Dans les faits, en raison de la forte concurrence qui règne lors de la première année des études médicales et dont l’intensité se renforce encore au fil des ans avec l’accroissement du nombre des prétendants, les facultés de médecine ont aujourd’hui pratiquement institué, mais officieusement, une préparation aux études médicales sur deux ans. La quasi-totalité de ceux qui parviennent à franchir l’obstacle du concours de première année ont dû en effet, pour ce faire, s’y reprendre par deux fois, usant ainsi des deux inscriptions au concours qui leur sont légalement octroyées. Les « primants » constituent l’exception. Les « carrés », au contraire, viennent grossir les rangs des admis. C’est ainsi que sur l’ensemble des étudiants médecins enquêtés, plus des quatre cinquième n’ont décroché le concours qu’à leur deuxième tentative.
La Directrice administrative de la faculté de médecine Lyon-Nord nous confirme cette situation : « Au moment des épreuves d’examen, c’est au centième de point près [...]. Ils ne sont pas habitués à travailler comme ça. La première année quasiment est perdue. [...] On a très peu d’étudiants primants ».
Avec le concours en point de mire et contrairement au lycée, obtenir la moyenne aux épreuves ne suffit plus, tant s’en faut, pour franchir le cap de cette année d’études et accéder pleinement au statut d’étudiant-carabin. Seul le classement compte. La réussite des uns dépend désormais, inextricablement, ce qui est nouveau, des résultats ou du niveau de réussite des autres candidats. En instaurant la concurrence de tous contre tous, le système du concours force ainsi les étudiants, dès l’abord, à viser les meilleures places et à tendre l’ensemble de leurs ressorts en direction de cet ultime objectif. Soixante places sont mises au concours par UFR lyonnaise. Le 61ème compte au nombre des « reçus-collés », c’est-à-dire au nombre de ceux qui, bien qu’ayant obtenu une note générale supérieure à la moyenne, ne se sont pas « classés en rang utile ».
‘« (Pour le concours) nous avons un certain nombre de places qui nous est imposé par le ministère pour l’entrée en deuxième année. Ces places mises au concours, nous commençons à en classer 70, c’est-à-dire du meilleur au moins bon, entre le premier et le 70ème. Parmi ces 73, vous avez toutes les séries de bac, il y a des séries qui ne sont absolument pas représentées. Effectivement, ce sont les C qui dominent, et les D. Alors il y a quelques F1, un F7, un F8, voilà ! (Donc ils se retrouvent à 73 en deuxième année, plus ceux qui vont doubler leur deuxième année ?) Tout à fait ! Alors ces 73, entendons-nous bien, c’est y compris des étudiants en odontologie. Notre numerus clausus est établi pour médecine et odontologie. Dans ces 70 places nous avons 60 places en médecine et 10 en odontologie. Parmi les 73, il y en aura qui ne figureront pas en deuxième année de médecine parce qu’ils seront partis à l’école dentaire. [...] Nous passons donc de 600 étudiants en première année à 60 en deuxième année. Alors bon nous avons des redoublants. Ce que nous pouvons faire en deuxième année n’est pas faisable en première : là c’est le travail de groupe, l’étudiant est très entouré, on s’en occupe, il est vraiment dans un cocon. Alors qu’on devrait plutôt s’occuper des premières années pour les tirer vers la seconde année et cela ne se fait pas parce que justement ils sont trop nombreux (en deuxième année est-ce qu’ils sont encore sélectionnés pour passer en troisième année ?) c’est un examen ensuite. Il suffit d’avoir la moyenne... » (Directrice administrative de la Faculté de médecine Lyon Nord)’C’est ainsi par exemple que les étudiants de troisième année rencontrés ne sont pas rares, qui, après avoir effectué une première année en apparence interminable sur un rythme de travail souvent effréné, évoquent leur stupeur devant les dixièmes ou les centièmes de point les séparant du dernier reçu.
Tel cet étudiant par exemple qui échoue le concours de quelques dixièmes de point à sa deuxième tentative et qui, probablement, n’aurait pas triplé sa première année316 si son père, professeur de médecine, ne l’avait pas incité à faire une demande de dérogation, tant il était accablé d’être recalé d’aussi peu : quand j'étais carré donc en ayant déjà redoublé... à quelques dixièmes je (...) dès que les résultats sont parus, bon j'ai appris que j'avais loupé, j'étais complètement mais, (avec émotion) démoralisé. Je voulais plus en entendre parler (sourire jaune) de la médecine... Je me suis dis euh “Je fais carrément autre chose (...) et puis là... il y a mon père qui m'a dit "mais réfléchis bien parce que euh... bon vu le nombre de points que tu as tu dois pouvoir tripler", parce que tu sais il y a des dérogations [...] Bon, sans être bien motivé j'ai quand même écrit ma lettre de motivations au doyen en lui disant euh (...) en lui demandant une demande de triplement afin d'avoir le choix euh, c’est-à-dire au cas où je revenais sur ma décision [...] J'étais complètement atterré parce que je pensais l'avoir ce concours mais... ça s'est joué sur euh, deux questions de QCM bon, c'est les aléas des (rires), des concours... il y a toujours des mauvaises... donc euh finalement euh y a ma demande de triplement qui a été accepté ».
Ou encore cet autre étudiant qui explique que : « je n'ai pas eu de chance en première année parce que j'ai loupé le concours de peu. J’étais troisième euh recalé. Donc là, j'ai vraiment eu les boules... » (Baccalauréat C, mention “bien” ; Concours obtenu à la deuxième tentative).
‘« J’ai raté le concours la première année à 80 centième près, donc la moyenne était euh non, le dernier avait 13,8, moi j'avais 13 de moyenne... ptt donc voilà (rires) j'ai beaucoup travaillé la première année euh bon j'ai loupé parce que j'étais peut-être pas suffisamment précise » (Baccalauréat D ; Concours obtenu à la deuxième tentative)’Dans ces conditions, les apprentissages de la première année de médecine s’effectuent dans un esprit permanent de compétition. S’évaluer, se situer par rapport aux autres, savoir où l’on en est, améliorer ses performances, rechercher une meilleure organisation, une plus grande efficacité, un plus grand rendement dans son travail, trouver les “bons tuyaux”, être le mieux informé possible, etc., sont les maîtres mots du travail intellectuel. L’objectif du concours prime le reste. Seul compte son classement dans une compétition qu’il convient d’impérativement remporter pour qui souhaite lui survivre. L’ensemble des enjeux de l’apprentissage se résume à cette simple équation : « pas de concours, pas de médecine ».
‘« (En riant) Ah ça, on ne le comprend peut-être pas dans les autres sections, je n’en sais rien mais oui ! (...) De toute façon le concours c’est primordial pour un étudiant en médecine. S’il n’a pas son concours, il ne continuera pas hein ».’“Cubage” qui n’est accordé que sur dérogation aux “reçus-collés” qui échouent au concours de seulement quelques dixièmes de point.