I.A. Faire médecine par “vocation” professionnelle
Si, comme nous le verrons plus avant, quelques étudiants viennent à la médecine par le détour de réorientations, force est de constater que les études de médecine constituent ici, c’est-à-dire pour l'immense majorité de nos enquêtés, toutes catégories confondues (sociale, sexuelle...), un premier choix et un choix hautement électif. Au sortir du secondaire, ces étudiants prennent d’emblée les études médicales pour première et unique inscription dans l’enseignement supérieur. Les études de médecine, qui s’inscrivent dans la continuité des études secondaires, constituent alors une orientation pressentie depuis plusieurs années avant la sortie du lycée.
« C’est vraiment ce que je voulais faire », « C’est la seule chose que je voulais faire », « J’ai toujours eu envie de faire ça, même quand j’étais petite », sont autant de formules étudiantes qui résument parfaitement le sentiment général. L’orientation universitaire de ces étudiants laisse, rétrospectivement, une indéniable impression d’assurance et de sérénité. Contrairement à ce qui se passe en sociologie, on le verra, les études de médecine ne sont jamais présentée sous l’angle d’une orientation négative ou d’un choix forcé. On ne fait pas médecine contre son gré ou « par dépit ».
Et lorsque parmi eux l’on rencontre des étudiants qui ont fait acte de candidature (dossiers déposés et/ou inscription à des concours) dans d’autres filières d’études, il s’agit d’actes de candidature préventifs. Ils ne sont pas le signe d’une inscription par défaut dans le cursus médical ou l’expression de choix préférentiels non satisfaits. C’est, en effet, le souci de « ne pas fermer des portes » trop rapidement, de ménager d’éventuelles hésitations d'orientation, de se munir de quelques précautions, etc., qui, en filigrane, se profile derrière ces initiatives, non des tentatives malheureuses par lesquelles les étudiants auraient sans succès désiré suivre une autre voie d’études. Précautions prises sur l’avenir plus que préférences donc.
‘« M.M. : Vous vous êtes inscrite directement en médecine est-ce que /
Enquêtée : Ouais ! /
M.M. : vous avez essayé de faire autre chose ?
Enquêtée : Non !
M.M. : C'est ce que vous vouliez faire ?
Enquêtée : Ouais. (Avec satisfaction) Depuis que j'ai six ans !
M.M. : Ah ouais d'accord
Enquêtée : (en souriant) Mm ! ». {Baccalauréat D, mention Assez bien, Père : Ouvrier non qualifié ; Mère : Coiffeuse (CAP)}
« M.M. : Vous vous êtes inscrite en médecine, est-ce que c'est ce que vous vouliez faire, est-ce que vous avez tenté d'autres choses ?
Enquêtée : Non non ! C'était la seule chose que j'ai voulu. Je me suis inscrite en première année de médecine, et d'ailleurs quand j'ai échoué ma première année pour me réinscrire en deuxième première année, il valait mieux se réinscrire à d'autres sections au cas où on échouait une deuxième fois et qu'on était donc éliminé des études médicales. Et je me suis inscrite seulement en médecine
M.M. : seulement en médecine ?
Enquêtée : Mm. C'était vraiment ce que je voulais faire
M.M. : D'accord, c'était un... une volonté /
Enquêtée : / Une vocation, je sais pas (rires) ». {Baccalauréat D, mention Bien, Père : Pépiniériste, École d’Horticulture de Versailles (école d’ingénieur) ; Mère : Professeur de Yoga (BTS de tourisme)}.
« M.M. : Vous vous êtes inscrit directement en médecine ?
Enquêté : Ouais ouais !
M.M. : C’est ce que vous vouliez faire ?
Enquêté : Ah ouais ouais ! Je me suis d’ailleurs pas trop foulé (...) je voulais m’orienter en tout cas au moins vers ce qui était soit biologie soit médical donc c’est pour ça que je n’ai pas du me fouler consciemment ou inconsciemment en première pour passer en C et donc je me suis dit une D ça ira très bien. Puis après je me suis dis : “c’est bien médecine que je veux faire”, je me suis inscrit là directement ! ». {Baccalauréat D, mention Assez bien, Père : Maître de conférences en anglais, agrégé d’anglais et docteur ès langue ; Mère : Professeur d’anglais en lycée, certifiée d’anglais, diplômée de l’École d’interprétariat}.
