II. Les affres de l’avenir en sociologie : disparités, fragilités et incertitudes

Là où les études de médecine définissent un futur professionnel clair et précis qui leur est immanent, les études de sociologie laissent planer un flou qui n’est pas sans conséquences sur le rapport des étudiants à leurs études et à leur avenir. Dans ce contexte d’études, le souci de l’avenir se pose avec une acuité toute particulière. Et pour cause. Car contrairement à la filière médicale, les études de sociologie, en raison même de l'étroitesse de leurs débouchés professionnels, de l’incertitude et de l’indétermination des lendemains auxquels elles préparent, définissent une situation objective dans laquelle toute formulation du futur et toute projection de l’action présente sont rendues particulièrement difficiles.

Ni professionnalisante, ni en l’état actuel des choses suffisamment prestigieuse pour assurer un avenir rassurant, la sociologie offre pour toutes perspectives, celles d’une possible mais incertaine réorientation ultérieure dans un cursus plus professionnalisant par exemple, d’un arrêt pur et simple mais aléatoire des études, du report indéfini mais inquiétant d’une entrée sur le marché du travail (du terminus ou dies ad quem), ou encore d’un accès sélectif et délicat au troisième cycle dont les débouchés sont d’ailleurs bien souvent mal connus. Bref, les étudiants de licence de sociologie restent, dans bien des cas après plusieurs années d’études, « hantés par l’inquiétude d’un futur inquiétant parce qu’incertain et informulable »89 : « il faut dire que moi je ne sais pas tellement où je vais dans mes études donc euh... donc ça m’angoisse un peu quand on ne sait pas où on va c’est vrai, on se dit qu’on perd notre temps et tout parce que je ne sais même pas ce que j’ai envie de faire après... », nous dit l’un d’eux.

Les enjeux restent entiers à son endroit. Car faire des études de sociologie ne garantit en rien le devenir professionnel. Et, dans la plupart des cas, c’est hors discipline que l’on envisage son proche avenir. A maintes égards, les étudiants sociologues interrogés ne peuvent faire autrement que de garder à l’esprit l’horizon préoccupant de leur avenir. Comme nous le raconte l’une de nos interlocutrices exprimant le besoin de parler de ses incertitudes d’avenir avec ses proches : « c’est plus des interrogations sur mon avenir, sur ce que je pourrais faire, des choses donc qui m’aident à voir où est-ce que je pourrais aller quand je me sens un peu paumée là dedans (...) c’est important, il y a des moments où ça m’angoisse donc j’ai besoin d’en parler pour me sentir un peu soutenue, pour me sentir aidée... ». Ni sélectives, ni professionnalisantes, les études de sociologie encouragent et renforcent ainsi l’expression d’une diversité des attentes tant scolaires que professionnelles chez un public déjà disparate sous l’angle du passé social et scolaire.

Notes
89.

BOURDIEU Pierre, PASSERON Jean-Claude, Les Héritiers, Opus-cité, p.89.