II. Le choix du terrain d’enquête

S’agissant de privilégier, dans notre construction de l’objet, une approche attentive aux contextes disciplinaires des pratiques étudiantes sur une analyse des distributions statistiques, des régularités ou des intensités, il est vite apparu que l’étude que nous souhaitions conduire se prêtait mal à la démultiplication des contextes d’études observés. Comme il s’agissait par ailleurs de s’intéresser à l’influence socialisatrice des matrices disciplinaires, et, au-delà, du type de savoirs fréquentés, dans la détermination des pratiques, il semblait également, dans ces conditions, sociologiquement pertinent pour notre objet de nous orienter vers la comparaison des pratiques intellectuelles étudiantes de deux contextes de socialisation disciplinaires relativement opposés, susceptibles de favoriser une appréhension quasi idéaltypique des variations et des principes de différenciation recherchés.

Si d’emblée, le choix de la filière sociologie s’est imposé à nous tout à la fois pour des raisons de commodité dans l’accessibilité du terrain, pour les intérêts socio-analytiques que nous pouvions avoir à retourner sur les pas de notre propre parcours universitaire et, par là, de nos propres pratiques intellectuelles, enfin en raison de l’intérêt heuristique que nous semblait présenter également, en leurs relatives spécificités sociocognitives, le contexte des études sociologiques et la connaissance sociologique telle qu’elle est pratiquée à l’Université Lumière Lyon 2, ce ne fut en revanche pas immédiatement le cas des études médicales. C’est au cours d’un long travail de lecture sur l’histoire, récente et plus ancienne, des universités, des facultés, des grades et des enseignements universitaires, etc., que ce choix nous est apparu judicieux et pertinent sur le plan sociologique.

Sur bien des points, en effet, régimes des études, recrutement des étudiants, place de la recherche, professionnalisation, traditions intellectuelles, nature des savoirs et des relations d’apprentissage, les études de médecine semblaient s’opposer à celles de sociologie mieux que toutes autres (le droit par exemple si l’on excepte peut-être les oppositions liées plus spécifiquement aux types d’établissements fréquentés comme les UFR ou les CPGE par exemple) et par là même présenter les meilleures conditions d’observations recherchées. En outre, ce choix présentait l’immense avantage de nous confronter à un univers de pratiques intellectuelles nous étant étranger, propice à l’adoption de postures sociologiques d’étonnements, de rupture et de questionnements systématiques dont le réinvestissement comparatif dans l’univers des pratiques intellectuelles d’étudiants sociologues était tout désigné pour prévenir, par un effet en retour, les risques, inévitables, qu’emportait notre grande familiarité avec ce contexte d’études et favoriser ainsi les ruptures avec notre propre doxa.

De ce point de vue, nous avons tout au long de ce travail intentionnellement utilisé comme techniques de rupture, d’objectivation et de contrôle de nos propres catégories de perception (et aussi de nos lectures qui, à n’en pas douter, seront plus souvent à proximité des nôtres que de celles inhérentes à l’univers de la pratique médicale) ce choix d’écriture sociologique consistant à systématiquement entamer nos différents propos par l’analyse des pratiques des étudiants médecins pour, dans un deuxième temps, aborder celles des étudiants sociologues...

Quant au choix d’interroger des étudiants de troisième année, disons-le sans ambages, rien ne le justifiait ou l’exigeait spécifiquement du point de vue de la construction de notre objet sinon le souci d’accéder à des étudiants peu ou prou déjà confirmés, socialisés par leur matrice disciplinaire, et susceptibles de nous livrer une gamme relativement large d’expériences sociales en matière de travail intellectuel et de pratiques universitaires. Interroger des étudiants moins avancés dans le cursus ne nous l’aurait peut-être pas permis. De même, interroger des étudiants déjà fort avancés dans leurs études, par exemple en doctorat de sociologie ou internes en médecine, nous aurait à l’inverse confronté à des pratiques d’étudiants dans une large mesure professionnalisés, dans un rapport au savoir et à l’étude somme toute bien particulier, et, à tout le moins, institutionnellement plus “autonomes”.