IV.B.2. Un absentéisme partiel et stratégique

D’autres encore, sur un mode analogue, profitent de ce système en choisissant d’assister exclusivement aux cours jugés les plus importants comme la séméiologie (à forts coefficients) et/ou intéressants de leur point de vue, estimant ainsi que le suivi de ces enseignements, par le seul fait de l’écoute attentive, facilite le travail de compréhension et celui, ultérieur, de mémorisation des contenus. En ne se rendant pas ainsi aux cours à faibles coefficients, ces étudiants libèrent du temps pour leur travail personnel sur les domaines jugés les moins rentables...

D’autres enfin éliminent les heures d’enseignement les plus tardives de la journée à la fois parce que, leur état de fatigue aidant, ils en ont “assez” et ne s’estiment plus suffisamment alertes pour les suivre efficacement, parce qu’ils souhaitent s’aménager un temps de repos avant de se remettre au travail le soir même ou encore pour travailler personnellement plusieurs heures (par exemple à la bibliothèque) avant de rentrer chez eux.

C’est donc au nom de raisons essentiellement scolaires, pour assurer leur travail personnel régulièrement sans accumuler un retard toujours difficile à récupérer, pour ménager leurs forces et économiser leur emploi du temps, que ces étudiants choisissent de manquer des enseignements magistraux en profitant pleinement des cours ronéotypés qui leur sont distribués. Sinon, « on n’a pas le temps de tout faire »... Et s’il leur arrive de ne pas aller en cours par manque d’envie, c’est toutefois bien plus souvent dans l’objectif explicite de libérer un temps de travail personnel plus important, notamment sur les enseignements à faibles coefficients, que ces étudiants de troisième année adoptent ce comportement.

