Conclusion

La comparaison interdisciplinaire médecine et sociologie dans le cadre de cette étude et intradisciplinaire d’un étudiant à l’autre au sein d’une même filière permet de rappeler, faits à l’appui, que l’on verse nécessairement dans la généralisation abusive à chaque fois que, s’agissant d’une population plurielle aux réalités sociologiques et pédagogiques aussi disparates, en l’occurrence les étudiants, l’on formule des assertions qui, par la description de situations “moyennes” (ou supposées telles), cherchent à rendre compte (pour les recouper ou les englober) du plus grand nombre de situations possibles, aussi diverses soient-elles et surtout peut-être malgré cette diversité. C’est pourquoi, en matière d’emploi du temps pour ce qui nous intéresse ici-même, les affirmations selon lesquelles : « La présence en cours et en TD ne varie pas considérablement d’une faculté à l’autre. (...) Les étudiants passent en moyenne quatre jours à l’université par semaine, un peu plus à Besançon. L’image de l’étudiant dilettante, plutôt oisif ne semble pas correspondre à la réalité. La fréquentation de l’université structure la semaine de la plupart des étudiants et détermine la place des autres activités »406, s’avèrent à l’épreuve empirique largement abusives et hâtives dans l’enchaînement causal qu’elles proposent.

Et d’abord parce qu’elles aplanissent définitivement les contrastes et les variations (interdisciplinaires et intradisciplinaires) qui précisément font la richesse sociologique des différentes situations d’études dans l’enseignement supérieur en prétendant décrire in abstracto, toutes choses étant égales par ailleurs, en dehors de tout contexte d’études clairement défini et localisé, la situation d’un étudiant non pas statistiquement représentatif407 mais moyen (par la force des choses) qui, outre le fait de n’être jamais que le produit d’une pure vue de l’esprit, ne présente qu’un faible intérêt du point de vue de la connaissance descriptive qu’elle apporte. Pour s’en convaincre, il suffit d’ailleurs de considérer ce type d’affirmations à l’aune des disparités flagrantes et encore une fois significativesentre par exemple les emplois du temps des classes préparatoires aux grandes écoles et ceux des IUT et des BTS, des IUT et des BTS et ceux des facultés universitaires, et à l’intérieur même de l’université entre les emplois du temps de filières comme la médecine et ceux des Lettres et sciences humaines. Que gagne le discours sociologique dans ce cas de figure à vouloir uniformiser peu ou prou ses constats pour livrer un discours sur les étudiants “en moyenne” ?

Ensuite, parce qu’en aplanissant les variations des emplois du temps universitaires, leur caractère inégalement structurant, et en occultant peu ou prou les écarts qui peuvent exister entre d’un côté les horaires institutionnels et les comportements d’assiduité effectifs, ce type d’affirmations dénie au moins implicitement les effets, variables et discriminants, de socialisation que les rythmes de travail différentiels, indissociables des différents cadres scolaires, exercent sur les pratiques scolaires et au-delà sur les styles de travail et de vie estudiantins. La comparaison des études de médecine et de sociologie montre au contraire que les variations entre les emplois du temps et les obligations universitaires des facultés elles-mêmes (de même en va-t-il au niveau des comportements d’assiduité) peuvent être conséquentes et les effets de ces derniers très inégalement structurants sur les conduites des étudiants concernés. Que les étudiants passent en moyenne quatre jours à l’université suffit-il pour conclure que la fréquentation de l’université structure la semaine de ces derniers ? A l’évidence non, pas plus d’ailleurs que ce constat n’autorise, sous cette forme tout au moins et sans plus de précisions, la conclusion inverse !

Encore faut-il, pour le savoir, puisqu’en soi-même ce constat ne constitue pas une garantie suffisante, prendre en compte tout à la fois le volume, l’organisation et la configuration, la cohérence et la régularité notamment des emplois du temps institutionnels et estudiantins en question comme, par exemple, les heures de débuts et de fins de journées, leur distribution au fil des jours, les éventuels discontinuités et ruptures dans les horaires, les heures creuses et les heures pleines, celles institutionnellement encadrées ou à l’inverse “libres”, celles qui sont effectivement incompressibles et celles qui ne le sont pas, les écarts entre le temps laissé disponible et le volume de travail personnel à réaliser...

