IV.B.3. Cas cliniques et tableaux cliniques
Le cas clinique quant à lui et s’il fait bien intervenir l’esprit d’analyse suppose également une résolution, c’est-à-dire implique, tout comme le QCM par exemple bien que sous une forme différente, une solution : celle du diagnostic approprié. Le cas clinique repose ainsi sur la mise en oeuvre de raisonnements d’expertise médicale relativement codifiés et protocolarisés, c’est-à-dire d’abord sur la maîtrise d’une grammaire des signes, par lesquels l’observation clinique produit et construit, par inclusion et exclusion d’hypothèses combinatoires fondées sur une série de tableaux cliniques, un ensemble d’indices pertinents pour l’établissement du diagnostic.
Description clinique de la polyarthrite rhumatoïde (PR)
- Grandes et petites articulations des extrémités supérieures et inférieures, symétriquement (des deux côtés du corps).
- Troubles d’abord passagers ou “migrateurs” : paraissent se déplacer d’une articulation à une autre. Dues à l’inflammation.
- Les symptômes peuvent croître et décroître, mais l’arthrite est d’ordinaire persistante au bout d'un certain temps.
- Fonctionnement : peut provoquer des difficultés ambulatoires (les extrémités inférieures étant touchées) et gêner les activités quotidiennes (par atteinte des extrémités supérieures : épaules, pouces, etc.)
- Enflure durable et visible de l’articulation, indiquant une atteinte des structures infra-articulaires (internes à la capsule articulaire).
- Manifestations générales : fatigue, perte de poids et affaiblissement général. Eventuellement nodules chez le tiers des patients. Manifestations générales souvent dominantes chez les patients jeunes et âgés (masquant le problème articulaire).
- Caractères distinctifs :
- Type classique d’arthrite.
- Prégnance des manifestations générales : le patient est “malade” et ne fait pas que souffrir de douleurs articulaires.
- Troubles répartis.
- Manifestations extra-articulaires évidentes.
- Questions fonctionnelles nécessaires pour faire dire au patient quelles articulations le font souffrir.
Arthrose (A)
- Processus dégénératif (arthroses - souligne la nature non inflammatoire de la maladie).
- Peut apparaître vers 30 ans, particulièrement chez les femmes ayant des antécédents familiaux du côté des femmes (mère, soeur). Apparaît normalement à la quarantaine.
- Deux formes sont communes : a) atteinte des articulations porteuses (genoux, hanches), du bas du dos et des petites articulations des mains (A généralisée), b) atteinte des doigts seulement (interphalangienne, inflammatoire ou érosive) (A des doigts).
- Certaines articulations sont rarement atteintes : poignets, coudes, épaules et chevilles. Quand elles le sont, cela peut indiquer la présence d’une autre maladie (hyperparathyrïdie, hémochromatose).
- Quand elle affecte la main, l’A épargne les articulations métacarpo-phalangiennes (jointures) et le poignet, mais touche généralement la première articulation carpo-métacarpienne (base du pouce) et toutes les articulations interphalangiennes (sous les jointures). Tableau caractéristique de la pathologie de la main. Rarement générale (pas de fatigue, de perte de poids, d’affaiblissement, etc.).
- Les atteintes articulaires aux doigts peuvent être inflammatoires et causer une douleur modérée et une enflure. Elles peuvent se déplacer de l’articulation IPP (interphalangienne proxime) à l’IPD (interphalangienne distale), dans l’une et l’autre main, à des moments différents (intervalles de plusieurs mois, voire un an). Utiliser sa propre main comme modèle. Inflammation, douleur et enflure “déphasées” par rapport à la PR qui se déplace progressivement.
- Faire attention aux signes trompeurs ; l’A inflammatoire (A érosive est un terme radiologique) peut apparaître très inflammatoire (rougeur, enflure, douleur aiguë).
Variantes rhumatoïdes
- (Rhumatismes psoriasique, arthrite colitique, syndrome de Reiter, spondylarthrite ankylosante).