« M.M. : et après la terminale, vous vous êtes inscrit directement en médecine ?
Enquêté : Ouais ! Ouais ouais !
M.M. : Ou est-ce que vous avez essayé aussi de faire autre chose ?
Enquêté : Non non non ! Je me suis inscrit directement en médecine !
M.M. : C’est ce que vous vouliez faire ?
Enquêté : Ah ouais ouais ouais ! » {Baccalauréat D, mention Assez bien ; Père : Chef d’équipe SNCF (département entretien), Niveau certificat d’études ; Mère : Employée de gestion du personnel à la Poste, Certificat d’études}.
« M.M. : Vous vous êtes inscrite donc en première année de médecine /
Enquêtée : / de médecine ouais !
M.M. : C'est ce que vous vouliez faire ?
Enquêtée : Oui !
M.M. : Ou est-ce que vous avez essayé de passer autres choses ?
Enquêtée : Ah non non ! Je suis allée directement en première année de médecine ». {Baccalauréat D, mention Assez bien, Père : Ouvrier garnisseur ; Mère : au foyer}
« M.M. : Alors, après le bac, vous vous êtes inscrite directement en médecine ?
Enquêtée : Mm ! Ouais !
M.M. : C’est ce que vous vouliez faire ?
Enquêtée : Ben, je voulais faire médecine pour être psy, et voilà, (en souriant) je n’ai pas changé d’avis (rires) ». {Baccalauréat C, mention Assez bien, Père : Enseignant certifié de mathématiques et physique dans un collège ; Mère : Directrice d’école maternelle}
« M.M. : Vous vous êtes inscrite directement en médecine ?
Enquêtée : Mm ! Ouais ouais !
M.M. : C’est ce que vous vouliez faire ? Vous avez essayé d’autres choses ?
Enquêtée : Ouais, c’est ce que je voulais faire ! Et puis je me suis inscrite que là de toute façon ». {Baccalauréat D, Père : Ouvrier carrossier automobile (niveau CAP) ; Mère : Agent de service dans une école (diplôme de secrétaire médicale)}.
« M.M. : Tu t'es inscrite directement en médecine /
Enquêtée : / Ouais /
M.M. : / ou est-ce que tu as essayé de faire autre chose ?
Enquêtée : Directement en médecine !
M.M. : Ouais. Tu n'as pas passé de concours ?
Enquêtée : Non ! C'était vraiment ce que je voulais faire ! ». {Baccalauréat C, mention Assez bien, Père, Ingénieur en textiles ; Mère : infirmière libérale}.
« M.M. : d'accord, ensuite donc vous vous êtes inscrit en médecine, tout de suite ?
Enquêté : non en Terminale j'ai passé le concours Service de Santé [ESSA]
70
, et j'ai eu mes résultats au mois d'août, (imperceptiblement) et je suis rentré à l'école, et donc en première année de médecine en même temps [...]
M.M. : d'accord, et pourquoi est-ce que vous avez passé ce concours ?
Enquêté : ah ! (petit rire malicieux)... (en souriant) pourquoi ? Ben déjà je voulais faire médecine avant tout (...) j'ai entendu parlé de ça [du concours ESSA] en terminale seulement [...] je me suis renseigné, il y avait un concours qui se passait vers le mois de mai... donc rien que ça, ça faisait une bonne préparation au bac et moi j'avais l'impression que ça me permettait de juger ce que je valais par rapport aux gens qui a priori se présenteraient aussi en médecine. [...]
M.M. : d'accord... et donc c'est ce que vous vouliez faire la médecine, vous n'avez pas essayé de passer d'autres choses ?
Enquêté : Si, j'avais demandé comment dire (...) (imperceptiblement) une autre prépa, qui... mais bon (...) je ne me sentais pas partir euh (...) moi je n’ai pas un caractère je pense qui s'adapte à tout ce qui est économie, HEC, tout ça, (imperceptiblement-chuchotant) je ne me sentais pas dans ce milieu là, et puis... histoire géo, les langues, c'était pas mon fort. Moi ce qui m'intéressait (sourire), (imperceptiblement) c’était médecine. C'est vrai que ça m'est venu assez tard (...) parce que souvent c'est des gens qui disent "bon je veux faire ça depuis tout petit", souvent ces gens-là, je crois que c'est des gens qui sont dans le milieu médical, qui ont des parents dans ce milieu, ce qui était pas du tout mon cas, parce que je connais (...) aucun médecin dans ma famille, donc c'est vrai, ça m'est venu entre la seconde et... la première [...] Puis tout ce qui était math (4 secondes) la carrière d'ingénieur, , ça ne me plaisait pas particulièrement puis là je trouve que... j'sais pas je dois, derrière euh... derrière le médecin, il y a une image qui me plaît bien [...]