Autant de paramètres qui, en même temps qu’ils varient, régulent effectivement les pratiques, fixent des cadres temporels rigoureux ou, à l’inverse, si l’on s’en tient aux situations les plus saillantes, proposent un encadrement plutôt lâche, des horaires anomiques, et/ou laissent les étudiants plus ou moins “libres” d’occuper la majeure partie de leurs journées, et de décider de la nature de ces occupations (activités scolaires ou extra-scolaires). Bref, en la matière, les moyennes qui, pour viser l’extension assertorique, départicularisent des constats empiriques dont la valeur, variable, est avant tout contextuelle, appauvrissent nécessairement et inutilement le raisonnement sociologique dont les généralisations ne sont jamais aussi pertinentes que lorsqu’il s’efforce au contraire de désigner le plus rigoureusement possible le contexte des constats à partir desquels il prétend généraliser.

Si le lien établi par l’affirmation selon laquelle la fréquentation de l’université structure la semaine de la plupart des étudiants parce que ces derniers passent en moyenne quatre jours à l’université peut sans doute en l’état s’avérer approprié à certaines situations d’études, tel n’est pas le cas pour toutes les situations qu’il prétend recouvrir de facto, pas même celles où les étudiants doivent se rendre peu ou prou quatre jours par semaine à l’université comme le montre bien le cas de la sociologie. On le voit d’ailleurs clairement avec la comparaison des études de médecine et de sociologie. L’emploi du temps officiel de ces deux facultés, de prime abord et en apparence assez proche (par le volume de cours notamment), s’avère dans les faits sensiblement différent tant par l’organisation (ou la structure) que par le rythme qu’il imprime aux apprentissages et plus généralement aux journées et aux semaines de l’étude (heures de présence incompressibles, obligation ou non de se lever chaque matin, cohérence des horaires, temps disponible, etc.).

La sociologie par exemple, nous l’avons vu, outre le fait que tous les étudiants n’ont pas toujours les mêmes obligations à respecter en raison de la relative variété des situations d’études que cette discipline réunit en un même public (dispensé d’assiduité, maintien d’acquis d’une année sur l’autre, double cursus, passages conditionnels notamment), est loin de structurer par son seul emploi du temps la semaine de ses étudiants malgré les jours de présence à l’université qu’il suppose. Autrement dit, la fréquentation de l’université, plusieurs jours par semaine, n’est pas une condition suffisante pour structurer la semaine des étudiants sociologues, tant s’en faut. Et loin de déterminer « la place des autres activités »408, nous l’avons vu, ce sont les activités extérieures à l’étude qui, dans un nombre non négligeable de cas, déterminent la place que prennent les occupations universitaires !

Plusieurs lignes de partage démarquent les étudiants de médecine troisième année des étudiants de licence de sociologie enquêtés dans l’usage qu’ils font du temps. Une première ligne de partage se situe dans le volume des obligations universitaires que doivent remplir ces deux populations. Si les étudiants médecins n’ont guère plus d’heures de cours que leurs homologues sociologues, les stages hospitaliers et cliniques qu’ils doivent obligatoirement assurer quatre demi-journées par semaine en sus de leurs enseignements doublent pratiquement les volumes horaires à respecter. Il s’en suit que les étudiants médecins ont chaque jour de la semaine un volume conséquent d’obligations universitaires incompressibles (stages et TP/ED) à respecter. Autrement dit, ces étudiants n’ont d’autres choix, en premier lieu, que de consacrer le plus clair de leur temps, de leurs journées et de leurs semaines, à leurs activités de formation universitaire. Ceci reste vrai y compris dans l’hypothèse la plus basse lorsque par exemple ces étudiants manquent les cours non obligatoires quand ceux qui, à l’inverse, assument l’ensemble de l’emploi du temps institutionnel de la troisième année des études médicales ont des journées d’études entièrement pleines, de tôt le matin jusqu’à tard en fin d’après midi.

