I. Tableau général des conditions d’accès aux différents secteurs de l’enseignement supérieur

I.A. Inégalités sociales dans l’accès à l’enseignement supérieur

L’étude de la représentation statistique des différentes catégories socio-professionnelles dans le supérieur montre que les étudiants issus des cadres et professions intellectuelles supérieures y sont encore largement sur-représentés alors que les étudiants issus des groupes sociaux les plus dominés, bien que présents en de plus fortes proportions aujourd’hui, restent sous-représentés. Les premiers composent en effet 32,3% des effectifs du supérieur, contre 18,1% pour les étudiants issus des professions intermédiaires, 7,9% pour les étudiants de parents artisans, commerçants ou industriels, 16,7% pour les étudiants de parents employés, 17% pour les étudiants dont les parents sont ouvriers, et 3,6% pour les étudiants de parents agriculteurs49.

Les écarts ont certes été réduits ces trentes dernières années puisque d’une représentation de dix fois supérieure des catégories socio-professionnelles les plus hautes sur les catégories les plus basses en 1960, on est passé aujourd’hui à une représentation de seulement quatre fois supérieure50. La différence reste toutefois considérable lorsque l’on sait que la représentation statistique des différentes catégories socio-professionnelles dans l’enseignement supérieur demeure inversement proportionnelle à leur poids statistique dans la population active.

En 1962, les ouvriers constituaient 37% de la population active mais ne fournissaient que 6% d’étudiants, alors que les cadres supérieurs et professions libérales qui représentaient 4% seulement de la population active comptaient 28,5% d’étudiants. En 1990, les enfants d’ouvriers représentent 14% des étudiants, alors que les ouvriers forment 28% de la population active. Les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures, pour leur part, fournissent 30% des étudiants pour seulement 10% de la population active51. De ceci l’on doit donc scientifiquement conclure que c’est à une toujours forte sur-représentation des classes supérieures dans l’enseignement supérieur et à une non moins forte sous-représentation des classes populaires que l’on a affaire, aujourd’hui encore. Et non à une soit disante “moyennisation” du public étudiant52.

De même, si les écarts dans les chances statistiques d’accès à l’enseignement supérieur ont considérablement diminués depuis les années 60, ils n’ont pas pour autant disparu. Là où, en 1962, un enfant de cadre supérieur ou de profession libérale avait quarante fois plus de chances d’aller à l’université qu’un enfant d’ouvrier, il ne bénéficie aujourd’hui que de sept fois plus de chances. L’avantage demeure, là encore, considérable si l’on précise par ailleurs que les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures bénéficient également des chances statistiques de longévité scolaire les plus fortes53 et conservent, dans une très large mesure, le privilège de l’orientation dans les secteurs les plus sélectifs de l’enseignement supérieur, c’est-à-dire dans les deux cas, les chances d’accès les plus fortes aux diplômes les plus rares54.

Notes
49.

GRIGNON Claude, GRUEL Louis, BENSOUSSAN Bernard, Les Conditions de vie des étudiants, Opus-cité, pp.11-12.

50.

ERLICH Valérie, Les Étudiants, un groupe social..., Opus-cité, p.180.

51.

ERLICH Valérie, Les Étudiants, un groupe social..., Opus-cité, p.183.

52.

Olivier Galland ne doit cette affirmation qu’à l’oubli des conditions de production de son information puisqu’il généralise abusivement ici des constats établis à partir des franges institutionnelles les plus dominées de l’enseignement supérieur. Il n’enquête en effet ni auprès des établissements les plus prestigieux comme les CPGE, ni auprès des filières universitaires les plus prestigieuses, comme la médecine... GALLAND Olivier (sous la direction), Le Monde des étudiants, Paris, PUF, Coll. Sociologie, 1995.

53.

« Dans la grande majorité des cas, les enfants de cadres enregistrent les meilleurs résultats scolaires (italique auteur) et ont les meilleures chances d’accès en deuxième cycle universitaire. En 1990, la probabilité pour un enfant de cadre supérieur d’accéder à un second cycle universitaire est de 61%. Elle n’est que de 48% pour un enfant d’ouvrier (italique auteur) », in ERLICH Valérie, Les Étudiants, un groupe social..., Opus-cité, p.209.

54.

Ce qui ne signifie pas évidemment que tous les étudiants issus des milieux supérieurs s’orientent dans des filières sélectives et prestigieuses.