II. Des journées régulières consacrées à l’étude

Le caractère extérieurement structurant de l’emploi du temps des études médicales troisième année apparaît d’ailleurs clairement à la fois dans les réponses spontanément positives des étudiants médecins sur l’existence éventuelle, dans leur emploi du temps, de journées “ordinaires” (au sens de régulières), et dans les récits qu’ils en effectuent. Clair indice d’une régularité des pratiques, à la question : “est-ce que vos journées se répètent dans leur déroulement ?”, nos interlocuteurs répondent systématiquement de manière affirmative là où, pour établir la comparaison, les étudiants sociologues rétorquent souvent négativement.

En outre, les journées décrites, à quelques nuances près similaires d’un étudiant à l’autre, sont pour l’essentiel dominées et organisées par les activités universitaires. Il s’agit de journées monorythmiques, souvent univoques, et pour l’essentiel consacrées à l’étude 389 . C’est ainsi que ces journées “ordinaires” qui s’avèrent des journées d’études s’organisent, en raison même de l’ensemble des obligations universitaires, selon des principes et des impératifs globalement identiques. Au point qu’il est possible d’en établir une description type.

Ces étudiants se lèvent relativement tôt le matin, entre sept et huit heures, pour se rendre à leurs stages hospitaliers qui débutent entre huit et neuf heures selon les cas. Le stage clinique se prolonge jusqu’à la mi-journée, parfois même jusqu’en tout début d’après-midi, ce qui les conduit parfois à « manger sur le pouce ». C’est à ce stade de la journée que les variations les plus importantes apparaissent selon que les étudiants se rendent à tout ou partie de leurs cours dispensés l’après-midi, ou selon qu’ils choisissent de ne pas y assister si toutefois les cours en question n’ont pas caractère d’obligation.

Ces derniers rentrent alors chez eux ou se rendent dans un des nombreux cours privés (Le Cha, Cap sup...) pour travailler leurs cours dans les locaux appropriés ainsi mis à leur disposition moyennant finances. Les autres se pressent d’aller en cours qui débutent généralement à deux heures. Il leur est d’ailleurs parfois difficile de faire la jonction entre la fin des stages qui, pour certains, s’achèvent tardivement dans la matinée, et le début des cours. Enfin, une fois rentrés à leur domicile, ces étudiants soit se détendent soit cherchent encore, ce qui est souvent le cas, autant que leur « courage » le leur permet, à travailler leur cours.

A la question, “y-a-t-il des journées qui se répètent dans leurs déroulements ?”, cette étudiante me répond : « oui, ça c’est sûr ! » ;« Le matin, donc stage jusqu’à ffff ça dépend, une heure, une heure et quart, une heure vingt. Donc après, soit je mange sur le pouce soit je ne mange pas soit je mange à la cafette. A deux heures je reprends les cours jusqu’à 4 ou 6. C’est plutôt 4 parce que les deux dernières heures on les vire. Après je rentre à la maison. Je discute avec ma mère et avec les frères qui sont là éventuellement [...]. Puis après si j’ai le courage je vais travailler. Ensuite je mange, on mange tous en famille, et puis après je travaille un petit peu après manger » {Fille, célibataire, 21 ans ; Père : professeur de biochimie ; Mère : sans profession ; étudiante vivant chez ses parents}

