II.B. Des perspectives conjuguées au conditionnel

Mais ce n’est pas tout. Car le constat de la forte disparité des perspectives se double fréquemment, dans les propos, d’une vulnérabilité discursive qui exprime tout à la fois la ténuité du capital confiance avec lequel ces étudiants composent, et l’étendue des impondérables qui subordonnent la réalisation de l’avenir souhaité à une série de conditions dont les étudiants ne se sentent pas complètement maîtres. On ne peut ici qu’être frappé par l’ampleur des précautions oratoires qui structurent leurs propos et la méfiance qui les anime. On ne vend pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué ! Et il faut parfois peu de choses pour bousculer et bouleverser un dessein pourtant prudemment élaboré.

C’est ainsi dans une rhétorique du conditionnel que ces étudiants évoquent leurs éventuelles perspectives d’avenir : « J’essaierai de rentrer à l’IUFM bien que ce soit compliqué mais je... ne désespère pas », « ça a changé depuis que je suis en socio », « si je réussis le concours », « même si je ne suis pas prise », « je compte normalement aller jusqu’à la licence », « ou alors il faut tenter les IUFM dans les coins où personne ne veut aller mais... », « Ça dépendra des événements en fait », « je n’ai pas franchement de stratégie là dessus... », « je verrai », « il y a plusieurs possibilités », «  c’est soit je ... soit je », « et sinon... », « j’avance comme ça quoi, par pas », etc.

Contrairement aux clercs composant l’élite qui trouvent dans les assurances du présent sur l’avenir permises par le prestige de leur formation les conditions nécessaires à l’oubli de soi dans le présent des pratiques, le souci de l’avenir est à son comble dans les filières qui, de par leur situation objective, prennent le moins en charge les chances et les préoccupations d’avenir (scolaires, professionnelles...) des étudiants qui pourtant comptent au nombre de ceux qui en auraient objectivement le plus besoin.