Cette première différence dans le volume des emplois du temps institutionnellement encadré se trouve indiscernablement liée à une deuxième ligne de partage entre les deux matrices disciplinaires. Inégalement resserré et chargé, le temps de travail scolairement contraint est aussi très inégalement structuré et par là même structurant. Non seulement les étudiants sociologues ont peu d’heures de cours, ce qui fait déjà de leur emploi du temps institutionnel un emploi du temps peu contraignant qui laisse libre et inoccupé de longues séquences temporelles, mais celles-ci se présentent souvent en ordre dispersé (quatre heures par çi, deux heures par là...) de telle sorte que les journées et les semaines d’études ne sont institutionnellement et sauf exception ni régulées ni rythmées. Alors que les journées et les semaines des étudiants médecins sont pour une bonne part structurées de l’extérieur par des horaires réguliers qui les obligent à se lever chaque matin de bonne heure, à tenir un rythme, à rester en activité, à respecter des horaires précis, etc., l’exiguïté du temps de travail prescrit en sociologie laisse les étudiants “libres”, si l’on peut dire, de verser dans l’anomie du lever et du coucher, de traîner ou de flâner, d’intéresser leurs journées ou leurs semaines à tout autre chose qu’à l’étude, de ne suivre pour emploi du temps que les heures d’enseignement souvent décousues qui leur sont proposées...

Et de fait la comparaison entre les étudiants médecins et les étudiants sociologues montre de grosses différences dans les manières d’être à l’étude. Si les premiers font figure d’étudiants professionnels, exerçant à temps plein, dont les journées sont organisées et consacrées à l’étude, les seconds donnent plus souvent l’image, avec des variations intradisciplinaires relativement importantes il est vrai, d’étudiants occasionnels, dans certains cas dilettantes, dans d’autres scolairement désoeuvrés, exerçant à temps partiel, dont les journées sont au moins aussi souvent occupées et organisées par des activités extérieures à l’étude que par l’étude proprement dite.

Il découle de ces premiers clivages une troisième ligne de partage entre nos deux populations étudiantes qui concerne le temps laissé disponible par l’institution, c’est-à-dire le temps non encadré et libre de toute astreinte scolaire immédiate et formelle. Si les variations repérables dans ce domaine constituent déjà, en elles-mêmes, des éléments pertinents pour saisir les différents styles de travail et au delà les différents styles d’existence impulsés par les matrices disciplinaires, elles recouvrent toute leur importance lorsqu’on les rapporte, dans le même mouvement, aux variations dans le poids du travail personnel à réaliser. Ce n’est en effet pas la même chose de suivre un emploi du temps qui laisse peu de temps disponible pour le travail personnel alors que ce dernier prend ou non une place déterminante dans l’économie générale des apprentissages, et réciproquement. Selon les filières d’études, certains étudiants disposent pleinement et comme bon leur semble d’un temps certes peu abondant mais relativement “libre” de toute astreinte scolaire, d’autres, au contraire, consacrent l’essentiel de leur temps disponible, bien qu’abondant, à la réalisation de leurs activités scolaires personnelles, abondantes elles aussi. Et l’on pourrait formuler les choses en sens inverse...

De ce point de vue, nous l’avons vu, apprentis-médecins et apprentis-sociologues ne sont pas logés à la même enseigne bien que dans les deux cas le travail personnel constitue une part essentielle des apprentissages. Les premiers dont l’emploi du temps prévoit de nombreuses heures de formation doivent faire face à un déséquilibre relatif entre le temps dont ils disposent pour le travail personnel et la masse des cours qui sont effectivement à assimiler. C’est la raison pour laquelle ces étudiants, ainsi mis sous pression, cherchent généralement à alléger le poids de leurs obligations universitaires et à libérer du temps pour la réalisation de leur travail personnel, cela au détriment de leur présence aux cours non obligatoires que le système des ronéotypés leur permet de manquer sans en supporter les conséquences les plus lourdes.

