II.B.2. Le monitorat des années supérieures

En outre, nombreux sont les étudiants des années supérieures qui, embauchés à cette occasion par les cours privés, jouent le rôle de véritables moniteurs, préparent, organisent et corrigent les colles et les exercices pour l’entraînement. Les colles hebdomadaires sont ainsi l’occasion de multiplier les consignes en vue des futures épreuves du concours, de dispenser des conseils pratiques explicites par exemple sur la manière dont il convient de mettre en page une copie, de faire un schéma et de l’orienter322, de construire une légende en anatomie, de présenter son travail, sur la manière encore dont il faut se comporter face à un QCM pour ne pas perdre son temps dans une situation où chaque seconde s’avère précieuse (les étudiants ne disposant que d’une minute par QCM), de même que sur les attentes réelles ou supposées des correcteurs...

« Donc là je fais un sujet type, le sujet d'anatomie au concours, dans le même style. Voilà, alors mon travail après c'est corriger les copies. Je fais un corrigé type, écrit... Donc euh chaque étudiant a son corrigé type, et euh je fais une correction orale aussi »
« je fais les colles d'anatomie, donc c'est surtout sur l'anatomie. Donc je vais leur donner des conseils euh surtout sur comment rédiger une euh copie d'anatomie, et puis euh... et puis voilà de toute façon euh bon les conseils je les donne pas forcément par oral, mais je peux les donner par écrit (...) (et alors tu vas donner des conseils c'est, quels types par exemple...) ffff “allez à l'essentiel” ou... euh (...) qu'est-ce que je peux dire ?... euh (...) ouais, c'est ça : “allez à l'essentiel”... c'est ce que je marque... “hors sujet” euh (...) c'est pas vraiment des conseils euh sur la méthode c'est des remarques. Bon j'essaie de corriger les copies relativement vite euh, justement là vu que la dernière colle était très franchement mauvaise, la moyenne devait être de 7 bon là j'en ai une vendredi, je vais y aller avant la colle pour leur donner des conseils, leur dire ce qu'il ne faut pas faire. (Faiblement) Je vais leur dire tout ce qu'ils font qui ont... déjà sur la présentation, c'était lamentable. Je vais leur dire utiliser les couleurs réglementaires pour euh... en anatomie euh il faut mettre un titre à chaque question euh, mettre les orientations à chaque schéma, tirer les traits à la règle et puis surtout faire un plan structuré pour chaque question, et ne pas déborder euh... ne pas faire des hors sujet c'est-à-dire répondre à la question et ne pas en dire en trop, et par contre mettre des petits suppléments mais bien viser euh (...) c'est-à-dire que souvent ce qu'il faut c'est répondre à la question d'anatomie, pas faire de la physiologie en anatomie ou l'histologie en anatomie, euh c'est une question d'anatomie donc il faut répondre dans l'esprit de l'anatomie, et des fois ça empiète, et en plus c'est pas toujours juste... donc il faut bien se cantonner au cours, et structurer, et rajouter un petit plus à chaque fois, mais bien orienter ce petit plus, pas mettre un petit plus sur n'importe quoi. Quand on demande un schéma d'une côte, mais qui contient une vertèbre, eh ben se cantonner à la côte et pas essayer d'en mettre des tonnes, de légender sa vertèbre comme une... faut pas faire du zèle en fait, souvent les profs n'aiment pas qu'on fasse du zèle, et oublier certains points qui sont importants quand même, qui sont attendus par le prof (tu dis qu'il faut qu'ils mettent un titre pour chaque question ?) ouais réécrire la question, reformuler, orienter les schémas et puis essayer de s'appliquer à faire des schémas corrects quoi parce que c'est vrai que c'est pas toujours le cas » {Colleur}.
« (OK, tu me disais tout à l'heure que, il t'arrivait de faire des colles, notamment, tu en avais fait beaucoup plus l'année dernière ?) ouais (est-ce que, dans ce cadre là des fois tu as des conseils à donner) ouais, parce que moi je fais des colles d'anatomie donc euh... c'est des dessins, donc euh j'essaie de leur donner des conseils pratiques tout bêtes quoi,, mais c'est vraiment... même pour les textes, pour rédiger des textes je leur dis des trucs tout bêtes, d'être de justement de faire des plans parce que je leur explique, enfin moi je leur dis que j'ai été colleuses et que je vois déjà qu'à mon niveau ça me gonfle quand je lis des paragraphes qui sont pas du tout structurés, alors j'imagine que le correcteur du concours qu'en a 100 fois plus que moi ça doit encore plus le gonfler. Je leur dis des trucs bêtes, de tirer, d'aller à la ligne pour chaque nouvelle idée, à la limite de souligner discrètement, pas faire un gros trait, mais les mots importants, ou pour les dessins de faire des choses claires, d'écrire bien c'est des petits conseils très généraux hein c'est pas. Il y en a qui me demandent comment je faisais moi et j'essaie de leur dire surtout d'être hyper organisés et de ne pas se lancer euh, bon moi je sais que c'est en tout cas en P1 c'était fondamental d'être assez systématique, les cours du matin les voir le soir, enfin l'après midi, (insistant) de surtout pas surtout pas mais vraiment pas du tout perdre le... de prendre du retard quoi » {Colleuse}.’

