I.B. Des réorientations scolairement cossues

Si la grande majorité des étudiants s’inscrivent directement en médecine sans tergiverser et passer par d’autres filières d'études, ce qui est déjà le signe d’un bon sens de l'orientation, il est cependant des exceptions. Quelques étudiants intègrent en effet les études de médecine à la suite d’une ou plusieurs réorientations. Mais il convient d’en préciser les contextes. Car au-delà des différences entre les cas de figures regroupés ici même, ces réorientations ont peu de points communs avec celles d’étudiants scolairement démunis et/ou “déboussolés”. Elles sont plutôt le fait d'étudiants fortement dotés scolairement qui, en sortant du lycée, bénéficient d’un champ de possibles relativement élargi et disposent de plusieurs flèches à leur arc scolaire.

On peut ici distinguer deux cas de figures qui diffèrent sensiblement par les processus de réorientation qu’ils donnent à voir. Le premier, qui concerne deux de nos enquêtés, renvoie à des étudiants détenteurs de baccalauréats scientifiques avec mention. Peu fixés sur la suite qu’il convenait de donner à leurs études au sortir du secondaire mais fortement dotés scolairement, ces étudiants se sont d’abord orientés en direction des établissements les plus réputés, les classes préparatoires, hésitant ainsi entre différentes solutions scolairement prestigieuses, avant de se réorienter en médecine. C’est d’ailleurs en partie dans le rejet du fonctionnement scolaire des classes préparatoires que ces étudiants se réorientent en médecine qui offre à la fois les avantages scolaires et sociaux d’une filière prestigieuse et ceux d’un mode de fonctionnement plus universitaire, c’est-à-dire moins strict, moins contraignant et moins intensif.

Le deuxième cas est celui d’une reconversion scolaire réussie, statistiquement improbable, d’une étudiante littéraire, fille de médecin, insatisfaite de son orientation initiale. Mais dans les deux cas, les réorientations ne sont en aucune façon la conséquence d’un échec dans le cursus initial. On quitte un cursus prestigieux pour un autre ; on réussit une reconversion scolaire en direction d'un cursus plus prestigieux72. On ne peut donc mettre sur le même plan, comme nous le verrons plus avant, ces réorientations et celles des étudiants sociologues, souvent plus proches de “l'échec” et de la désorientation que de la quête personnelle.

Cet étudiant termine avec un an d’avance son cycle d'études secondaires. Il décroche un baccalauréat C mention “Bien”. Il n’est pas alors fixé sur la suite qu’il souhaite donner à ses études. Il entre, dans un premier temps, en Mathématiques Supérieures pour « suivre » ses copains. Mais ces études ne lui plaisent guère. Il termine son année scolaire avec succès mais décide de ne pas poursuivre dans cette voie. Toujours sur les conseils d’anciens camarades, il se réoriente en classe préparatoire H.E.C. Son dossier de candidature est retenu. Il y effectue une année, passe avec succès les épreuves d’admissibilité de fin d’année mais ne présente pas les épreuves d’admission. Il ne souhaite pas poursuivre et s’inscrit en médecine... {Baccalauréat C, mention Bien, Père : Ingénieur conseil libéral ; Mère : Médecin acupuncteur homéopathe libéral}.

Cet enquêté obtient un baccalauréat D mention “Assez Bien”. Il entre en classe préparatoire biologie mathématiques supérieures. Deux semaines suffisent à le dissuader de poursuivre une formation qu’il estime trop scolaire. Il se réoriente en médecine... {Baccalauréat D, mention Assez bien, Père : Kinésithérapeute ; Mère : Sténodactylographe, Esthéticienne}.

De formation littéraire, détentrice d’un baccalauréat A2 mention “Assez Bien”, cette étudiante s’inscrit en Faculté d’Histoire avec une sous-dominante Lettres modernes. Elle convertit sa sous-dominante Lettres modernes en dominante à la fin de sa première année. Elle obtient son DEUG de Lettres en deux ans avec une mention à la clef, mais souhaite changer d’orientation et faire tout autre chose. Elle tente une inscription en médecine... {Baccalauréat A2, mention Assez bien, Père : Médecin généraliste ; Mère : au foyer, diplôme d’infirmière}

Notes
72.

Preuve supplémentaire de la compétitivité scolaire de ces étudiants, ces derniers comptent au nombre des étudiants médecins “primants”, c’est-à-dire de ceux qui décrochent le concours de médecine dès la première tentative. Ce fait est assez exceptionnel puisque l’immense majorité des “carabins” n’obtient le concours qu’au deuxième essai...