II.D. Des facultés professionnelles : la formation de praticiens

Directement issues des Ecoles spéciales, les facultés professionnelles de médecine ont été, dès l’abord, dotées d’une mission bien précise : la formation d’un personnel de santé qualifié, garant de la santé publique. Rigoureusement organisé et adapté à cette activité de formation, l’enseignement y étaient clairement finalisé. Si les études médicales supposaient déjà une forte culture scientifique, leurs objectifs de formation n’étaient pas « de cultiver une science, mais de préparer à des grades professionnels ; la science y est un moyen, non un but, et elle cesse d’être enseignée au point même où elle cesse d’être utile »289.

Si depuis, avec l’avènement de la médecine expérimentale, la recherche occupe une place plus importante dans la formation, il reste qu’aujourd’hui encore, les facultés de médecine axent l’essentiel de leurs efforts sur la formation de praticiens, non de chercheurs. Réduite à quelques certificats d’un “cycle parallèle aux études médicales”, étalés sur plusieurs années d’études dont le suivi, en troisième année de médecine, n’a pas caractère d’obligation, la recherche occupe, dans la formation de l’étudiant médecin, une place tout à fait secondaire290.

La médecine, telle qu’elle est enseignée en D.C.E.M.1., propose un savoir construit, établi et édifié où données et énoncés constituent comme autant d’états incompressibles de la connaissance médicale —, que les cours magistraux et les TD suffisent à circonscrire aux dépens d’activités de recherche suivies, du même coup sporadiques et si possible esquivées, et que le contrôle des connaissances (QCM, QROC, Questions rédactionnelles longues) instaure sous l’aspect les plus techniques.

Le caractère fortement “routinisé” des apprentissages médicaux (repérable à la fois par la régularité des pratiques, la définition des tâches à accomplir, l’existence de manuels, de nombreux dictionnaires...) confère aux pratiques estudiantines un aspect relativement stable et homogène. Les étudiants apprennent des contenus définis et “déjà là” sur le fondement desquels il n’y a pas à revenir. Les notes de cours, les polycopiés, les annales offrant exercices d’entraînement et d’évaluation à la pratique d’assimilation, dispensent des corpus stabilisés de connaissances qui ne supportent ni les improvisations ni les hésitations inhérentes au travail de fabrication intellectuelle.

L’apprenti-médecin de D.C.E.M.1. n’est pas d’abord supposé produire de la connaissance. Tout juste commence-t-il timidement à la mettre en pratique lors de premiers stages hospitaliers. Il doit d’abord assimiler et se familiariser avec ce fonds commun de connaissances fondamentales et cliniques sur lequel s’établit le savoir médical. Comment diagnostiquer une maladie si, préalablement, on ne maîtrise pas parfaitement la séméiologie médicale, les signes, les circonstances et les mécanismes plus ou moins isolables qui permettent précisément de l’identifier, de fonder des hypothèses, d’en exclure d’autres ?

Il n’y a pas à inventer. Et savoir ici signifie connaître “par coeur” des corpus de toute manière incompressibles (des règles, des lois, des énoncés de base, des tableaux et cas cliniques, etc.). On sait ou l’on ne sait pas. Tableaux cliniques et biologiques, mécanismes, énoncés de base, lois physiologiques, biologiques, etc., règles, données, etc., d’une valeur constante, c’est à cet ensemble édifié et incompressible, comme préalable nécessaire à la maîtrise des principes et des fondamentaux d’un savoir fortement cumulatif, que doivent se confronter les apprentis-médecins de troisième année pour y conquérir progressivement l’art médical en ses multiples ramifications.

L’activité de connaissance relève moins, en ce contexte d’études, de l’investigation générative et personnelle, parfois tâtonnante, que de l’investigation ré-itérative par où doivent être progressivement maîtrisés les différents états, les données les mieux établies, les énoncés incompressibles, constitutifs du savoir médical291. Les étudiants médecins ont affaire à des programmes d’apprentissage extrêmement structurés et détaillés où l’ensemble des choses qu’il convient de connaître se trouve répertorié. Les enseignements ainsi dispensés se présentent comme une longue liste d’instructions et de tâches à accomplir. La programmation des enseignements, la routinisation des actes d’apprentissages et la forte structuration des savoirs contribuent ainsi à limiter les indéfinis, les incertitudes et les imprévus de l’étude.

