I.B. Subordination du présent des études à l’avenir professionnel

La filière médicale reliant le plus clairement du monde l’avenir professionnel au présent des études, il ne fait de doute pour personne que l’apprenti-médecin travaille à devenir médecin. Etudier, dans ce contexte, est nécessairement solidaire d’un projet professionnel. Préparant à l’exercice d’une profession précise et socialement prestigieuse, aux débouchés patentés, il ne laisse guère d’incertitudes quant aux fins et à l’avenir qui gouvernent l’action présente et quant à son dénouement. Les statistiques sont, en la matière, éloquentes, puisque les apprentis-médecins sont de loin la catégorie étudiante la plus massivement optimiste, avec les élèves de classes préparatoires scientifiques, sur leurs chances d’avenir professionnel.

Pas moins de 89,5% d’entre eux, toutes années confondues, estiment qu’ils trouveront “plutôt facilement” et “très facilement” un emploi au sortir de leurs études85. Autant dire que, pour l’étudiant de troisième année, la question de l’avenir contient davantage de résolutions et d’acquis qu’elle n’emporte d’inconnus ou d’incertitudes. Ce n’est déjà plus dans l’ordre de l’interrogation que l’on aborde, avec ces étudiants, le thème de l’avenir et du projet professionnel, mais bien plutôt dans l’ordre de la réponse. Tout juste se préoccupent-ils de la voie qu’ils souhaiteront suivre dans ce domaine : généraliste ou spécialiste, et nature de l’éventuelle spécialité... Mais encore disposent-ils de temps pour se déterminer, l'internat ne se présentant qu’en sixième année.

Force est donc de constater que la question du projet et de l’avenir ne recouvre ici ni le même sens ni les mêmes enjeux que pour les étudiants de sociologie. Les apprentis-médecins connaissent leur future activité professionnelle. Ils savent que huit à douze années d’études leur seront nécessaires pour exercer la médecine de plein droit. Ayant franchi le cap du concours qui, seul, risquait de les éliminer définitivement du cursus des études médicales, le souci de l’avenir trouve désormais sa solution immédiate dans le présent des études.

L’avenir professionnel étant « lié de façon claire et sûre au présent des études, l’exercice universitaire86 est immédiatement subordonné aux tâches professionnelles qui lui fournissent un sens et une raison d’être »87. Il découle de cette situation que les étudiants de médecine, outre une forte proximité sociale sous l’angle du capital et du parcours scolaires, sont encore réunis par la définition d’un même projet scolaire et professionnel : devenir médecin. Pour ces étudiants, le sens de l’action présente est marqué du sceau de l’évidence. Contentons-nous de constater ici-même que le seul fait de soulever avec ces étudiants la question de leur avenir professionnel suffit à provoquer chez eux un effet comique irrépressible qui montre clairement ce qu’une telle interrogation peut avoir de saugrenue. On ne pose pas, à ces étudiants et contrairement à d’autres, la question de leur projet professionnel car celle-ci ne se pose pas...

‘« M.M. : Je ne crois pas trop m’avancer en pensant que vous voulez être médecin ?
Enquêtée : (En riant) Ah ouais ! (Rires) Là je suis bien partie (éclats de rires) »’

Notes
85.

LAHIRE Bernard, Les Manières d’étudier, Opus-cité, p.78.

86.

Entendons toutefois par là le fait d’étudier plus que la pratique intellectuelle en ses diverses modalités qui, pour sa part et même si ces deux niveaux ne sont sans doute pas pleinement séparables, peut être plus directement dépendante d’objectifs comme par exemple la réussite aux examens ou du type de sanctions institutionnelles proposées...

87.

BOURDIEU Pierre, PASSERON Jean-Claude, Les Héritiers, Opus-cité, p.89. C’est nous qui soulignons.