- Distribution : a) grandes articulations des extrémités inférieures, asymétriquement ; b) souvent articulations interphalangiennes des orteils seulement (et non articulation métatarsophalangienne comme pour la PR).
- Atteintes plus ou moins graves de la colonne vertébrale dans toutes les variantes.
- Rhumatismes psoriasique : peut toucher les extrémités supérieures et inférieures avec psoriasis cutané et des ongles (p. Ex., articulations interphalangiennes distales avec ongles desquamés et cassants). Formes diverses ; peut être très répartie et avoir l’air “rhumatoïde”.
- Spondylarthrite ankylosante : colonne vertébrale toujours atteinte. Pas de lésions cutanées. Touche 40% des articulations périphériques (si hanches et épaules incluses).
- Arthrite colitique : concordance clinique de l’intestin et des articulations, avec érythème noueux et lésions cutanées ; ou bien atteinte de la seule colonne vertébrale et troubles intestinaux, sans concordance. Atteinte des articulations périphériques légèrement différente dans les deux formes.
- Syndrome de Reiter : légions indolores de la peau et de la membranes des muqueuses, urétrite, conjonctivite, lésion de l’ongle spécifique (destruction de la base de l’ongle).
- Manifestations particulières : articulations moins gravement atteintes que dans la PR, plus de hauts et de bas (à l’exception du pied, qui peut être atteint très gravement et de façon très progressive.
- Manifestations générales rares (fièvres, perte de poids, fatigue), mais existent, surtout chez les patients présentant un syndrome de Reiter ou une spondylarthrite ankylosante (SA), en particulier les jeunes chez qui elles peuvent être très graves.
- Manifestations communes : extrémités inférieures, asymétrie, grandes articulations, articulations interphalangiennes distales ou proximales des doigts, orteils (disproportionnés, jusqu’au MCP ou MPT), atteinte de la colonne vertébrale et concept d’enthésopathie (inflammation des enthèses, ou des ligaments, des tendons, du périoste - attaches à la base) produisant une enflure au-delà des confins de l’articulation (orteil en saucisse) ou une douleur dans les talons (dépourvus d’articulation).
Lupus érythémateux aigu disséminé (LEAD)
- Plurisystématique : peut affecter les reins, le système nerveux central et le système cardiovasculaire.
- Fièvre, exanthèmes et polyarthrite dominent le tableau clinique.
- L’atteinte des articulations peut être grave et très douloureuse, la maladie pouvant toucher des attaches - capsule, tendons (tenosynonite) - très sensibles, mais avec peu d’enflure ou de signes objectifs d’inflammation. Petites et grandes articulations peuvent être atteintes, mais autrement que dans la PR ; pas de déformation ni de destruction progressives des articulations.
- Touche plus les femmes ; plus fréquent chez les adolescents et les jeunes.
- Patient se sent très mal ; fatigue, perte de poids, fonte des muscles.
- Exanthèmes surtout sur la face et les mains.
- Le soleil peut aggraver les exanthèmes, les douleurs articulaires et la fatigue
- Raynaud possible, douleurs de poitrine de type pleurite (voire péricardite ou épanchement pleural) et myosite.
- Manifestations particulières : articulations n’ont pas le même aspect que dans la PR. Conditions générales très courantes. Plurisystématique, peut mettre la vie en danger. Exanthèmes, photosensibilité. Varie selon l’âge et le sexe. Myosite et Raynaud aident à distinguer de PR et des variantes.
- Observations générales : symptômes d’inflammation souvent plus importants que signes cliniques observables ; patients souvent considérés comme des “tire-au-flanc”.
Arthrite goutteuse
- Forme aiguë : attaques aiguës d’arthrite auto-limitée, très douloureuse ; peut s’étendre au-delà des confins articulaires ; ressemble à la cellulite ; désquamation possible ; d’ordinaire mono-articulaire, mais parfois polyarticulaire ; inflammation très aiguë ; disparition complète qui contraste avec les variantes de la PR ; rechercher les périodes normales « intercritiques”.
