Chapitre 6. Nature des savoirs et logiques de connaissance en médecine et en sociologie

À moins de considérer les différentes pratiques et techniques du travail intellectuel étudiant “toutes choses (discipline d’études) étant égales par ailleurs”, quelle que soit la matière d’études, et quelle que soit l’organisation et le fonctionnement des savoirs transmis, il convient d’appréhender les formes du travail intellectuel étudiant, ses pratiques, ses techniques, ses représentations, contextuellement, en les replaçant au sein des logiques de connaissance propres aux savoirs et aux champs disciplinaires étudiés.

S’il ne s’agit pas ici, répétons-le, de nier l’influence, dans les processus de différenciation des pratiques, de catégories désormais classiques de l’analyse sociologique, fréquemment mises en oeuvre s’agissant d’analyser les pratiques des étudiants, comme celles, par exemple, qui renvoient aux conditions sociales d’appartenance et aux positions occupées dans l’espace des positions scolaires, c’est ailleurs que se situera pourtant notre présent propos.

Il s’agit plutôt de montrer l’intérêt d’une sociologie du savoir qui s’attache à reconstruire la nature (socio-cognitive) des savoirs disciplinaires à s’approprier pour la compréhension des formes du travail intellectuel étudiant. Il importait donc, avant même d’aborder l’étude des pratiques intellectuelles de nos deux populations étudiantes et pour les contextualiser, d’accomplir ce travail d’analyse descriptive des savoirs disciplinaires à s’approprier.

Parmi les différences disciplinaires qui président à un exercice différencié de la connaissance (à des manières différentes de travailler, d’apprendre, de “savoir”, etc.) dans les univers de pratiques ici considérés, il en est une, fondamentale, qui renvoie aux variations dans les degrés de formalisation et de codification des savoirs et des relations d’apprentissage. De caractères inégalement intégrés (i.e. constitués sur un fonds commun de connaissances), délimités et réglés en leurs principes, la sociologie et la médecine s’offrent à l’étude sous la forme de champs d’investigation inégalement définis et explicites, systématiques et univoques.

Plusieurs arguments, indiscernables dans les faits, doivent ici être mobilisés au fondement de ces différences. Celui, tout d’abord, du statut épistémologique de la connaissance. Il différencie ici la médecine, dont l’activité s’appuie sur des corpus constitués de lois biologiques, physiologiques, chimiques, etc., sur des tableaux cliniques et des protocoles expérimentaux, de la sociologie comme science empirique et historique de l’interprétation.

Celui, ensuite, des logiques de connaissance qui oppose aux certitudes d’un savoir médical “déjà-là”, dispensé pour l’essentiel en dehors de toute préoccupation de recherche, les incertitudes du savoir sociologique transmis comme savoir de la recherche, en cours de construction. Celui, enfin, des traditions intellectuelles et pédagogiques, qui distingue la culture scientifico-technique des études médicales de la culture sociologique proche, à certains égards, d’une culture littéraire.