II.B. Les études de sociologie pour choisir quelque chose...

II.B.1. Une orientation de “dernière minute”

Outre ces deux processus d’orientation en sociologie, par réorientation et par éviction, on trouve des étudiants dont l’orientation s’opère à la fois par improvisation et par élimination. C’est ainsi, par exemple, que, faute d’aspirations scolaires véritables, d’informations solides sur leurs différentes possibilités scolaires, certains étudiants se déterminent peu ou prou au hasard, à la dernière minute, et parfois même au moment de l’inscription.

On retrouve ici quelques similitudes entre ces étudiants et ceux de médecine dont l’inscription fut une réponse improvisée à une situation relativement imprévue. Mais à la différence près que le caractère impromptu de l’orientation ne réside pas ici dans une perception initiale de la discipline d’inscription comme avenir scolaire “impossible” ou “improbable”. Il demeure davantage dans le fait d’accéder soudainement à l’enseignement supérieur, c’est-à-dire d’être confronté à une situation inédite à laquelle ces étudiants n’étaient guère préparés.

C’est, une fois encore, les modalités d’un choix par défaut que l’on retrouve ici-même et, plus précisément encore, par élimination. Il suffit de suivre la logique des propos de nos interlocuteurs pour s’en convaincre. C’est par exclusion et refus spontanés de certaines orientations, objectivement envisageables, que les intéressés se dirigent vers les études de sociologie. Ces dernières sont alors pour eux les moins déplaisantes, ou, pour dire les choses positivement, les plus intéressantes parmi un ensemble visiblement peu enthousiasmant de possibles.

Tout se passe comme si ces étudiants entraient dans le supérieur sans souhaits ni exigences particulières. On voit là combien l’absence de “vocation” scolaire positive, comme le fait par exemple de n’avoir pas d’“envies” ou de souhaits particuliers en matière de formation, d’être largement irrésolu sur la direction à prendre, peut avoir pour principe le fait de payer au prix fort une accession à l’enseignement supérieur par une restriction plus ou moins sévère du champ des possibles scolaires et une relégation dans les faculté les moins sélectives75.

Comment choisir en effet parmi un ensemble de filières souvent mal connues, à faible visibilité sociale, dont on ne connaît pas toujours les contenus d’enseignement, dont les débouchés professionnels sont incertains, parfois non explicitement articulées à des professions précises, et qui, de surcroît, ne correspondent à aucune sorte de projet ou d’aspiration intellectuels ?

‘« M.M. : Et comment est-ce que vous êtes arrivé en sociologie ? C'est ce que vous vouliez faire, vous avez essayez d'autres choses ?
Enquêté : Non ! En fait, je m'étais inscrit euh (...) j'avais fait des demandes pour faire un BTS de fffff... Je savais pas vraiment vraiment pas quoi faire en fait après le bac, donc je voulais faire un BTS de commerce international pour pouvoir partir à l'étranger peut-être, parce que c'était un truc qui m'intéressait, ou alors euh euh de publicité, mais vraiment sans savoir quoi... Et j'ai pas été euh accepté dans les BTS parce que c'est sur dossier et j'avais vraiment euh... j'ai eu mon bac vraiment juste euh juste avec (en souriant) dix quelque chose et puis en première c'était très mauvais donc euh
M.M. : Ouais, ils ne vous ont pas pris
Enquêté : Donc euh non, j'ai pas été pris. Donc je suis venu à Lyon, j'ai un copain qui venait voir ses résultats, et puis je suis venu et j'ai décidé de m'inscrire pour euh pour pas perdre une année au départ. Je suis arrivé, il y avait euh donc Histoire de l'art... ou... socio ou je sais plus encore, peut-être autre chose... Ah oui ! Droit. Mais j'avais pas envie de faire du Droit [...] et puis Histoire de l'art bon... Il y avait une une conseillère d'orientation, je lui ai demandé un petit peu ce que c'était que la socio. Et puis voilà, je me suis inscrit en socio. Mais au dép., quand je suis venu m'inscrire je pensais m'inscrire en Espagnol ou en Anglais. Je voulais faire des langues et puis c'était complet quoi » {Baccalauréat G1, Père : Propriétaire d’un bar de campagne, CAP de maçonnerie ; Mère : Vendeuse dans un magasin de vêtements, CAP de secrétariat}.
« M.M. : Tu t'es donc présenté ensuite en sociologie, c'est ce que tu voulais faire ?
Enquêté : (souriant d'évidence) Non... (je souris), non [...] parce que j'avais pas de... aucune... j'avais aucune connaissance sur les contenus de l'enseignement, à quoi ça pouvait mener euh mais précisément quoi, quels débouchés euh professionnels ça pouvait donner, que ce soit aussi bien en socio ou en psycho, ou toutes les sciences humaines donc. J'avais une idée euh sur les BTS euh (...) techniques comme euh Forces de vente, Actions commerciales, etc. qui sont ouverts quand on sort de B. [...] Ça me branchait vraiment pas de faire ça [...] Ça s'est passé très vite entre le moment où j'ai eu mon bac, et euh le moment des inscriptions quoi euh une quinzaine de jours je crois entre les résultats du bac et euh s'inscrire avant le cinq juillet au premier tour. On est allé avec des copains sur les quais à Lyon 2 et euh... et vraiment euh (en souriant) une minute ou deux avant de m'inscrire je savais toujours pas ce que j'allais faire quoi, c'était : "bon, je fais quoi, AES, socio euh psycho euh, AES, socio, psycho... bon aller : socio, on verra bien". Je me suis inscrit en socio
M.M. : Donc en fait t'as choisi au hasard quoi
Enquêté : Ouais quasiment au hasard, (rires), voilà comment ça, comment ça raisonnait dans ma tête quoi » {Baccalauréat B, mention Assez bien, Père : Ouvrier cisailleur retraité, Analphabète ; Mère : Sans profession, Analphabète}.’
Notes
75.

BOURDIEU Pierre, PASSERON Jean-Claude, Les Héritiers, Opus-cité, p.17.