I.C. Devenir plutôt spécialiste ! Dans quelle spécialité ? Il est trop tôt pour le dire

Hormis quelques exceptions, les étudiants de troisième année se sentent encore trop jeunes dans le cursus médical pour dès à présent arrêter le choix de leur orientation future. Ce n’est qu’en troisième année, en effet, lors des premiers stages hospitaliers obligatoires accomplis dans différents secteurs de la pratique médicale, que ces derniers commencent à se confronter aux divers domaines de la médecine et à ses spécialités. Mais contrairement aux étudiants sociologues dont la discipline ne procure pas d’avenir précisément défini, les étudiants médecins ne sont déjà plus confrontés aux affres de la décision sur l’avenir.

Il leur reste suffisamment de temps et de choses à découvrir ou à explorer pour qu’on ne leur demande pas de se déterminer dès à présent sur la voie médicale qu’ils souhaitent suivre. Mis à part cette étudiante qui vint à la médecine pour devenir psychiatre (« moi je voulais faire médecine pour être psy, et (en souriant) j’ai pas changé d’avis ! »), ces étudiants n’ont encore qu’une très vague idée du type de médecine qu’ils souhaiteraient exercer. Ils commencent à y réfléchir, ont déjà des préférences... Mais ils ne sont encore sûr de rien.

‘« M.M. : Tu sais ce que tu veux faire ?
Enquêté : Euh pas exactement. La gynéco, enfin, l’obstétrique plutôt, m’intéresse un peu. Mais euh pour le moment, non, je suis en train de voir, un peu de passer dans les services. Mon opinion va se faire petit à petit quoi. Mais je suis pas pressé de me décider » {Père : Technicien photographe, CAP de photographie ; Mère : Aide familiale, brevet des collèges}.
« M.M. : Donc tu veux être médecin ?
Enquêté : Ouais !
M.M. : Est-ce que tu sais déjà ce que tu veux faire ?
Enquêté : Ben... Je me dirige plutôt dans la pédiatrie en ce moment. Enfin, j’aimerais faire de la pédiatrie. Alors pour l’instant je suis qu’en troisième année. Donc j’ai encore euh trois ans, un peu plus de trois ans devant moi pour me décider » {Père : kinésithérapeute ; Mère : arrêt de travail (esthéticienne), brevet des collège, et CAP}.
« M.M. : Est-ce que vous savez ce que vous voulez faire ?
Enquêtée : (En souriant) Nan, je change d’avis tous les mois (rires). Ouais. Donc je sais pas du tout. Disons que je veux pas travailler en cabinet, je veux travailler dans un hôpital [...]
M.M. : D’accord... donc a priori euh internat quand même ?
Enquêtée : Ouais ouais sûrement ! De toute façon, même si je dois être généraliste, je ferai l’internat, de toute façon » {Père : Carrossier automobile, CAP ; Mère : Agent de service, brevet des collèges}.’

L’indétermination des étudiants face à la multiplicité des domaines médicaux en présence ne les empêchent toutefois pas d’envisager préférentiellement leur avenir dans un des secteurs spécialisés de la médecine. Après trois années d’études, la figure du médecin généraliste ne séduit plus grand monde. Elle se voit supplantée par celle, plus “prestigieuse” et valorisante, du spécialiste : « Spécialiste oui ! Pas généraliste ! » ; « Ah non ! Il est hors de question que je finisse généraliste, (en souriant) que je finisse comme ça ». Comme l’exprime encore l’une de nos interviewées : « c’est vrai que quand on commence des études de médecine, il y a la tentation de devenir un grand spécialiste ». Voie royale de la formation médicale, le concours de l’internat obtient la majorité des suffrages d’un public étudiant déjà rodé aux épreuves concurrentielles. L’immense majorité des étudiants de troisième année envisage ainsi de passer l’internat et de se former à une spécialité88.