- Forme chronique : attaques répétées, chacune pouvant excéder une semaine, avec concentration d’urate monosodique aux articulations ou à proximité (tophus) ; excroissances.
- Manifestations particulières : presque n’importe quelle articulations peut être atteinte, mais le gros orteil et le genou sont les plus courantes. Hommes d’âge mûr plus souvent que femmes. Goutte chez les hommes peut être provoquée par des médicaments qui élèvent le taux d’acide urique dans le sang (p.ex. les diurétiques thiazidiques). Diagnostic par piqûre dans les sites périarticulaires (jointures). Guérison exige d’abaisser le taux d’acide urique dans le sang.
Une observation clinique répond en effet à des critères bien définis d’observation susceptibles de produire des indices permettant au raisonnement médical de formuler des hypothèses, d’en exclure d’autres, afin de parvenir au diagnostic de l’éventuelle maladie. L’identification de ces indices et de leur signification combinatoire implique qu’ils puissent être (re)connus, donc isolés, parmi d’autres configurations séméiologiques significatives et nécessite l’acquisition préalable de raisonnements et de savoirs codifiés. L’effort est porté vers la recherche de la solution que l’on présuppose immanente à l’exercice effectué (le cas clinique) et dont le dénouement réside dans le juste diagnostic. « Une telle réalisation suppose la reconnaissance par l’étudiant, derrière l’exercice particulier, d’un “modèle” ou d’un “patron” fourni par l’enseignant dans le cours et dans les moments d’entraînement au moyen de séries d’exercices qui constituent des variations autour du modèle. L’étudiant sait donc en pareil cas que chaque exercice (ou problème) a sa solution qu’il lui appartient de trouver. En revanche, le rapport au savoir et aux “exercices” est très différent dans les formations plus “littéraires” qui ne reposent pas (ou moins) sur l’acquisition de savoirs et de raisonnements codifiés »339.
Ces formes d’évaluation des connaissances médicales, en raison de leur forte systématicité et de leur caractère très ciblé, contribuent à définir clairement les objectifs de l’apprentissage, et du même coup, contribuent à limiter les degrés d’incertitude éventuellement présents dans le travail personnel effectué. Soumis et entraînés à ce type de sanctions institutionnelles dès les premiers moments de leur cursus, les étudiants médecins de troisième année en maîtrisent les tenants et les aboutissants. Ces derniers ont appris à régler leurs apprentissages sur les exigences précises de ce type de sanctions institutionnelles. Selon qu’il s’agit d’un QCM ou d’un QROC par exemple, apprendre ne requiert pas exactement les mêmes impératifs. Chaque étudiant médecin sait que, pour un QCM, il doit diriger et contrôler son travail d’assimilation en fonction des annales d’examen. Faire et refaire ces annales devient une impérieuse nécessité. C’est une étape connue, déterminée, du travail dans une série relativement codifiée, routinisée et systématique d’actes d’apprentissage : apprendre par coeur, matière après matière, en faisant des tours, chapitre après chapitre, paragraphe après paragraphe, en réécrivant, en récitant, en s’évaluant, etc. (confère infra).
‘« Je refais les annales surtout pour les QCM (imperceptiblement) des choses comme ça, puis pour savoir à peu près euh je regarde, j'aime bien regarder, faire un tour vite fait sur toute la matière mais sans chercher vraiment à l'apprendre, euh regarder les annales une première fois pour savoir dans quelle direction il faut cibler euh ce qu’il y a à apprendre, et après refaire un tour comme il faut l'apprendre (le cours) et refaire des annales encore après pour voir enfin à quel niveau j'en suis, mais ça c'est juste pour préparer l'examen, il y a certaines matières où je ne fais que ça, d’autres matières où je me dis ça faut le savoir euh je bosse différemment j'apprends, et puis plus on approche de l'examen et plus j'en fais... ».’