II.I. Les études de sociologie : la finalité sans fin d’un loisir studieux

Plus âgés que le reste des étudiants, ils sont au nombre de ceux qui reprennent des études à côté d’une activité professionnellement stable, dans une discipline qu’ils ont eu tout le loisir de choisir : pour sortir d’un domaine scientifico-technique (« Je voulais un peu sortir de ce domaine scientifique et technique qui me burinait un peu quoi, parce que je pense qu’en fait j’ai euh j’ai fait partie des gens qui avaient des résultats en maths donc qu’ont été orientés dans des filières euh scientifiques ».) ; pour conforter un premier contact avec la sociologie (« C'est quelque chose que j'ai eu envie de faire justement quand j'ai refait cette école d'infirmière... J'ai eu envie de faire de la socio parce que ça m'intéressait. En fait on a eu des cours de socio, c'est inscrit dans les programmes d'écoles d'infirmières, donc on a quelques cours de socio. Bon c'est assez bateau. On a fait une enquête et, là, ça m'a intéressée et, j'ai voulu faire ça. »).

A la différence des apprentis-sociologues qui, sortant du secondaire, entament des études supérieures dans l’optique d’y acquérir une formation professionnelle et/ou, à tout le moins, une qualification sociale, impliquant, à terme, le souci de l’avenir, les deux intéressés ont ici déjà leur situation professionnelle bien en main. Rien ne les obligeait à reprendre des études. C’est indépendamment de tout souci de certification, « pour le plaisir », pour les « connaissances », ou encore, comme le dit l’un d’entre eux, dans l’esprit de la « recherche personnelle », qu’ils effectuent des études de sociologie. Ces dernières ne recouvrent aucun enjeux professionnels. Ce n'est pas ici le diplôme qui importe. De leur résultat à la licence ne dépend nullement leur avenir... Ils se distinguent donc nettement de ceux qui, dans la même discipline, se trouvent dès l’abord confrontés à des impératifs de réussite et pour qui les études sont une activité principale.

‘« J’aimerais continuer après la licence. Mais à la limite, si tu veux, la licence euh l’obtenir ou pas l’obtenir, je m’en fous un peu actuellement, là, dans l’état où (en souriant) je suis. Non, ce qui m'intéresse euh c'est plus ce que je peux apprendre pour moi que euh le diplôme à la fin de l'année quoi, c’est pas un impératif ». {Baccalauréat D, 29 ans, Infirmière ; Père : Expert agricole ; Mère : Institutrice, École Normale d’Alger}
« Je me suis inscrit en socio, donc en première année, puisque j'estimais que euh... que j'avais pas le niveau, que j'avais besoin d'avoir ces connaissances de base, que c'était pas la peine... Le but c'était pas le diplôme, donc c'était vraiment les connaissances qui étaient associées. Donc euh je voulais pas... chercher à avoir des équivalences comme ça. J’ai seulement demandé l'équivalence pour l'anglais puis le français. Donc je me suis inscrit en première année... J’ai fais ce qu'il fallait mais sans me prendre la tête en fait puisque c'était pas euh c'était vraiment pas le but ». {Baccalauréat E, 31 ans, Enseignant dans le secondaire technique, CAPET ; Père : Facteur à la retraite, certificat d’études ; Mère : sans profession, certificat d’études}.’

La position professionnelle de ces étudiants permet donc, à l’évidence, de comprendre le rapport spécifique qu’ils entretiennent à leurs études. Ces étudiants exerçant déjà un métier apprécié, leur situation matérielle présente est au principe de conditions sociales qui contribuent à faire de leurs études une finalité sans fin, vécue avec détachement, sous l’angle de la seule curiosité et de la seule aventure intellectuelle.

‘« Si je fais de la socio, c'est pas pour rien de toute façon. Je veux dire c'est une recherche personnelle [...] pas “qui je suis et d'où je viens, où j'vais”, mais en partie. Il y a de ça ».
Ou encore : « je considère la fac comme euh... Pour moi l'intérêt c'est... ça me donne matière à penser, enfin, c'est pas pédant de dire ça quoi c'est-à-dire que c'est, je sais pas des idées nouvelles, des trucs auxquels on avait pas forcément pensé »’

Les études se situent en marge de leur existence sociale. Elles ne constituent pas une priorité : « c’est pas vital ». On s’y consacre autant que son emploi du temps le permet, Et lorsque l’envie est au rendez-vous. On est certes étudiants, mais on l’est d’abord à ses moments perdus : « (à propos des révisions) Oh bah je fais en fonction du temps que j'ai et puis de l'échéance qui approche » déclare l’un d’eux. Les études sont un peu à ces deux étudiants ce que la pratique d’une activité sportive, culturelle, associative, etc., sont aux étudiants “professionnels” : un à-côté, un hobbies, un loisir, non une pratique centrale. Les études constituent un investissement extra-professionnel parmi d’autres.

Ces étudiants ont ainsi en commun de multiplier les activités sociales, de développer de multiples centres d’intérêt. On ne peut donc réduire, tant s’en faut, ces étudiants salariés à leur activité estudiantine. Ils sont plus et autre chose que de “simples” étudiants. Car leurs études constituent une activité relativement marginale, à tout le moins secondaire, et non centrale, de leur existence sociale. C’est d’abord à leurs moments perdus qu’ils sont étudiants. Leur situation professionnelle et matérielle est donc ici un facteur de prime importance pour la compréhension de leur rapport à l’avenir, et, au-delà, mais indistinctement, aux études...