II.C. Les études de sociologie comme orientation positive

II.C.1. La sociologie pour les contenus d’enseignement

Quelques étudiantes mettent au principe de leur orientation les “contenus” d’enseignement (entendu au sens large) de la discipline d’études. C’est l’aspect qui prime dans les propos, quelles que soient par ailleurs les différences entre les trois cas de figure en présence. On ne peut cependant parler, à leur propos, de la sociologie comme d’une “vocation” intellectuelle. La sociologie n’est pas l’objet d’un engouement spécifique. Mais elle représente, au moment de leur inscription, la possibilité de satisfaire des intérêts de type intellectuel. C’est là la raison explicite de leur choix. C’est par l’intermédiaire de leurs connaissances (un enseignant, une fréquentation amicale) que ces étudiantes ont forgé une première opinion de la sociologie pour finalement s’y orienter.

Pour l’une, il s’agissait de suivre une formation en ethnologie. Pour l’autre, il s’agissait de se donner la possibilité de suivre une filière parmi les “Lettres et sciences humaines” qui n’exclue pas l’étude des mathématiques. Pour une autre encore, il s’agissait de changer de matière d’études en passant d’un cursus secondaire à dominante scientifique à un cursus supérieur plus “littéraire”... Le caractère explicitement résolu de leur orientation ne doit toutefois pas masquer les restrictions objectives qui malgré tout la sous-tendent. Les modalités concrètes d’orientation de ces étudiantes restent directement liées non seulement à leur appartenance sexuelle mais également à leur relative dépossession scolaire.

Détentrice d’un baccalauréat scientifique, le choix de la sociologie s’opère clairement, pour cette étudiante, contre les disciplines à dominante scientifique. De même que certains étudiants font “sciences” pour ne pas faire “lettres”, de même s’oriente-t-elle dans les sciences humaines avant tout pour ne pas suivre une filière scientifique à laquelle son cursus secondaire la prédisposait. Le choix de la sociologie a d’ailleurs quelque chose d’un peu “hasardeux” dans la mesure où, ainsi qu’elle le concède, « je ne savais pas trop ce que c'était quand-même ». D’un point de vue strictement rationnel, on pourrait dire que cette reconversion est un mauvais “calcul” scolaire puisqu’il était théoriquement à sa portée (scolaire) de faire un cursus scientifique socialement et scolairement plus “rentable”. Néanmoins, lorsque l’on sait que l’orientation dans les différents secteurs de l’enseignement supérieur et l’“attirance-répulsion” pour les études scientifiques et littéraires, outre le passé scolaire des étudiants (plutôt scientifique, ou plutôt littéraire...), sont puissamment marquées sexuellement, on comprend que la conversion de cette étudiante répond davantage au critère de la division traditionnelle des aptitudes et des tâches entre les sexes qu’à celui du “calcul rationnel”.

‘« M.M. : Alors après le bac, vous vous êtes inscrites en sociologie ?
Enquêtée : En sociologie oui !
M.M. : Directement ?
Enquêtée : Oui
M.M. : Et c'est ce que vous vouliez faire ?
Enquêtée : Oui (sourire), ouais (rires), en fait je ne savais pas trop ce que c'était quand-même hein
M.M. : Ouais
Enquêtée : Ouais
M.M. : Et alors comment est-ce que vous avez choisi, comme ça ?
Enquêtée : En fait j'avais envie de changer par rapport à ce que j'avais fait avant quoi
M.M. : Ouais
Enquêtée : Je n'avais pas envie de continuer dans les sciences, j'avais envie de voir autre chose, donc c'est pour ça (en souriant) que j'ai fait socio
M.M. : d'où la socio, et vous n'avez pas essayé de d'entrer ailleurs ? Par exemple en psychologie ?
Enquêtée : Non ! non ça ne m'intéressait pas » {Baccalauréat D, mention Assez bien ; Père : Pasteur, études de mécaniques et trois ans d’études dans un Institut biblique ; Mère : sans profession, niveau baccalauréat}.’