Notes
289.

PROST Antoine, L’Enseignement en France (1800-1967), Paris, Armand Colin, 1968, p. 225.

290.

Le Guide Théraplix des études médicales, Panorama des études médicales 1, 95-96, p.22. précise à l’attention des étudiants que : « il est un écueil à éviter : il ne faut, en aucun cas, entreprendre sa médecine si l’on a une vocation de chercheur scientifique. La médecine est, avant tout, une école faite pour apprendre à soigner les malades. Il se peut, bien sûr, qu’en progressant dans ses études l’on soit tenté de s’orienter vers la recherche appliquée ; mais, encore une fois, celle-ci diffère totalement de la recherche scientifique pure ». Le Guide Théraplix des études médicales : quelle voie choisir ?, p. 197., ajoute : « Les études médicales proprement dites, axées surtout sur le malade et la maladie, forment plutôt des cliniciens que des chercheurs. Cependant, pour les étudiants en médecine intéressés par la recherche et qui souhaitent s'engager dans cette voie, il a été créé un cycle parallèle aux études médicales : la maîtrise de sciences biologiques et médicales. Les étudiants, admis en deuxième année des études médicales, peuvent s'y inscrire. Une maîtrise comporte trois certificats. L'étudiant titulaire d'une maîtrise et ayant achevé son deuxième cycle peut accéder à un D.E.A. puis préparer un diplôme de doctorat ». C’est nous qui soulignons

Toutefois, la création de ce cursus parallèle aux études de médecine ne suffit pas à faire de l’initiation à la recherche, objectif des trois certificats (C1, C2 et C3) composant une maîtrise, une composante essentielle ou centrale de la formation de l’étudiant de troisième année. Tout d’abord parce que, ainsi que le précisent les textes officiels, la maîtrise des sciences biologiques et médicales constitue un cycle parallèle aux études médicales proprement dites, ce qui déjà en dit assez long sur l’aspect périphérique et optionnel de l’initiation à la recherche qui est présentée au mieux comme un complément de formation. Ensuite parce que, au moment de notre enquête, la réalisation de ces certificats n’est pas obligatoire pour les étudiants inscrits en DCEM 1 mais est une optique possible relevant de leur propre initiative. Enfin, c’est encore sans compter ici avec le nombre réduit de certificats dont le suivi, laissé à l’initiative des étudiants, peut se faire sur plusieurs années d’études et de façon discontinue : par exemple, un certificat en deuxième année, puis un en quatrième année, etc. Les certificats peuvent, du même coup, compter dans leurs rangs des étudiants inégalement avancés dans le cursus, aussi bien des deuxième ou troisième année que des internes, ce qui ne manquent pas de les rendre particulièrement abscons pour les apprentis-débutants qui ne maîtrisent pas toujours l’ensemble des pré-requis nécessaires à l’enseignement dispensé...

291.

Parmi les “conseils pratiques” que donnent le Guide Théraplix, on peut lire : « Avant tout, il ne faut pas chercher à aller plus vite qu’on ne le peut. La médecine est une chose trop complexe pour que l’on puisse en avoir rapidement une vue d’ensemble. Il faut donc, au début, faire un patient travail qui aboutit finalement à poser les fondations de ses connaissances médicales. On s’aperçoit trop tard qu’en voulant aller trop vite en besogne, on a méconnu les éléments de base. En particulier, les éléments que l’on retire de l’étude des sciences fondamentales sont presque sans intérêt les 1ères années, puisque l’on ne peut rattacher les données théoriques à la pathologie que l’on ne connaît pas encore. Il faut donc redire que les études de médecine, au début, sont un peu comme le commencement d’un puzzle », in Guide Théraplix des études médicales, Panorama des études médicales 1, 95-96, p.22. Souligné par nous.