‘« Enquêté : Je préférerai faire une spécialité. Si je peux la faire, donc euh si je réussis l’internat je ferai une spécialité. Je compte bien passer l’internat oui » {Père : Chirurgien gynécologue ; Mère : Sans profession, licence d’anglais-espagnol
« M.M. : Est-ce que vous savez déjà ce que vous voulez faire ?
Enquêtée : (Promptement) Nan ! Spécialiste oui ! Pas généraliste ! Bon, passer l’internat, ça c’est un objectif. Maintenant euh il y a pas mal de paramètres finalement qui rentrent en ligne de compte. Mais c’est vrai qu’en l’espace de deux trois ans, il peut se passer pas mal de choses donc je sais pas, je sais pas bien. (En souriant) Mais en tout cas euh normalement l’internat. Mais dans quelle spécialité ? Je sais pas encore. J’ai pas suffisamment fait de stages pour euh savoir exactement ce qui m’a vraiment intéressée. Parce que là j’ai fait seulement deux stages » {Père : Professeur de biochimie à la faculté de médecine Lyon-Nord, Directeur d’unité INSERM, Docteur en médecine, Docteur en biologie ; Mère : sans profession, BTS d’action sanitaire et sociale}.
M.M. : Donc a priori [faire] une euh spécialité ?
Enquêté : Ah ouais ouais ! Ah ouais ! Ça ça ouais ! Ouais ! Ah non ! Enfin, je me dis ça maintenant, (en souriant) peut-être que je changerai mais euh... Ah non ! Il est hors de question que je fasse... que je finisse généraliste, (en souriant) que je finisse comme ça. (En riant) Ah non, je sais pas, c'est vraiment l'truc qui me... (avec dégoût) ça m'botte pas du tout quoi. C'est vraiment... ça m'paraît rebutant euh et morne et tout. Puis travailler tout seul dans son cabinet c'est... ça serait trop l'horreur. Moi j'aime bien... à l'hôpital c'est bien parce qu’on a l'équipe d'infirmières, puis y a le reste de l'équipe médicale avec les médecins » {Père : kinésithérapeute ; Mère : arrêt de travail (esthéticienne), brevet des collège, et CAP}.
« Enquêté : ça serait un peu brutal de me décider dès maintenant dans la mesure où j'ai pas fait toute la gamme des stages hospitaliers. [...] Alors a priori disons que généraliste personnellement je pense que c'est le mode de pratique le plus intéressant, mais dans l'absolu. Mais le problème c'est que actuellement t'as énormément de contraintes en tant que généraliste t'as à faire face à une concurrence assez acharnée, t'es payé 110 balles la consultations maintenant. Donc si tu veux gagner ta vie ben il faut que tu fasses défiler les patients et bon en général quand tu vas chez le généraliste il passe 10 minutes un quart d'heure. En 10 minutes un quart d'heure, j'ai pas une grande expérience de la médecine mais actuellement ce que j'en vois me permets de dire que c'est pas de la bonne médecine quoi. C'est trop rapide tu peux passer à côté de trucs graves euh tu peux, je pense pas que c'est d’une grande efficacité thérapeutique » {Père : Ingénieur conseil libéral, diplômé de l’ENSAM et de l’Institut de Contrôle de Gestion (ICG) ; Mère : Médecine acupuncteur homéopathe libéral}.
« Enquêtée : pour l’instant (en souriant) je découvre plutôt, il y a plein de choses qui me font envie mais bon là dire euh... Je veux passer l’internat mais, en fonction de mon classement je ne sais pas. S’il y a quelque chose qui me tente à ce moment là oui, mais, sinon, généraliste ne me dérangerait pas non plus » {Père : Ouvrier plâtrier-peintre , CAP ; Mère : Employée de crèche, certificat d’études}.’

Des études déjà longues, le souci de fonder une famille, conduisent toutefois quelques étudiantes, issues de la bourgeoisie, à ne pas exclure d’exercer une médecine générale. Suivre une spécialité prolongera davantage encore le temps des études, et risque, à terme, d’entraver la réalisation d’éventuels projets familiaux. Cette préoccupation familiale, tempérant les ardeurs professionnelles, se retrouve, lorsqu’elle s’exprime, exclusivement du côté des jeunes filles, même si celles-ci ne sont pas nombreuses à évoquer cette tension entre projets familiaux et suivi d’études prolongées. Les garçons, pour leur part, ne sont pas portés à voir dans le prolongement des études une difficulté majeure à leurs éventuelles aspirations familiales, sans doute parce qu’ils sont traditionnellement déchargés des responsabilités d’éducation les plus lourdes et les plus coûteuses.

‘« Enquêtée : ça va être fonction aussi de (...) (lassitude) de mon courage pour passer le concours de l’internat. Mais bon je vais le passer quand même parce que... c’est un concours difficile. Et puis bon euh il faut voir aussi ce qu’on veut euh, la vie de fam... Si on est mariée, pas mariée euh (rires). Bon y a ça aussi hein qui [1 mot]
M.M. : Bien sûr !
Enquêtée : Donc moi pour l’instant (en riant) ça va euh (rires). Mais bon euh ça compte quoi, aussi... Faut voir ce qu’on veut faire, ce qu’on recherche » {Père : Médecin généraliste ; Mère : sans profession, diplôme d’infirmière}.
« M.M. : Est-ce que tu sais euh c'que tu veux faire ou
Enquêtée : Du tout ! (rires)
M.M. : Pas du tout, aucune idée alors...
Enquêtée : Pas du tout du tout non. Vraiment pas. Bon à la limite euh j'pense pas faire une grande carrière hospitalière parce que euh bon euh, j'ai d'autres euh d'autres sortes d'intérêts genre la famille bon
M.M. : ouais
Enquêtée : (en souriant) ça paraît un peu vieux mais bon c'est vrai que, c'est vrai que tous les euh, tous les chefs de service que je vois bon ben c'est le service et puis après la famille quoi
M.M. : ouais
Enquêtée : Donc là, a priori, ça m'intéresse moins
M.M. : Ouais
Enquêtée : Mais après spécialiste ou généraliste alors là j'ai pas du tout d'idée » {Père : Directeur commercial France Télécom, Licence de physique-chimie, concours ingénieur France Télécom ; Mère : sans profession, niveau seconde}
« Enquêtée : Au début c’était la pédiatrie qui m’intéressait. Et puis, petit à petit, on devient un peu plus réaliste, on se dit qu’on sera peut-être généraliste mais, non, maintenant je sais plus du tout » {Père : Architecte ; Mère : Architecte}’
Notes
88.

Plus des deux tiers des étudiants de notre échantillon.