Entraînés par les années supérieures tout juste reçues au concours, les étudiants médecins de première année bénéficient ainsi, à toutes fins utiles, de leurs expériences universitaires, de leurs recommandations et admonitions amicales. Or celles-ci s’avèrent d’une grande importance s’agissant de jeunes aspirants médecins qui, tout juste sortis du lycée, sont parfois bien loin de se représenter avec justesse la nature du travail qu’il convient de fournir en médecine, la nature des exigences qui le sous-tendent, et sont ainsi parfois déconcertés par elles tant ce que “savoir” et “apprendre” y veulent dire, s’éloignent des conceptions auxquelles ils ont été jusqu’alors habitués au lycée.

‘« On nous donnait beaucoup de conseils. C'est surtout les deuxièmes années qui nous disaient bon je sais pas une matière comme la biochimie qui est une matière où il fallait aller mais vraiment très vite, et recracher par coeur tout ce qu'on savait, ils nous le disaient vraiment dès le début parce que c'est un piège. Quand on arrive de Terminale on est à 100 lieux de s'imaginer qu'on nous demande d'apprendre par coeur des trucs comme ça et de recracher mot pour mot. Donc vraiment ils nous le disaient, et on était entraîné à ça, à aller très vite, parce que c'était une épreuve rapide, toutes les épreuves rapides ils nous donnaient vachement de conseils. On nous disait, on mettait bien en évidence que c’était du mot pour mot. Quand ils corrigeaient nos copies ils nous disaient “là, c'est pas clair, c'est pas précis, tu es trop vague, c'est pas ce qu'on va te demander le jour de l'examen [...] ils mettaient vraiment l'accent sur les matières difficiles qui sont un peu traîtres parce qu'on s'attend pas à ça en sortant du bac » {Baccalauréat D, mention “assez bien” ; Concours obtenu à la deuxième tentative}.
« J’avais pas du tout de bonnes méthodes de travail, je savais pas du tout ce qu’il fallait apprendre, comment il fallait apprendre j’étais mais larguée ! » ; (comment apprenait-elle les cours alors ?) «  je les lisais, en fait, je ne les apprenais pas par coeur, j’avais pas compris qu’il fallait apprendre par coeur, c’est pour ça que les matières de compréhension, j’avais plus de facilité parce que je raisonnais alors que les matières de par coeur (en souriant) mais j’arrivais pas à apprendre j’avais, je sais pas si c’était ma capacité de mémoire qui a changé je sais pas du tout, mais j’arrivais pas du tout à apprendre, alors que quand j’étais carré, je sais pas je me suis forcée, j’étais stressée j’étais dans une ambiance de stress, je sais pas, ça m’a forcé à apprendre tout par coeur » ; « je lisais comme ça et puis après j’essayais de réciter et puis ça ne rentrait pas du tout alors qu’il fallait avoir un plan, que ce soit structuré » {Baccalauréat D, mention “assez bien” ; Concours obtenu à la deuxième tentative}.
« En médecine quand on passe le concours c'est plus du tout pareil, on n’apprend tous les petits détails tout ce qu'on peut apprendre en fait on apprend le maximum de choses euh je passais des heures à regarder mes cours, à les réciter, je les récitais plus pareil, avant mon bac je récitais euh je lisais mon cours et puis voilà, enfin je l'apprenais comme ça, alors euh, la première année (de médecine) c'est ce que j'ai fait mais la deuxième année c'était plus pareil » {Baccalauréat C, mention “assez bien” ; Concours obtenu à la deuxième tentative}.