Les seconds, en revanche, disposent à cet égard d’un temps disponible incomparablement plus abondant. Tant et si bien que si l’on peut également affirmer que, dans ce contextes d’études, le rapport entre le temps disponible pour le travail personnel et le travail personnel à réaliser est lui aussi d’une certaine façon déséquilibré, c’est en un sens presque opposé. D’un côté, la difficulté principale inhérente à l’emploi du temps des étudiants médecins se situe dans le fait de devoir gérer la rareté relative du temps disponible pour le travail personnel. L’un des soucis majeurs est ici de ne pas accumuler un retard trop important, difficile à surmonter, dans l’assimilation de la matière professée, de tenir les exigences d’un emploi du temps astreignant... Le problème inhérent à l’emploi du temps des étudiants sociologues est en quelque sorte inverse puisqu’il se situe dans le fait de savoir et de devoir gérer la relative abondance du temps laissé libre par l’institution. Il s’agit là, davantage, de ne pas se laisser décrocher, de ne pas céder à la dérégulation, de garder un rythme de travail minimum, de ne pas se laisser totalement surprendre par l’urgence de la dernière minute...

L’énonciation de ces différences ne suffit toutefois pas à rendre compte des variations importantes dans les efforts consentis pour le travail personnel par nos deux populations étudiantes. Car l’on constate que les apprentis-médecins font preuve d’ascétisme scolaire dans la conduite de leurs apprentissages personnels en lui consacrant de façon régulière plusieurs heures journalières, en sus de celles vouées aux stages hospitaliers et aux heures d’enseignement obligatoires à tout le moins. Contrairement aux apprentis-sociologues, les jours entièrement chômés reste du domaine de l’exceptionnel alors que, dans l’ensemble, les apprentis-sociologues, nous l’avons vu, se contentent souvent du minimum requis (un examen, un exposé, une fiche de lecture à préparer) en ne sacrifiant à leur travail personnel, sauf exception, que quelques heures par semaine...

Certes, les étudiants médecins disposent-ils de latitudes temporelles nettement moins grandes pour effectuer leur travail personnel. Mais celui-ci, pas plus que celui de leurs homologues, n’est en troisième année directement prescrit ou contraint par des exercices, des devoirs, ou encore des partiels réguliers, qui rendraient ces heures de travail personnel journalières inévitables. Autrement dit, les étudiants médecins pourraient être moins assidus dans la réalisation de leur travail personnel qu’ils ne le sont effectivement. De même, les apprentis-sociologues pourraient faire preuve, dans ce domaine, d’un plus grand ascétisme scolaire. Le temps libre dont ils disposent, ils pourraient l’utiliser, comme le font d’ailleurs certains d’entre eux, à la réalisation d’un travail plus régulier de recherches bibliographiques, de lecture, de prises de notes, d’écriture, de relecture des cours.... Car leurs études, en dehors même de toute injonction impérative, font une place essentielle, au moins théorique, aux efforts d’apprentissage personnels.

Si les étudiants de médecine troisième année travaillent plus longtemps que les étudiants de licence de sociologie, c’est à la fois parce qu’ils ont, entre leurs stages hospitaliers, les heures de cours et de TD, davantage d’obligations universitaires et qu’ils travaillent plus longtemps en dehors du temps institutionnellement encadré ou pris en charge. C’est à l’intérieur des études médicales que l’on trouve le plus d’étudiants qui travaillent régulièrement le soir et régulièrement tôt le matin. En la matière, l’ascétisme scolaire se trouve donc et d’abord, très majoritairement, du côté des étudiants les plus sélectionnés, qui suivent les études de leur choix, un cursus prestigieux, bref du côté de ceux qui ont le plus à gagner de leurs parcours et qui donc, par là même, ont également le plus à perdre. Comme le montre d’ailleurs très clairement l’analyse des comportements d’assiduité vis-à-vis des enseignements professés ou d’investissement dans le travail personnel dans les deux contextes disciplinaires, l’appétence manque d’abord, avec quelques variations il est vrai, aux étudiants sociologues, c’est-à-dire à la population étudiante la plus dominée ou dépossédée culturellement et scolairement dont les études présentent des enjeux (scolaires, professionnels notamment) faiblement mobilisateurs.