‘« Moi j'étais dans un service de chirurgie et je terminais souvent à deux trois heures de l'après-midi, donc euh je n'avais pas mangé, plusieurs fois j'ai insisté sur le fait que j'avais des cours, mais, ils en avait vraiment rien à foutre, (dégoût) rien à foutre ! J'étais là pour être en aide opératoire et ça ils en ont pas tenu compte, du fait que j'avais des cours l'après-midi... ptt mais il faut dire aussi que euh je n'assiste pratiquement plus aux cours parce que euh on a donc des stages à l'hôpital le matin qui prennent pas mal de temps, pas mal d'énergie, euh si on va en cours l'après-midi, il faut qu'on travaille le soir et moi je trouve que je travaille mal avec euh tout cet emploi du temps, donc euh je préfère aller à l'hôpital le matin et travailler à la fac l'après-midi mais pas aller en cours, ou aller aux cours qui m'intéressent, je pense que c'est comme ça que font la plupart des gens de ma promo » {Fille, célibataire, 21 ans ; Père : Pépiniériste ; Mère : Professeur de yoga ; habite seule en cité universitaire, sans activité salariée (bourse d’études)}.
« Si tu veux, si tu vas à tous les cours, ça devient très compliqué parce que (rires) en généralen cours ça va trop vite pour que tu puisses écrire et assimiler en même temps, donc en fait si tu veux c'est du travail qui sert à rien ce que tu fais en cours,d'autant plus qu’il y a un système de ronéo qui fait que tu peux avoir les cours tapés tip top et tu bosses dessus (rires) c'est tout bénef quoi » {Garçon, célibataire, 22 ans ; Père : Ingénieur conseil libéral ; Mère : Médecin acupuncteur homéopathe ; habite avec sa soeur dans un appartement dont les parents sont propriétaires ; soutien scolaire à raison de ¾ heures semaine}.
« Les cours c’est tous les après-midi normalement de deux à six [...] le matin, de toute façon, on est à l’hôpital ». « Cette année c’est impossible, le matin on est à l’hôpital, donc généralement on finit entre midi et une heure si c’est pas plus et on n’a pas le temps de tout faire. On a des TP obligatoires,si on veut travailler en dehors, on ne peut pas, enfin, seulement travailler nos cours, on ne peut pas, c’est trop lourd, parce que on a cours de deux à six. Même en allant pas en cours, moi je ne vais pas en cours non obligatoires, en allant qu’aux TP, j’arrive à avoir cours presque tous les jours à part mardi donc ça fait quand même pas mal ». « Comme je ne vais pas en cours, je n’ai pas le temps, j’apprends que sur la ronéo, (...) le temps qu’on perd à aller en cours, si on peut dire perdre du temps pour aller en cours c'est du temps de gagner après avec la ronéo euh c’est vrai j'avance vachement plus vite euh au lieu d'aller en cours ben j'apprends » {Fille, célibataire, 21 ans ; Père : Plâtrier-peintre ; Mère : Employée de crèche ; sans activité salariée et à la charge de ses parents}
« M.M. : vous assistez à tous les cours ?
Enquêtée : Ah non !!!
M.M. : Non ?
Enquêtée : Non, non non, les cours en amphi euh très peu, je vais aux cours obligatoires et euh (...) et certains cours en amphi mais vraiment très peu. Non sinon on n'a pas le temps quoi, non non. Il y a fréquemment des cours où on est 4 ou 3
M.M. : en cours d'amphi ?
Enquêtée : ouais ouais, sur 60
M.M. : (étonnement) Ah ouais ?!
Enquêtée : C'est très fréquent, ouais, (en souriant) ça fait hurler les profs mais il faut (en riant) qui réfléchissent au problème parce que c'est...
M.M. : et alors ils vous font des polycopiés alors ?
Enquêtée : alors en fait, il y a le système de la ronéo c’est-à-dire que, nous, on se met d'accord entre nous c’est-à-dire qu'il y en a un qui est chargé de faire la ronéo pour les autres, donc il prend les notes, tout ça est très organisé hein, il y a une secrétaire qui tape, on fait photocopier et puis on achète la ronéo (en souriant) chaque semaine, ah ouais, c'est hyper organisé (...) donc c'est très organisé ce qui fait que c'est pratique quoi (en souriant) chaque semaine on va chercher ces feuilles » {Fille, célibataire, 20 ans ; Père : Architecte ; Mère : Architecte ; habite un appartement en colocation avec une amie étudiante ; sans activité salariée}
« Cette année je n’y vais pas. Pourquoi ? Parce que le lundi on a minimum deux heures de TP, deux heures de TP plus deux heures d'anglais donc ça fait de deux à six heures, donc en plus je travaille dans une maison de retraite quelquefois à côté donc euh quand je suis en maison de retraite je ne peux pas travailler, donc pour rentrer à 6 heures euh même si je travaille pas, même en travaillant jusqu'à 11 heures ça fait que 5 heures de boulot, donc ce n’est pas assez, le mardi là je devrais vraiment aller en cours en séméio j'ai rien mais bon, après j'ai un CES qui commence à 19 heures, qui va jusqu'à 21 heures 30, le mercredi, on a soit une heure de TP l'après-midi, soit une heure de TP plus deux heures de cours obligatoires, le jeudi après-midi j'ai des vivisections qui sont liées à mon TP, donc là j'essaie de ne pas louper la vivisection pour pouvoir travailler, et le vendredi, alors une fois sur deux on a un TP de séméiologie chirurgicale de 14 à 16 heures, et ils nous ont collé des TP d'hémobiologie en plus, donc il reste quoi le samedi et le dimanche, euh ce n’est pas assez pour travailler donc euh c'est soit je ne vais plus en cours et j'ai du temps pour travailler, soit je vais en cours et je me... il y en a qui y arrivent, j'en connais là dans ma promo j'aimerais bien savoir comment ils font, mais euh moi je n’y arrive pas personnellement. Donc comme ça j’ai du temps de libre pour travailler, après j’ai pas besoin de me coucher à une heure du matin euh j’ai mon petit rythme » {Garçon, concubinage, 24 ans ; Père : Analyste programmeur ; Mère : sans profession ; Appartement de fonction en échange de gardes de nuit dans une maison de retraite}.
« M.M. : vous pouvez assister à toutes ces heures de cours si vous le voulez ?
Enquêté : euhhhhh oui ! Oui et non en fait, parce que le problème c'est qu'on est en pleine réforme à Lyon SUD, (...) c’est-à-dire que euh on nous a rajouté plein de trucs, plein de TP qui n'existaient pas avant, plein de matières comme les statistiques, comme l'anglais, donc ce qui fait que pendant une première partie de l'année on peut effectivement assister à tous les cours sans aucun problème, puis pendant une deuxième partie de l’année on a trois jours de TP obligatoires qui se terminent à 6 heures le soir, et il faut qu'on travaille quand même et puis on a un CES (certificat d’études scientifiques) de biologie humaine à faire et puis un mémoire à faire aussi, donc en théorie oui on peut, en pratique on ne peut pas. C'est de la folie on est complètement euh coincé on ne peut pas... assister à tous les cours donc heureusement on a un très très bon système, à Lyon SUD
M.M. : de ronéos ?
Enquêté : ouais ! qui nous permet justement de ne pas assister aux cours en ayant quand même des cours de qualité tapés à la machine etc. » {Garçon, célibataire, 23 ans ; Père : Chef d’équipe ; Mère : Employée de bureau ; Habite seul un appartement dont les parents sont propriétaires, travaille dans une clinique en tant qu’aide-soignant de 8 à 16 heures par semaine}
« Enquêté : je ne vais pas à tous les cours hein parce que je ne pourrais pas tenir le rythme quoi sinon [...] là en troisième année en fait l'enseignement il est divisé en deux, toute la moitié du programme c'est toute la fin de l'enseignement fondamental, des matières euh... comment dire... matières fondamentales c’est-à-dire non proprement médicales quoi, c’est-à-dire toutes les bases la bactériologie, la virologie, l'étude des cellules sanguines euh l'étude des parasites tout ça, donc ça c'est la moitié du programme, l'étude des médicaments euh tout ça, et tu as l'autre moitié du programme où on nous apprend euh face aux malades quoi les maladies les symptômes les... toute cette partie de l'enseignement c'est la séméiologie, donc l'étude des signes et des symptômes, et moi j'y vais (aux enseignements) parce que c'est clair que c’est quand même le plus intéressant parce qu’on nous apprend euh... de quoi se plaint le malade et ce que ça souligne, et puis parce que c'est utile quand on est à l'hôpital le matin euh (en souriant) si on veut reconnaître quelque chose euh c'est vrai que ce sont les cours les plus utiles » {Garçon, 23 ans, célibataire ; Père : Professeur de médecine interne ; Mère : Psychothérapeute libérale ; habite chez ses parents, sans activité salariée}’