I. Les écarts sociaux et culturels liés aux formes du recrutement social disciplinaire : un processus diachronique de production et de définition des populations étudiantes

Premièrement. Lorsqu’ils entrent dans l’enseignement supérieur, les étudiants ont déjà derrière eux un long passé scolaire, fait de succès et/ou d’échecs, de sélections, d’orientations plus ou moins électives et scolairement prestigieuses. Ce passé scolaire, une fois transmué en un actif ou un passif scolaire, ouvre et ferme des portes, autorise ou non l’entrée dans certains secteurs de l’enseignement supérieur. Bref, lorsqu’ils arrivent à l’université, les étudiants ont déjà fait l’objet d’une multitude de tris et de filtrages scolaires dont dépend, dans une très large mesure, leur orientation présente dans tel ou tel secteur du supérieur.

Or les sociologues ont depuis longtemps montré que ces tris scolaires ne s’effectuaient pas statistiquement au hasard. Le développement massif de la scolarisation et l’allongement général des scolarités a eu pour effet non d’annuler les inégalités sociales, mais de les faire changer de forme36. De plus en plus médiatisées par l’école, les inégalités sociales subsistent mais se transmuent en inégalités de résultats, d’orientations et de parcours scolaires dans un système de plus en plus hiérarchisé et hiérarchisant37. Les trajectoires scolaires, les chances d’accès à l’enseignement supérieur en général et à ses différents secteurs en particulier sont ainsi statistiquement fortement corrélées aux milieux sociaux d’appartenance et à l’appartenance sexuelle si l’on en reste ici aux variables réputées les plus discriminantes.

« Selon leur origine sociale ou leur sexe notamment, les étudiants n’ont pas une égale probabilité de fréquenter les différents secteurs de l’enseignement supérieur, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas une égale probabilité d’être confrontés aux mêmes situations, aux mêmes contextes pédagogiques »38. Autrement dit, les orientations universitaires des étudiants, et donc leurs situations universitaires présentes, qui dépendent pour une bonne part de leur passé et de leurs parcours scolaires antérieurs, ne sont pas statistiquement indépendantes de leurs conditions sociales d’appartenance et d’existence, les parcours scolaires étant eux-mêmes statistiquement fortement corrélés à ces dernières.

Notes
36.

QUEIROZ Jean-Manuel de, L’École et ses sociologies, Paris, Nathan/128, 1995, pp. 13-20.

37.

Comme l’écrit Jean-Claude Passeron, « (...) les effets sociaux de la “dévaluation des diplômes” sur le marché du travail et la hiérarchisation des filières qui se sont multipliées assurent par des voies fonctionnement équivalentes la fonction de modérateur de la mobilité sociale que l’exclusion scolaire réalisait plus brutalement et plus visiblement dans l’état antérieur des rapports entre stratification sociale et accès à l’École. La hiérarchie des filières et des établissements scolaires est aujourd’hui beaucoup plus directement en rapport avec les chances de débouchés professionnels que l’opposition entre scolarisation et exclusion ou que le temps passé dans les études. C’est un fait : depuis que la croissance économique associée à la demande éducative de nouvelles catégories sociales a réussi à transformer le recrutement de l’École, c’est tout le système des rapports entre qualification scolaire et stratification sociale qui, en se transformant, a tendu à minimiser les effets sociaux de la première transformation », in Le Raisonnement sociologique. L’espace non-poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991, p. 100.

38.

LAHIRE Bernard (avec la collaboration de MILLET Mathias et PARDELL Everest), Les Manières d’étudier, Paris, La Documentation française, Cahiers de l’O.V.E. (2), 1997, p. 11.