M.M. : ouais... d'accord, et vous avez tenté de rentrer dans quelle classe préparatoire ?
Enquêté : j'ai tenté math sup
M.M. : d'accord, et vous avez été retenu ?
Enquêté : ouais ! ». {Baccalauréat C, mention Très bien, Père : Technicien supérieur (niveau BTS), maître d’oeuvre en bâtiment ; Mère : Contrôleur divisionnaire France Télécom}
« M.M. : Vous vous êtes inscrite, c'est ce que vous vouliez faire ou est-ce que /
Enquêtée : / Oui /
M.M. : vous avez essayé de faire d'autres choses ?
Enquêtée : Non !
M.M. : Non. C'est ce que vous vouliez faire
Enquêtée : Mm ! Enfin, non... (en souriant) Attendez ça dépend... En terminale j'ai quand-même passé un autre concours euh (en souriant) j'ai passé le concours de l'ISARA, (en riant) mais comme ça quoi
M.M. : C'est quoi ça le concours de l'ISARA ?
Enquêtée : C'est euh c'est une école de, ptt, d'agronomie, d'agriculture, c'est une école d'ingénieur en cinq ans. (En souriant) C'était un concours commun à plusieurs écoles d'ingénieur et je l'ai passé comme ça, en terminale. (En souriant) Je l'ai planté d'ailleurs, (en riant) mm, magistralement, ouais, mais euh sans aucun regret parce que c'était pas ce que je voulais faire ». {Baccalauréat D, mention Assez bien, Père : Architecte ; Mère : Architecte}.’
Comme le montrent certaines des figures sociales mobilisées par les étudiants pour rendre compte de leur orientation, c’est la réalisation d’une “aspiration professionnelle” qui prime ici, et qui gouverne leur orientation. Les étudiants médecins invoquent davantage leur attirance pour la “chose” médicale et pour la figure sociale médecin que le souci pragmatique des débouchés professionnels71. Non parce que ces étudiants ne seraient guère préoccupés par la question des débouchés professionnels. Mais parce qu’ils trouvent sans nul doute dans le caractère clairement finalisé de la formation médicale et dans l’avenir objectif qui lui est associé, suffisamment d’assurances sur le futur pour ne pas en faire, dans leurs propos, une préoccupation de premier ordre. On fait certes médecine par dessein professionnel. Mais on fait médecine avant tout par “goût”. C’est sur le mode du “choix”, du “projet” voire de la « vocation », que cette orientation trouve ici les modalités habituelles de son expression.
La figure sociale du médecin, en ses différentes facettes (le médecin de famille, le médecin de campagne, la blouse blanche, etc.) continue d’exercer un indéniable pouvoir de séduction et d’attraction sur les étudiants. Comme l’exprime l’un d’eux, « Derrière le médecin, il y a une image qui me plaît bien ». Certains, tout particulièrement les étudiantes, mettent au principe de leur penchant pour la médecine l’image séduisante d’une médecine humaniste, tournée vers les autres, au service d’autrui, celle du médecin de campagne, par exemple, nouant de « vraies relations » avec les patients, connaissant « les familles », « les liens entre les gens », ou encore celle du « médecin sans frontières » dévoué à la cause humanitaire, sanitaire et social. Et quand bien même ces représentations ont parfois bien du mal à supporter l’épreuve du réel, celle d’une médecine de plus en plus rationalisée et technicisée, ces études sont les seules qu’ils aient jamais voulu « vraiment » faire.
‘« Ce qui m'intéressait dans ce métier, c'était la relation avec l'autre, et puis une vraie relation. Pas le médecin qui reçoit le malade pendant 5 minutes, qui écrit son ordonnance et qui le laisse partir. Moi j'ai envie... j'avais envie de quelque chose de plus approfondi et c'est vrai que le médecin de campagne c'est celui qui... il me semble qu’il connaît mieux les gens, qu’il connaît les familles, qu’il connaît les liens entre les gens et c'est vrai que c'est très important dans la maladie. Donc c'est ce que je voulais faire au départ. Mais c'est vrai que quand on commence des études de médecine, il y a la tentation de devenir un grand spécialiste. Mais moi ce qui m'intéresse le plus en ce moment c'est la médecine générale et la médecine interne, vraiment des médecines qui prennent en compte un peu tout, et pas simplement le bras ou le pied ou un cerveau (rires) ». {Baccalauréat D, mention Bien, Père : Pépiniériste, École d’Horticulture de Versailles (école d’ingénieur) ; Mère : Professeur de Yoga (BTS de tourisme)}.