Malgré sa préférence pour les disciplines mathématiques, cette étudiante a suivi une formation secondaire à dominante littéraire. Son baccalauréat excluant pratiquement une orientation dans les disciplines à caractère “scientifique”, elle souhaite malgré tout suivre une filière qui n’exclue pas les matières mathématiques. Ce n’est pas tant la sociologie comme discipline spécifique, que la présence d’un enseignement de type “mathématiques” qui préside à son orientation au dépens d’autres possibles comme les langues et le droit par exemple. On s’aperçoit, une fois encore, que l’apparent paradoxe qui la conduit à choisir la sociologie pour des contenus d’enseignement qui sont loin de la caractériser en propre est fonction des limitations objectives constitutives de sa situation personnelle.

‘« M.M. : Donc vous avez eu votre bac A1 et ensuite vous vous êtes inscrite en sociologie directement ?
Enquêtée : Ouais ! Ouais parce qu’en fait je me rappelle que ma prof de math en Terminale, elle disait tout le temps que la seule section... Je veux dire, vu qu'on était une classe de littéraires, il y en avait plein qui s'intéressaient pas du tout aux maths et qui se disaient justement : “de toute façon après on n'en a pas besoin, on va faire de l'anglais, on va faire du droit ou...”, et elle, elle disait : “oui mais si vous faites de la sociologie vous en aurez encore besoin”. Donc je me disais finalement, moi ce qui m'intéresse le plus dans cette terminale, c'est quand-même les maths, donc autant faire une section où il y en a, et c'est à cause de ça que j'ai fait de la socio
M.M. : Au départ c'est pour les maths ?
Enquêtée : Mm ! Et c'est toujours comme ça » {Baccalauréat A1, Père : Professeur de chimie à la faculté de Dijon, Diplômé de l’ECIL, Docteur d’État en chimie ; Mère : sans profession, niveau baccalauréat}.’

Cette étudiante s’oriente en sociologie pour faire de l’ethnologie. A bien des égards, c’est elle qui rend compte de son orientation de la manière la plus positive. Mais ses hésitations “vocationnelles” qui la font balancer entre le journalisme et l’ethnologie montrent que sa situation universitaire présente est autant qu’une “aspiration” scolaire, le résultat d’une auto-censure scolaire, socialement constituée, qui la conduit à s’éliminer d’office d’un cursus certes sélectif mais en adéquation avec son aspiration journalistique : sciences politiques.

‘« M.M. : Alors ensuite tu t'es inscrite en sociologie ?
Enquêtée : Ouais, directe ! Ouais ouais
M.M. : C'est ce que tu voulais faire ?
Enquêtée : Ouais ! Je voulais faire ethno au départ, et pour faire une licence d'ethno, t'es obligé d'avoir un DEUG de socio. Donc euh sociologie !
M.M. : Mm, d'accord, mais tu n’as pas essayé de rentrer ailleurs ou de passer des concours ?
Enquêtée : Non quand je me suis inscrite à la fac, ils m'avaient proposé euh... Parce qu'au départ j'hésitais entre journalisme et puis ethno, puis même encore maintenant, je ne suis pas très fixée, mais ils m'avaient proposé sciences po et puis pffff j'avais pas envie de repartir dans une galère pareille
M.M. : C’est-à-dire une galère pareille ?
Enquêtée : Non mais en plus il fallait euh, le concours était au mois de septembre donc tu avais pas mal de bouquins à lire pendant les vacances et tout. Encore ça, au pire, ça ne m'aurait pas dérangée, mais euh je n'avais pas envie d’études fixes comme ça, puis moi je voulais faire de l'ethno, or à sciences po tu n'en as pas. Puis tu avais des matières à sciences po je me disais que je n'étais pas assez bonne quoi je ne maîtrisais pas assez [...] J'avais une amie qui était en ethno, ça me plaisait bien, puis ça me plaît toujours quoi ! » {Baccalauréat B, Directeur Général d’entreprise et Chef d’entreprise, Certificat d’études ; Mère : sans profession, diplôme d’infirmière}.’