« J'étais au cours Galien c'est une préparation pendant la première année, toute l'année qui n’est pas suffisante mais qui est quand même bien nécessaire, bien utile, qui m'a bien aidé malgré tout, pour la motivation, pour aussi ce que cela t'apporte euh dans le sens où l'examen de première année est un peu particulier, un peu idiot, et euh en sortant du bac on n'est pas forcément euh prêt à répondre à ce genre de euh... d'exigences quoi euh, enfin c'est un petit peu euh c'est un concours qui est un petit peu idiot, que je trouve complètement stupide, ce n’est pas vraiment basé sur l'intelligence mais plutôt sur la capacité de travail euh... donc pour ça faut être prêt et c'est vrai que euh ces organismes euh sont bien que ce soit le CHA ou un autre euh parce que ils te font vraiment comprendre si tu veux euh tu comprends plus vite que quelqu'un qui va sortir du bac et qui va essayer de faire ça tout seul, il ne va peut-être pas forcément comprendre euh où on veut l'amener à la fin de l’année véritablement, si c'est quelqu'un qui est déjà un peu responsable qui a envie de se prendre en main, d'être un peu comme je ne suis plus maintenant quoi d'avoir envie de me former, si on part comme ça la première année c'est râpé, c'est dommage pourtant ça serait bien, mais euh le but c'est pas ça. Alors on t’apprend à répondre à des QCM essentiellement parce que c'est basé quasiment que là dessus, il y a très peu d'épreuves écrites à la fin de l'année, donc voilà apprendre, apprendre à apprendre par coeur (rires), c’est-à-dire euh un peu oublier de synthétiser de... il faut parfois essayer d'oublier de vouloir absolument comprendre... Ils m'ont expliqué qu'il fallait être un peu bourrin et puis qu’il fallait un petit peu apprendre par coeur. En fait les données étaient simples hein il fallait apprendre par coeur et faire des QCM, voilà, c'était les deux données essentielles à comprendre en arrivant euh en première année c'est un peu tout bête quoi (...) voilà, m'enfin c'est vrai que si on nous le dit pas on... on n'y pense pas forcément au départ, on ne prend pas forcément toutes les données du prof qu'on a en cours, on reste un peu sur le bac tout ça donc c'est vrai que ça change quoi » {Baccalauréat D, mention “assez bien” ; Concours obtenu à la première tentative}
« Au lycée je n'avais pas trop de méthodes parce que bon le lycée on a une interro, on révise le jour d'avant, c'est pas trop le problème. En première année là ça m'a posé plus de problème parce que c'était très dense, il y avait beaucoup de cours, il fallait tout savoir, donc là il fallait travailler tous les jours et puis euh ne pas avoir de retard en fait. C’est-à-dire tous les cours du matin, il fallait les apprendre le soir ou alors euh avant d'avoir un autre cours dans la même matière quoi, fallait arriver en sachant le cours assez bien... et en première année j'étais au CHA, un cours privé euh enfin une école quoi (les cours que vous appreniez en début d'année vous les saviez encore en fin d'année ?) ben oui parce qu’en fait euh en première année je les ai vus au moins dix fois mes cours donc oui (en souriant) je les savais en fin d'année » {Baccalauréat D, mention “assez bien” ; Concours obtenu à la première tentative}’

Notes
322.

On peut encore lire dans Guide de rentrée 94/95 de l’Association Corporative des Etudiants en Médecine de Lyon à l’attention des nouveaux entrants : « Surtout pour l’épreuve d’anatomie. N’oubliez pas l’orientation des schémas car certains correcteurs pourraient vous coller un 0 pour ça ! », p. 4.