« M.M. : Tu t'es inscrite en médecine immédiatement, est-ce que tu as... C'est ce que tu voulais faire, est-ce que tu as tenté de faire autre chose ? /
Enquêtée : / Ben non parce qu'en fait ce qu'il y a c'est qu'en terminale C j'avais pas trop d'idées au début, (moue indiquant que cela ne l'intéressait pas plus que ça) puis en fait je m'orientais peut être vers une prépa scientifique ou une prépa commerciale mais sans grande conviction pour justement faire général, pour ne pas fermer des portes. Puis en fait, c'est tout bête, ça été en histoire géo, on a commencé à étudier le Tiers-Monde et les médecins sans frontières. Ça m'a paru, je me suis dit "tiens, pourquoi pas ?". C'est vrai que je n'y avais pas pensé, parce que c'est vrai que j'avais toujours l'idée de dix ans d'études euh galère quoi. Puis en fait j'ai commencé à réfléchir, à essayer de me renseigner un peu autour des médecins que je connaissais, des étudiants de médecine et puis je me suis dis "ben pourquoi pas quoi ?". Mais bon quand j'ai commencé c'est vrai que j'étais pas sûre sûre de euh...
M.M. : de continuer ?
Enquêtée : de continuer, alors que là ça va, ça me plaît vraiment ! ». {Baccalauréat C, mention Bien, Père : Directeur commercial France Télécom, Licence de physique-chimie, concours ingénieur interne France-Télécom ; Mère : au foyer, niveau seconde}’
D’autres mettent en scène, comme pour illustrer l'irréductibilité de leur détermination, les résistances qu’ils ont dû opposer à celles et ceux qui, ne les pensant pas faits pour ces études, tentèrent de les en détourner.
‘« Enquêtée : (Souriante et ironique) En première, on m’a dit, vu les notes que j'avais, que c'était pas possible [de faire médecine]. (Sur le ton de la confidence) On m'avait dit : "Faudrait peut être changer d'option parce que vous n'y arriverez pas !". Et puis finalement, en terminale, ça s'est mieux passé et j'ai eu une prof de sciences naturelles aussi qui était extra, donc elle m'a poussée. »
{Baccalauréat D, Père : Professeur de biochimie à la faculté de Médecine, Directeur d’unité INSERM, Docteur en médecine, Docteur en biologie ; Mère au foyer, diplômée d’un BTS d’action sanitaire et sociale}’
Mieux dotés scolairement que les apprentis-sociologues, les apprentis-médecins trouvent dans le caractère sélectif et prestigieux de leur formation, dans l'image socialement valorisée et valorisante du métier, dans la visibilité sociale de la profession, ainsi que dans le champ de possibles relativement élargi qui s’offrait à eux au sortir du baccalauréat, un ensemble de conditions sociales nécessaires pour vivre pleinement leur orientation comme un “choix véritable” et électif. On est loin ici du sentiment de dépossession que bien souvent éprouvent et expriment les étudiants de sociologie face à leur propre destin scolaire.
Dans le meilleurs des cas, lorsqu’ils ont eux-mêmes des médecins dans leur entourage familial, les étudiants font volontiers de leur tendre enfance le moment de leurs premières inclinations pour la médecine. Ces derniers font alors remonter leur séduction pour la « blouse blanche » à leurs plus jeunes années. « Tout petit déjà », ces étudiants affirment avoir été « attirés » par la médecine. Aussi loin qu’ils se le rappellent, c’est médecine qu’ils veulent faire (« depuis
toujours »). Et c’est avec un “bonheur” certain (excitation dans la voix, enthousiasme, rires, sourires, assurance dans le ton, etc.) que le sujet est alors abordé.
‘« M.M. : Tu t'es inscrit directement en médecine ?
Enquêté : (Promptement) Ouais !
M.M. : Et c'est ce que tu voulais faire ou est-ce que tu as essayé d'autres choses ?
