groupe qui est innovant et qui a pas peur d’entreprendre, médiateur dans le sens où on a su établir des ponts avec des institutions. On a apporté à la collectivité avec cette diffusion permanente du discours sur les TIC. Oui, on a une fonction de diffusion.

En tout cas, ce que je ressens en terme de conclusion, c’est qu’il s’agit d’un groupe qui va être instable, qui demande qu’à repartir mais à qui il faut de nouvelles bases. Ca fait deux ou trois réunions où il faut se remotiver. Moi, je suis obligée de me poser la question de savoir pourquoi à un moment donné j’ai arrêté de faire des compte-rendu. Il s’est établi une sorte de concurrence entre C, P et moi, j’envoyais des choses par fax ou internet, eux balançaient sur lotus notes. On a réalisé qu’on avait créé deux groupes, l’un en intranet sur lotus notes, l’autre autour et à un moment donné, j’ai dit j’arrête et effectivement le groupe s’est sclérosé sur l’intranet, plus toi que j’ai continué à prévenir. Je suis en train de me dire que si je veux que ce groupe redémarre, ça dépendra de moi, sinon, on restera sur la cellule Mesiane. D’ailleurs, c’est là aussi qu’on voit la différence de fonctionnement liée aux technologies. Yvon Alain continue à participer au forum, pour nous, c’est comme si il était à Largentière, il est aussi présent qu’avant, il répond.