‘« Tous les matins à partir de la troisième année donc on est en stage à l’hôpital. Donc mon premier stage, il fallait être là bas à 9 heures, mais maintenant c’est en chirurgie donc c’est 8 heures... d’habitude on a un cours de 8 heures à 9 heures dans le service même, puis après il faut faire les observations des malades... La matinée se termine souvent vers une heure à peu près, voire plus quand on est au bloc, puis on va manger au resto U et après on va en cours à deux heures. Enfin j’ai pour principe d’aller à tous les cours, donc je vais en cours à deux heures puis j’en ai souvent jusqu’à 6 heures [...] ça fait lourd, c’est vraiment des journées très longues. Je rentre ici et puis je souffle, souvent je sors, je vais au cinéma, je vais chez des amis ou alors quand j’ai un examen je travaille ». {Fille célibataire, 20 ans ; Père : ouvrier garnisseur ; Mère : sans profession ; habite seule un studio en location}
« Je me lève à 8 heures et quart, et je suis à Dégenette à 9 heures, je sors à midi et demie une heure et je viens ici, je mange et je repars d’ici à deux heures moins le quart. Alors soit je vais en cours, ce qui est souvent le cas à deux heures jusqu’à 4 heures, des jours ça peut être jusqu’à 6 heures, sinon je vais à CAP SUP comme je t’ai expliqué, et là je travaille. [...] Après je reste, 7 heures je reviens ici, enfin ça dépend des jours. Si c’est un vendredi souvent le vendredi soir je sors, le samedi pareil, il y a des week-ends où je reste là pour travailler parce que j’ai du boulot et il y a des week-ends je rentre chez ma mère parce que j’ai envie de rentrer » {Garçon célibataire, 22 ans ; Père : Chirurgien gynécologue ; Mère : sans profession ; habite seul un appartement dont sa mère est propriétaire}
« Le matin je vais à l’hôpital et l’après-midi je suis en TP parce que je les ai choisis en fonction [...] ça dure jusqu’à 4 ou 6 heures, ça dépend. Quand ça finit à 4 heures, j’essaie de venir travailler ici (au Cha qui est un cours privé)... et quand ça finit à 6 heures je ne peux pas, (en souriant) je rentre chez moi,(...). Et quand je ne suis pas à l’hôpital, je suis là (au Cha) à 9 heures et demie jusqu’à 6 heures ». {Fille célibataire, 22 ans ; Père : ONQ ; Mère : Coiffeuse ; vit chez ses parents}
« En gros si, ça s'organise en trois phases, premièrement le matin, où je vais à l'hôpital, deuxièmement l'après midi où euh on peut couper la poire en deux : la première partie qui va être des TP en général, sauf le mardis mais c'est des TP ou des dissections, des cours obligatoires, la deuxième partie où on a peu de temps, eh ben c'est là qu’on va travailler, puis le soir, c'est soit on travaille, soit euh bon plus maintenant on regarde la télé, on approche des examens, ou (...) soit je travaille, et je travaille là dans la maison de retraite au point de vue professionnel, pas point de vue universitaire » {Garçon vivant en concubinage dans un appartement de fonction, veilleur de nuit dans une maison de retraite, 24 ans ; Père : Analyste programmeur ; Mère : sans profession}
« Donc je vais à l’hôpital tous les matins, donc à partir de 8 heures et demie maintenant [...] je finis autour de midi une heure, ça dépend, selon les consultations, si elles sont longues, si on a beaucoup de travail à l’hôpital, ça dépend un peu. Ensuite je vais manger à l’hôpital généralement, à moins que je n’ai pas de cours l’après-midi donc je rentre ici, sinon je reste à l’hôpital et je mange, généralement je reprends les cours à deux heures parce que (en souriant) il y a les TP. Donc je vais en TP, suivant l’heure à laquelle je finis, généralement je rentre ici, ça dépend de l’heure, généralement je rentre directement mais... si j’ai le temps je travaille avant de manger et après donc je bouquine, je regarde un petit peu la télé et après je retravaille, (en riant) bon ça m’arrive de ne pas travailler aussi (rires) ». {Fille célibataire, 21 ans ; Père : Plâtrier-peintre ; Mère : Employée dans une crèche ; vit chez ses parents}
« Je commence généralement, donc l'hôpital à 9 heures jusqu'à 13 heures, 13 heures 15 ça dépend [...] et l'après-midi, généralement on est en cours, ou en TP. On ne va pas à tous les cours, on sélectionne, on a un système de ronéo parce que autrement on n'y arrive pas, on est trop fatigué (en souriant) c'est vrai (...) ». Elle rentre chez elle et fait une heure de gymnastique. Essaie de travailler une heure et va se coucher. {Fille célibataire, 24 ans ; Père : Médecin généraliste ; Mère : Sans profession ; Habite chez ses parents}
« C'est assez simple, je suis à l'hôpital, [...] entre 8 heures et demie et 9 heures, donc bus à 8 heures, 8 heures et demie. On sort de l'hôpital, en général, vers midi et demi, parfois une heure, c'est un peu variable selon les jours parce que c'est l'organisation du service alors c'est très variable selon les stages. Et puis ensuite les repas c'est à la cafette de l'hôpital. Alors après ça dépend suivant si j'ai des cours obligatoires, bon je reste à la fac, en ce moment tous les après-midi j'ai des trucs, donc [...] il y a des cours obligatoires, des cours où on est tenu d'assister, donc ça c'est pratiquement tous les après-midi. Donc si j'ai une heure entre les deux je reste à la BU bosser, et je reste en cours et puis j'ai jamais de cours après 6 heures donc à partir de 6 heures et demi je suis ici » (Fille célibataire, 20 ans ; Père : Architecte ; Mère : Architecte ; habite un appartement en location avec plusieurs amies étudiantes}
« Le matin je me lève, je me prépare assez rapidement, je dois être à l’hôpital à 8 heures moins le quart, donc je travaille en ce moment comme aide opératoire, c’est un travail assez physique où j’apprends pas grand chose [...] je sors vers une, deux ou trois heures de l’après-midi, et puis je mange, chez moi, et ensuite au bout d’une heure à peu près, je me repose un petit peu, je repars à la fac et je travaille dans une salle de travail donc des cours polycopiés. Je travaille jusqu’à 7 heures à peu près, je reviens chez moi et c’est fini pour le travail » {Fille célibataire, 21 ans ; Père : Pépiniériste ; Mère : enseignante de Yoga ; studio en résidence étudiante}.’
Notes
389.

Comme nous le verrons, non seulement de nombreux apprentis-sociologues se trouvent dans l’impossibilité de décrire ce qui serait une journée “ordinaire” dans la mesure où le déroulement de ces dernières varient d’un jour sur l’autre (« ça dépend ») pour une bonne part en raison d’un emploi du temps scolaire anomique. Mais force est de constater dans le même mouvement que, outre une grande variation d’un étudiant à l’autre, d’une situation d’études à l’autre, ce sont des activités extra-académiques qui structurent les journées de ceux qui, parmi eux, font la description d’une journée “ordinaire”.