I. Devenir médecin : un rapport d’évidence et homogène à l’avenir

I.A. Sélection et confiance en l’avenir

Par un certain nombre de leurs caractéristiques scolaires, les Facultés de médecine occupent une position relativement singulière dans l’ensemble des UFR existantes. Le concours de fin de première année, la sélection qui en découle, et le travail de préparation qu’il suscite, sont au nombre de celles-ci. Si, pas plus qu’une autre faculté, les facultés de médecine ne sont autorisées à sélectionner d’emblée les étudiants qui prennent une inscription dans le supérieur, le passage en deuxième année y est pour sa part soumis à l’obtention du concours de fin de première année, qui limite le nombre de places offertes aux candidats, selon les dispositions prévues par la loi.

L’arrêté du 18 mars 1992 (modifié), article 5, stipule que : « Pour être admis à poursuivre des études médicales ou odontologiques au-delà de la 1ère année du 1er cycle, les candidats doivent figurer en rang utile sur la liste de classement établie par l'unité ou le groupe d'UFR médicales concernées à l'issue des épreuves organisées en vue de la limitation visée au 4ème alinéa de l'art. 14 de la loi du 26 janvier 1984. (...) »79.

Le 4ème alinéa de l’article 14 de la loi du 26 janvier 1984 précise pour sa part que : « (...) le nombre des étudiants admis ainsi que les modalités de leur admission, à la fin de la 1ère année du 1er cycle, à poursuivre des études médicales, odontologiques ou pharmaceutiques, sont fixés, chaque année, compte tenu des besoins de la population, de la nécessité de remédier aux inégalités géographiques et des capacités de formation des établissements concernés, par le ministre de la santé et le ministre de l’éducation nationale »80.

Enfin l’article 6 du même arrêté notifie que :« Nul ne peut être autorisé à prendre plus de 2 inscriptions annuelles en 1ère année du 1er cycle sauf dérogation accordée par le président de l'université sur proposition du directeur de l'UFR médicale responsable. Ces dérogations ne peuvent excéder chaque année 8% du nombre d'étudiants fixé réglementairement pour l'établissement en vue de l'admission en 2ème année des études médicales ou odontologiques »81.

Face aux conditions particulièrement restrictives du concours (seulement deux inscriptions autorisées, numerus clausus draconien) et à l’affluence grandissante des candidats82 aux études de médecine, la sélection opérée au terme de la première année s’avère d’une extrême sévérité. Pour l’année 94/95, le numerus clausus était fixé, nationalement, à 3576 places dont 238 places accordées aux UFR lyonnaises83, soit environ 60 places pour chacune des quatre UFR médicales lyonnaises que sont Alexis Carrel, Lyon-Nord, Lyon-Sud et Grange Blanche. Les études médicales effectuant une sélection en début de cursus et non, progressivement, année après année, selon une structure pyramidale inversée,les étudiants qui en franchissent le cap ne risquent plus, dès leur deuxième année, l’élimination. A l’appui de cet argument, on peut citer les propos de la Directrice Administrative de la Faculté Lyon Nord qui confirme cet état de fait lors d’une entrevue :

‘« En principe ils ont passé le cap difficile, le cap théorique du concours, ils entrent dans la phase de réelle formation parce qu’ils vont sur le terrain, en stage, et quelquefois il y a justement au moment de la prise de contact avec l’hôpital une réaction de la part de l’étudiant parce que là il est confronté à la maladie, il est confronté à la douleur, il est confronté à la souffrance physique, morale, à la déchéance, à toute sorte de choses et quelquefois nous avons des réactions assez vives de la part des étudiants qui entrent vraiment dans le monde actif parce qu’ils n’imaginaient pas ».’

Or cette situation n’est pas sans donner aux étudiants des assurances sur l’avenir. Désormais, et jusqu’au concours de l’internat qui, dans le pire des cas, lorsqu’il se solde par un échec, empêchera ceux qui le désiraient de suivre une spécialité mais non d’exercer la médecine, les étudiants n’ont affaire qu’à de “simples examens”, des partiels, comme on en trouve dans toutes les facultés. La pression concurrentielle est derrière eux. Leur réussite n’est plus directement subordonnée, comme ce fut le cas pour le concours, à celle de leurs concurrents. Pour gravir les différents échelons du cursus, il suffit d’obtenir désormais la moyenne à des épreuves conçues sur le même modèle que celles du concours (Questions à Choix Multiples, Questions Rédactionnelles Ouvertes Courtes, Question Rédactionnelles Longues...) dont ils connaissent, après une ou deux années d’entraînement et de préparation intensifs, les tenants et les aboutissants. Leur propre réussite ne dépend plus, comme au concours, du niveau de réussite de leurs concurrents directs. D’une certaine façon, les étudiants qui entrent en deuxième année de médecine ont franchi le cap le plus délicat.

Aussi, pour avoir réussi à franchir cette difficile épreuve du concours, sont-ils pratiquement assurés de braver sans trop de peine les suivantes, internat mis à part : « on n’est plus stressé par le concours maintenant. L'objectif c'est de faire euh des bons toubibs pour tout le monde ». A moins d’en décider autrement ou d’un malheur spécifique, ces étudiants sont assurés « d’aller jusqu’au bout », de devenir médecin tôt ou tard. Et « ils peuvent le faire à leur rythme parce qu’il n’y a pas de limitation d’inscription, contrairement à la première année du premier cycle qui a une double difficulté : c’est le concours et l’interdiction de s’inscrire plus de deux fois »84.Plus rien ne fait véritablement obstacle. « Ceux qui arrêteront, ça sera par décision, ça ne sera plus parce qu’ils n’y seront pas arrivés » nous confie l’un d’eux.

Notes
79.

Guide Théraplix des études médicales, “Panorama des études médicales 1”, Année universitaire 1995/1996, p. 31.

80.

Guide Théraplix des études médicales, Opus-cité, p. 28.

81.

Guide Théraplix des études médicales, Opus-cité, p. 31.

82.

C’est ainsi que le journal Libération du lundi 24 septembre 1994 relatait, pour cette même année, d’une progression de 15% des inscriptions en première année de médecine au niveau national par rapport à l’année précédente. Ce fait, c’est-à-dire l’accroissement considérable de la demande d’inscriptions en première année de médecine, nous sera par ailleurs confirmé par la Directrice Administrative de la faculté Lyon Nord.

83.

Guide Théraplix des études médicales, Opus-cité, pp.56-57. Selon le journal Libération toujours du lundi 24 septembre 1994, seulement 3 610 étudiants étaient admis en deuxième année de médecine pour l’année 1993/1994 contre 6 000 en 1979.

84.

Propos recueillis auprès de la Directrice administrative de la faculté de médecine Lyon Nord.