Le caractère extérieurement structurant de l’emploi du temps des études médicales troisième année apparaît d’ailleurs clairement à la fois dans les réponses spontanément positives des étudiants médecins sur l’existence éventuelle, dans leur emploi du temps, de journées “ordinaires” (au sens de régulières), et dans les récits qu’ils en effectuent. Clair indice d’une régularité des pratiques, à la question : “est-ce que vos journées se répètent dans leur déroulement ?”, nos interlocuteurs répondent systématiquement de manière affirmative là où, pour établir la comparaison, les étudiants sociologues rétorquent souvent négativement.
En outre, les journées décrites, à quelques nuances près similaires d’un étudiant à l’autre, sont pour l’essentiel dominées et organisées par les activités universitaires. Il s’agit de journées monorythmiques, souvent univoques, et pour l’essentiel consacrées à l’étude 389 . C’est ainsi que ces journées “ordinaires” qui s’avèrent des journées d’études s’organisent, en raison même de l’ensemble des obligations universitaires, selon des principes et des impératifs globalement identiques. Au point qu’il est possible d’en établir une description type.
Ces étudiants se lèvent relativement tôt le matin, entre sept et huit heures, pour se rendre à leurs stages hospitaliers qui débutent entre huit et neuf heures selon les cas. Le stage clinique se prolonge jusqu’à la mi-journée, parfois même jusqu’en tout début d’après-midi, ce qui les conduit parfois à « manger sur le pouce ». C’est à ce stade de la journée que les variations les plus importantes apparaissent selon que les étudiants se rendent à tout ou partie de leurs cours dispensés l’après-midi, ou selon qu’ils choisissent de ne pas y assister si toutefois les cours en question n’ont pas caractère d’obligation.
Ces derniers rentrent alors chez eux ou se rendent dans un des nombreux cours privés (Le Cha, Cap sup...) pour travailler leurs cours dans les locaux appropriés ainsi mis à leur disposition moyennant finances. Les autres se pressent d’aller en cours qui débutent généralement à deux heures. Il leur est d’ailleurs parfois difficile de faire la jonction entre la fin des stages qui, pour certains, s’achèvent tardivement dans la matinée, et le début des cours. Enfin, une fois rentrés à leur domicile, ces étudiants soit se détendent soit cherchent encore, ce qui est souvent le cas, autant que leur « courage » le leur permet, à travailler leur cours.
A la question, “y-a-t-il des journées qui se répètent dans leurs déroulements ?”, cette étudiante me répond : « oui, ça c’est sûr ! » ;« Le matin, donc stage jusqu’à ffff ça dépend, une heure, une heure et quart, une heure vingt. Donc après, soit je mange sur le pouce soit je ne mange pas soit je mange à la cafette. A deux heures je reprends les cours jusqu’à 4 ou 6. C’est plutôt 4 parce que les deux dernières heures on les vire. Après je rentre à la maison. Je discute avec ma mère et avec les frères qui sont là éventuellement [...]. Puis après si j’ai le courage je vais travailler. Ensuite je mange, on mange tous en famille, et puis après je travaille un petit peu après manger » {Fille, célibataire, 21 ans ; Père : professeur de biochimie ; Mère : sans profession ; étudiante vivant chez ses parents}
‘« Tous les matins à partir de la troisième année donc on est en stage à l’hôpital. Donc mon premier stage, il fallait être là bas à 9 heures, mais maintenant c’est en chirurgie donc c’est 8 heures... d’habitude on a un cours de 8 heures à 9 heures dans le service même, puis après il faut faire les observations des malades... La matinée se termine souvent vers une heure à peu près, voire plus quand on est au bloc, puis on va manger au resto U et après on va en cours à deux heures. Enfin j’ai pour principe d’aller à tous les cours, donc je vais en cours à deux heures puis j’en ai souvent jusqu’à 6 heures [...] ça fait lourd, c’est vraiment des journées très longues. Je rentre ici et puis je souffle, souvent je sors, je vais au cinéma, je vais chez des amis ou alors quand j’ai un examen je travaille ». {Fille célibataire, 20 ans ; Père : ouvrier garnisseur ; Mère : sans profession ; habite seule un studio en location}Comme nous le verrons, non seulement de nombreux apprentis-sociologues se trouvent dans l’impossibilité de décrire ce qui serait une journée “ordinaire” dans la mesure où le déroulement de ces dernières varient d’un jour sur l’autre (« ça dépend ») pour une bonne part en raison d’un emploi du temps scolaire anomique. Mais force est de constater dans le même mouvement que, outre une grande variation d’un étudiant à l’autre, d’une situation d’études à l’autre, ce sont des activités extra-académiques qui structurent les journées de ceux qui, parmi eux, font la description d’une journée “ordinaire”.