Dans l’ensemble en effet, il s’avère extrêmement difficile de se faire une idée claire et précise de l’emploi du temps de ces étudiants, de dire, même approximativement, comment et à quoi ils occupent les heures de la journée, ou quels sont leurs rythmes de travail. La raison en est simple : irrégularités, instabilités et variations priment ici dans une sorte d’homéostase temporelle permanente, comme en témoigne par exemple la modalité discursive récurrente par laquelle ces étudiants répondent à notre interrogation sur l’existence éventuelle, dans leur emploi du temps, de journées relativement standards : « ça dépend ».
Deuxième constat flagrant : outre les effets faiblement structurants d’un emploi du temps universitaire décousu, rares sont les étudiants sociologues qui, lorsqu’on les interroge sur le sujet, brossent le portrait de journées toutes entières consacrées à l’étude et organisées par elle, qui trouveraient en leur centre, comme c’est le cas en médecine, de longues séquences d’activités scolaires univoques et régulières. De nombreuses expressions en témoignent, « je n’ai jamais de journée typiquement étudiante », « c’est rare que j’ai des journées complètes », entendons par là étudiantes, ou encore « il n’y a pas vraiment de journée ordinaire [...]. Peut-être que le mercredi et le jeudi ce serait vraiment deux journées étudiantes », qui suggèrent que ces étudiants ne sont, si l’on nous passe l’expression, “étudiants” qu’à temps partiel, à certains moments de la journée et/ou de la semaine401.
Là où les apprentis-médecins font souvent la description de journées et de semaines monorythmiques en ce qu’elles s’organisent, pour l’essentiel de leur déroulement, autour d’un seul grand pôle d’activités, les études, les récits des apprentis-sociologues, outre leurs variations évidentes, dépeignent plutôt des journées et des semaines à dimensions variables. Un emploi du temps pour les uns décousu ou disloqué, qui alterne les moments de travail et les moments d’attente, les heures pleines et les heures creuses ; un emploi du temps polyrythmique pour les autres, en ce qu’il se répartit entre différents domaines d’activités, activités rémunérées, activités domestiques, activités universitaires, dont l’étude n’est souvent qu’une occupation parmi d’autres.
Dans l’ensemble, ces étudiants déclarent ne pas avoir de “journées ordinaires”, leurs horaires variant non seulement d’un jour sur l’autre en fonction de leurs impératifs universitaires, variables également (il y a des jours de cours et des jours “libres”, des journées pleines et des journées vides de tout impératif), des périodes de l’année durant lesquelles le temps disponible est abondant ou plus étriqué, mais également et peut-être surtout en fonction de leurs éventuels (et à vrai dire, fréquents) impératifs extra-universitaires (domestiques, professionnels...), ou de « l’envie » du moment. « Ça dépend des jours », « j’ai pas de journée ordinaire [...], il y a des jours... », « ça dépend des périodes », « ça varie en fonction du travail que j’ai à fournir, des impératifs qu’il y a », sont ainsi les formes à travers lesquelles ces étudiants parlent de leurs activités.
Ceux qui toutefois déclarent et ce sera ici notre troisième constat —, car il y en a quelques uns, des journées-types, régulières dans leur organisation et leur déroulement, ne les doivent pour les uns qu’à des impératifs extra-universitaires réguliers, notamment professionnels, qui imposent des horaires et structurent de l’extérieur l’ordre des activités ; les autres rares il est vrai les doivent à un ascétisme scolaire particulier étroitement lié, dans ce contexte d’études, à une projection sur le long terme de leur avenir dans la discipline, qui conduit alors ces étudiants à s’imposer une discipline de travail, et par là même une discipline de vie, en dehors de toutes contraintes universitaires extérieures et immédiates.
Les récits de journées ou de semaines disparates, partagées entre différents types d’activités, alternant les heures et les jours d’études d’un côté et les heures et les jours chômés ou consacrées à d’autres activités que scolaires, irrégulières, instables et variables, sont ainsi caractéristiques des étudiants de licence de sociologie et s’opposent clairement aux récits des étudiants médecins troisième année.