II.C.2. La sociologie pour reprendre des études

Il est particulièrement intéressant de constater que ces nombreuses situations qui donnent déjà un bon aperçu de la diversité des parcours scolaires des étudiants sociologues n’épuisent pas la description des différentes modalités concrètes d’orientation dans la discipline. En sus des cas de figure ci-dessus évoqués viennent encore s’ajouter des étudiants qui s’inscrivent en sociologie non au terme de leur scolarité secondaire, pour poursuivre leur scolarité dans le supérieur, mais pour reprendre des études après plusieurs années passées dans la vie active. Ces derniers ont déjà suivi une formation supérieure, ont exercé ou exercent encore un métier en rapport avec à leur formation professionnelle initiale.

Certains d’entre eux reprennent des études à côté d’une activité professionnelle stable, non dans l’objectif de changer de métier, ni dans celui, par exemple, de valoriser professionnellement l’acquisition de nouvelles compétences, la sociologie étant étrangère à leur champ professionnel. C’est plutôt par plaisir d’étudier et par curiosité intellectuelle pour la discipline, en l’absence de tout enjeu scolaire, que ceux-ci reprennent des études.

Cette étudiante obtient un baccalauréat D. Elle entre en première année de biologie puis se réoriente dans une école d’infirmière d’obédience Croix-Rouge d’où elle se fait exclure pour des problèmes de discipline. Souhaitant en dépit de tout devenir infirmière, elle se réinscrit dans une autre école où elle obtient son diplôme en trois ans. Diplôme en poche, elle travaille plusieurs années. C’est sa formation d'infirmière qui lui fait découvrir la sociologie dont elle garde un bon souvenir. Après plusieurs années d'exercice professionnel, elle décide de reprendre, « pour le plaisir » et à côté de son métier, des études de sociologie. Elle passe son DEUG en deux ans. Puis elle s’arrête un an pour partir en coopération au Rwanda. Elle reprend sa licence l'année où nous la rencontrons. {Baccalauréat D, 29 ans, Infirmière ; Père : Expert agricole ; Mère : Institutrice, École Normale d’Alger}

Cet étudiant passe un baccalauréat E (mathématiques et techniques). Il suit avec succès une année d’IUT de génie électrique. L'IUT ne le passionne pas et il tente avec succès un concours de technicien France-Télécom. Après quelques hésitations, Pierre abandonne son IUT et entre dans la fonction publique. Il n'y reste que 3 ou 4 mois et part à l’armée. De retour, il travaille trois ans à France-Télécom. Las du métier qu’il exerce, il demande et obtient une année de disponibilité pour achever son IUT de génie électrique. Il décroche son DU l'année suivante. Il renouvelle son année de disponibilité et postule pour un poste de maître auxiliaire en génie électrique. Il commence ainsi une carrière d'enseignant en lycée professionnel. Parallèlement à cet activité d'enseignement, il suit des cours du C.N.A.M. en électronique. Il valide son année et entre en deuxième année de faculté de sciences, DEUG A : sciences et structure de la matière. Il échoue le DEUG. Il se réoriente « comme ça » vers des études d’électro-acoustique au conservatoire. Année après année, il enchaîne les postes de maître auxiliaire. Il fini par passer le CAPET (Certificat d’Aptitude au Professorat d’Enseignement Technique) et devient enseignant titulaire. Il enseigne désormais à des terminales F3. C'est pour ne pas cesser les études et pour scruter d’autres horizons intellectuels, comme nous l’explique notre interlocuteur, qu’il décide de suivre un cursus de sociologie. {Baccalauréat E, 31 ans, Enseignant dans le secondaire technique, CAPET ; Père : Facteur à la retraite, certificat d’études ; Mère : sans profession, certificat d’études}.

D’autres, au contraire, reprennent des études après plusieurs années d’expérience professionnelle dans l’objectif avoué d’une reconversion scolaire et professionnelle. Les enjeux investis dans les études ne sont donc pas exactement de même “nature”. Le retour aux études s’accompagne ici de la cessation de toute activité professionnelle. L’étude n’est pas un « à-côté » de la vie sociale, mais bien au contraire se situe en son centre. S’agissant d’opérer une reconversion, l’orientation a été mûrement réfléchie. Le choix de la filière d’études est ici pleinement électif.

D'origine Suisse-allemande, cette étudiante a une formation de laborantine. Ses études achevées, elle part travailler, diplôme en poche, en tant que chercheuse en biochimie. D'abord en Afrique du Sud, ensuite à Bale durant quatre années complètes, puis en Asie. Enfin, elle obtient un poste contractuel de 3 ans à l’Université Américaine de Stanford en Californie. Elle pense alors avoir atteint le point culminant de sa carrière compte tenu de ce que sa formation lui permet d'espérer. Or elle ne souhaite pas être laborantine toute sa vie. Elle cherche à reprendre les études et vient étudier en France. Elle passe l’ESEU, puis s'inscrit en sociologie dans l’objectif de faire de l’ethnologie. {Baccalauréat suisse, 29 ans ; Père : Comptable, diplôme de mécanique ; Mère : Gérante d’un petit restaurant}.

Outre le fait que ces cas d’étudiants, comme nous venons le voir, ne font qu’amplifier la diversité du public étudiant déjà par nous mise en avant, ils donnent une fois encore à lire des parcours qui multiplient les expériences sociales différentes, discontinues, les ruptures, les revirements et qui, en définitive, sont bien loin de la cohérence globale des parcours de la grande majorité des étudiants médecins.