Chapitre 8. Les études de médecine : une rupture encadrée et structurée

Pour les étudiants médecins, le passage dans l’enseignement supérieur constitue à maintes égards une rupture scolaire importante qui, au même titre que pour leurs homologues sociologues, bien que par des voies sensiblement différentes voire même parfois opposées, trouve pour principe des changements plus ou moins radicaux dans les logiques du travail intellectuel, ses cadres temporels, etc., et par conséquent dans les relations et les conditions de l’apprentissage.

Rupture du point de vue des rythmes de travail tout d’abord qui, tout particulièrement lors de la première année mais également, bien que dans une moindre mesure, les années suivantes, contraignent les étudiants à faire un usage nettement plus intensif de leur temps, à imprimer un tempo plus soutenu à leurs activités d’apprentissage, condition nécessaire pour ne pas être décroché, pour ne pas accumuler, compte tenu de la masse des contenus de cours à mémoriser, un retard rapidement irrécupérable dans la préparation des épreuves et des sanctions institutionnelles.

‘« C'est sûr qu’il fallait travailler beaucoup plus (qu’au lycée) mais ça n’est pas le seul truc qui changeait quoi c'est pfff toute l'ambiance (...) puis c'est surtout, pttt le travail à fournir, pas forcément en quantité mais aussi la qualité quoi la manière de travailler qui change complètement »
« En tout cas en P1 (première année) c'était fondamental d'être assez systématique, les cours du matin les voir le soir, enfin l'après midi, (insistant) de ne surtout pas, surtout pas, mais vraiment pas du tout perdre le... de prendre du retard »’

Rupture du point de vue de la nature du travail personnel ensuite, de ses objectifs et de ses modalités, celui-ci exigeant un long et minutieux travail de mémorisation des contenus de cours en vu des nombreux exercices de rapidité servant au contrôle des connaissances qui, en tant que tels, dans une large mesure, supposent que les étudiants transforment leur rapport à la connaissance, à “ce que savoir veut dire” : beaucoup de choses sont à savoir “par coeur”, quasiment dans les termes, des schémas, des données, des faits, des mécanismes, des énoncés de base, etc., et non plus seulement à comprendre dans les principes qui sont à leur fondement...

‘« Ce qui changeait c'est déjà qu’il fallait apprendre par coeur bêtement sans arrêt, du matin au soir, essayer de se poser le moins de questions possibles pour pas perdre de temps euh toujours rester bien bien centré, ne pas regarder à droite à gauche s’il y a des trucs intéressants, en se disant “j'ai pas le temps d'aller chercher d’autres documents, je n’ai pas le temps d’approfondir un sujet que je trouve vraiment bien ou des trucs comme ça” »
« Le lycée c'était pas du par coeur (...) tandis qu’en médecine t'as réellement besoin d'apprendre, t'as réellement besoin de réviser, tu as des acquis mais tes acquis ne se font qu'avec les révisions tu vois, et l'internat c'est ça aussi c'est pour ça que (en souriant) ces gens là révisent tout le temps tout le temps tout le temps, parce que euh tu oublies tout »’

Du point de vue des relations d’apprentissage enfin puisque le lycée fait place, en première année de médecine, à une pression concurrentielle de tous les instants impulsée par le concours de fin d’année et soutenue par les cours privés qui, parallèlement mais à côté de la faculté, exercent les étudiants les uns contre les autres aux différentes épreuves du concours, encadrent les apprentissages, explicitent ses objectifs, dispensent des méthodes de travail, et instaurent une sorte de monitorat entre les étudiants des années supérieures et ceux des années inférieures qui se prolonge, de façon plus ou moins informelle, bien au-delà de cette première année d’études.

Il est vrai que, dans ce contexte d’études, les changements les plus marqués restent largement imputables à la logique du concours qui contribue ainsi à faire de la première année des études médicales, en y pesant de tout son poids, une année d’études relativement singulière (par son intensité, par sa pression concurrentielle, par son esprit...) dont les spécificités s’estompent par la suite. Mais celles-ci, loin de disparaître complètement avec la deuxième puis la troisième année d’études, organisent encore, dans une large mesure, les pratiques d’apprentissage des étudiants médecins et l’esprit qui les anime, non seulement en raison des effets de socialisation qui se trouvent durablement inculqués par la logique même du concours mais également parce que le travail effectué, bien que relativement moins intensif, demeure de même nature et relève des mêmes principes...