Enquêté : Bon, effectivement, au départ je pensais à commerce puis pfffff, en fait (évidence) pour faire commerce il faut avoir un bon dossier. Bon j'étais pas mauvais, mais euh je travaillais pas comme un malade. Donc et puis voilà, dans ma famille j’ai des médecins, j’ai toujours été un peu attiré par ça. Mais je savais que c'était difficile donc je me disais pffff " je sais qu'il y a une grande sélection, j'ai peut-être pas toutes mes chances”. Donc j'ai évoqué l'éventualité de faire commerce mais en fait euh je l'ai vite abandonnée » {Baccalauréat D, Grand-père paternel : Médecin généraliste ; Père : Chirurgien gynécologue ; Frère aîné : Chirurgien obstétricien}.
« M.M. : Vous vous êtes inscrite euh directement en première année de médecine ?
Enquêtée : (Promptement) Ouais !
M.M. : C'est ce que vous vouliez faire ou est-ce que /
Enquêtée : / Ah toujours !
M.M. : Ouais ?
Enquêtée : (Avec un air de fausse modestie) J’ai toujours eu envie de faire ça, même quand j’étais petite. Bon ça voulait rien dire parce que mon père est prof, et est directeur d’une unité INSERM. Mais c’est vrai que ça m’a toujours plu. La blouse blanche m’a toujours séduite et puis j’ai toujours voulu faire ça. [...] Et puis non j’ai toujours voulu faire ça et même pour ma première année, en redoublant, j’aurai pu avoir la possibilité de préparer des concours para-médicaux, donc infirmière et kiné et puis d’autres, ou de m’inscrire à la Doua. Je l’ai pas fait ! » (Baccalauréat D, Père : professeur de biochimie à la faculté de Médecine, Directeur d’unité INSERM, Docteur en médecine, Docteur en biologie ; Mère au foyer, diplômée d’un BTS d’action sanitaire et sociale).
« M.M. : Tu t'es tout de suite inscrit en médecine ?
Enquêté : Mm ! Mm !
M.M. : Est-ce que c'est ce que tu voulais faire, est-ce que /
Enquêté : / Ouais ! Ouais ouais, c'est pas par dépit (sur un ton qui sous-entend : “on ne fait pas médecine par dépit”)
M.M. : (Amusé) Hen hen
Enquêté : Oui, tout de suite oui
M.M. : Oui, tu n'as pas essayé autre chose ?
Enquêté : (Ferme) Nan ! »’
Cet enquêté rencontre de grosses difficultés pour réussir le concours de première année. Il échoue deux fois de suite un concours qui ne se présente, sauf exception, que deux fois. Mais il obtient une dérogation qui l’autorise à le tenter une troisième fois, et ce, au risque de perdre une année supplémentaire :
‘« Enquêté: Je m'étais dit "ça vaut le coup de continuer, au moins de tenter la chance", comme ça je me disais : "j’aurais tout tenté. Au moins, si je rate en triplant (souriant légèrement) bon, j'aurais plus de regret. Au moins je l'aurais fait". Alors que si j'avais fait autre chose après euh je pense que j'aurais eu des remords sachant que c'est quelque chose que je veux faire depuis... vraiment depuis que je suis petit ». {Baccalauréat D, mention Assez bien, Grand-père paternel : Médecin spécialiste ; Père : Professeur de médecine interne à la faculté de médecine, Chef de clinique ; Mère : Psychothérapeute libérale ; Soeur aînée : Internat de psychiatrie}.’
Le milieu familial exerce ici une influence incontestable sur l’orientation présente de ces étudiants et son vécu qui, dès le plus jeune âge et en raison même de leur appartenance, ont pu identifier en la médecine une orientation scolaire et professionnelle possible là où d’autres n’avaient guère l’occasion de le faire. C’est bien parce qu’ils ont toujours côtoyé des médecins par l’intermédiaire de leurs proches que leur orientation recouvre la forme du rapport d’évidence et de félicité. Nos interviewés font d’ailleurs d’eux-mêmes le lien entre leur entourage familial et l’aspect “vocationnel” que pour eux la médecine représente. Dans ces conditions, on comprend que l’orientation en médecine semble ici, plus qu’ailleurs, gouverné par la réalisation d’une “vocation” professionnelle qui puise ses racines dans la précocité de leurs rapports avec la figure du médecin.