I.B.2. Points d’appui et compagnons de route

Autant dire que, sur ce point également, la transition est rude entre les conditions de travail rencontrées au lycée et celles qui désormais constituent le lot quotidien de la première année des études médicales, entre l’univers relativement confiné, connu du secondaire et le caractère implacable, agressif des nouvelles conditions de travail. Il est bien difficile de résister longtemps, seul, à ce régime. Et pour y survivre, les étudiants sont portés, presque “naturellement” ou spontanément, à s’entourer, s’entraider, trouver des points d’appuis indissociablement affectifs et intellectuels, des compagnons de route qui seront autant de réassurances et de renforts dans le travail, de soutiens dans les inévitables moments de découragement.

‘« Un étudiant qui réussit du premier coup, nous explique la Directrice administrative de la faculté de médecine Lyon Nord, c’est vraiment l’étudiant qui a su s’isoler, et travailler correctement, en groupe avec des camarades d’amphi. Ils forment un groupe de travail, ils arrivent à répéter le soir dans une chambre, ils sont à sept ou huit. Ils reprennent les cours, ils travaillent ensemble, c’est très bien. Mais l’étudiant qui s’isole, qui est tout seul, qui rentre chez lui, qui est logé par exemple et qui essaie de reprendre son cours, il a du mal à tout saisir. Personne n’est là pour l’aider. Il ne peut pas téléphoner au professeur, il est perdu. Et arrivé au concours, il est complètement paniqué. Cela se passe mal. Et donc il redouble ».’

La réunion de ces étudiants dans les différents cours privés préparant au concours suscitent, ce faisant, une série de contacts répétés et resserrés qui, alliés à l’âpreté de la concurrence, impulsent des formes de coopération dans le travail. Travailler à plusieurs, ensemble, par exemple en se réunissant en un même lieu de travail, est tout à la fois une façon de se couper du reste du monde en s’immergeant dans une ambiance studieuse, de s’imposer une cadence et de s’y tenir par un effet d’entraînement mutuel, de s’épauler, de se soutenir les uns les autres. Chez les étudiants, les formes de collaboration et de coopération par petits groupes se développent ainsi non pas sciemment par une sorte de calcul stratégique mais, plus “spontanément”, parce que la violence de la concurrence est moteur d’anxiété, de peurs et de craintes, qui toujours risquent de déstabiliser la fragile économie des pratiques estudiantines.

‘« En première année on arrivait tous un peu de nos campagnes, on avait tous un peu besoin de se regrouper on formait des groupes, et c'était souvent parce qu’on appartenait à tel ou tel organisme de colles. C'est comme ça d'ailleurs qu'on s'est fait nos premiers amis, ptt et à ce moment là on travaillait souvent ensemble dans la même salle de travail, on se posait des questions » {Baccalauréat D, mention “bien” ; Concours obtenu à la deuxième tentative ; Père : Pépiniériste ; Mère : Professeur de Yoga}
« Si j'ai besoin de poser des questions et c'est vrai qu’on est un petit groupe dans la promo où bon j'ai l'habitude de travailler, je travaillais avec elle en P1 (première année) donc euh bon on se pose des questions mais sinon euh non je préfère travailler toute seule » {Baccalauréat C, mention “assez bien” ; Concours obtenu à la deuxième tentative ; Père : Plâtrier-peintre ; Mère : Employée dans une crèche}.
« C'était surtout en première année qu'on le faisait, on était en groupe donc on essayait on se disait tiens... telle question euh... est-ce que tu sais ce que c’est donc euh, mais, mais je pense que ça va revenir avec l'internat parce que là actuellement il n’y a plus de concours donc il suffit d'avoir 10 de moyenne, donc euh, non mais c'est ça hein, on relâche hein obligatoirement... » {Baccalauréat A2, mention “assez bien” ; Concours obtenu à la deuxième tentative ; Père : Médecin généraliste ; Mère : Femme au foyer}.
« Pour ma deuxième première année je m’étais vraiment motivé, je m’étais dit “bon, de toute façon, c’est cette année ou jamais” parce qu’il était hors de question que je fasse trois première année, je n’aurais jamais voulu quoi, je n’aurais pas pu... Je pense que ça s’est passé surtout dans ma tête euh... de me dire euh ben « maintenant, tu arrêtes un peu, ça suffit (sourire), c’est ta dernière chance, ne fais pas le con, franchement” (...) puis quand j’étais bizu, quand j’ai vu le nombre de points que j’ai fait au concours, je le suis dis “30 points, c’est quand même vraiment minable et tout, c’est quand même vraiment zéro quoi (sourire)” (...) ça m’a quand même marqué. Maintenant, j’ai pas mal de copains en première année, je leur dit “moi, ma motivation, c’était pratiquement tous les jours de me dire, mais il y a le concours à la fin de l’année”, donc j’y pensais tous les jours et je me disais je vais bosser comme ça, j’ai mon concours, et en fait, c’est une année où on n’existe pas vraiment, enfin... non, c’est pas ça non parce que j’ai quand même de super souvenirs comme d’ailleurs la majorité de ceux qui sont passés carrés et qui disent que l’année de carré était vachement mieux (...) parce que... même en travaillant comme des fous on arrive à... on s’amuse en travaillant en fait, par exemple quand on est dans une salle de travail bon ben on va voir quelqu’un pour lui poser une question et puis on commence à discuter mais pas longtemps, puis on se prend un fou rire ou en cours, les cours c’était vraiment des moments de détente parce que même si on copiait euh il y a des moments où il y a une ambiance euh des trucs comme ça, c’était pas mal, puis là j’ai rencontré plus de gens, des carrés et des bizus aussi, on se retrouvait tous et puis on travaillait, ou les rares fois où on sortait, on sortait ensemble, et puis comme ça c’était pas mal parce que on s’épaulait... » {Baccalauréat D, mention « assez bien », Concours obtenu à la deuxième tentative, Père : Maître de conférence en anglais, Mère : Professeur d’anglais dans un lycée}.’