Les étudiants sociologues qui, de ce point de vue, se démarquent de leurs camarades tout à la fois par leur investissement, leur implication, leur mobilisation sur des enjeux scolaires, bref par un ascétisme comparable aux étudiants en médecine, ne le doivent pour leur part non à une spécificité disciplinaire comme ces derniers mais à la spécificité de leurs parcours et de leurs situations d’études personnels et du rapport à l’avenir qui en découle (reprise d’études, absence de droit à l’erreur, projection en doctorat...).

C’est ainsi qu’il faut remarquer, dans le même temps et en dernière analyse (et il faut y voir une nouvelle ligne de partage) que les écarts intradisciplinaires dans l’énergie et le temps consentis aux efforts scolaires sont inégalement accentués en sociologie et en médecine. Pour ce dernier contexte disciplinaire, les comportements sont relativement homogènes alors qu’ils sont plus disparates pour le premier. Bref, au principe des différences interdisciplinaires, on trouve l’inégale accentuation des différences intradisciplinaires, c’est-à-dire l’inégale homogénéité non seulement des publics étudiants mais également, et c’est lié, de leurs pratiques, de leurs rapports aux études.

Que l’on est affaire à un emploi du temps resserré qui, en tant que tel, enferme les conduites étudiantes dans des cadres relativement stricts ainsi qu’à un cursus prestigieux, fortement mobilisateur d’un côté, et de l’autre côté à un cursus universitaire qui constitue le deuxième voire le troisième choix d’orientation sur la liste des préférences des étudiants dont l’emploi du temps offre des cadres plus souples autorisant ainsi une gamme plus étendue et diversifiée de comportements et d’investissements scolaires, n’est pas un élément à négliger dans la compréhension de ce phénomène.

Tout se passe en effet comme si les deux matrices disciplinaires pesaient d’un poids inégalement lourd dans la définition des pratiques et des comportements scolaires de leurs étudiants, et en l’occurrence dans l’usage qu’ils font de leur temps et notamment de leur temps d’étude. Si l’influence de la filière d’études reste quoiqu’il en soit prédominante puisque, nous le constatons, ce sont les différences interdisciplinaires qui priment et s’avèrent les plus discriminantes, il n’en reste pas moins vrai que les pratiques estudiantines sont, à l’intérieur même de chacune des deux filières, inégalement sujettes à la variation interindividuelle et inégalement sensibles à l’influence de conditions externes à l’étude stricto sensu comme par exemple les conditions d’existence des étudiants. Si le temps passé à étudier dépend beaucoup plus du type d’études que des conditions de vie et des contraintes matérielles, il dépend toutefois inégalement, à l’intérieur même de chaque filière, de ces derniers paramètres.

Si ces deux niveaux, les situations universitaires d’un côté, les situations personnelles et/ou les conditions sociales d’existence de l’autre, ne constituent pas deux ordres de réalité totalement séparés, nous l’avons vu à l’entame de cette étude, les matrices disciplinaires brident toutefois inégalement les effets liés aux variations dans les conditions d’existence de leur population, en les laissant ou non objectivement influer sur les manières d’étudier et d’être étudiant. Autrement dit, elles neutralisent avec une force inégale (en fonction certes de la sévérité de leur recrutement social mais également en fonction des niveaux d’encadrement, des cadres scolaires ou pédagogiques imprimés à l’étude...), l’influence des caractéristiques secondaires409 (origines sociales et scolaires, situations d’études, conditions matérielles, de vie...) sur les pratiques et les conduites scolaires des étudiants et par là même les disparités intradisciplinaires susceptibles d’être générées par la pluralité de ces mêmes caractéristiques.

Outre la sélection et la production d’un public étudiant socialement homogène par la double action du tri social et du travail d’imposition opérés à l’entrée du cursus (année du concours) qui déjà contribuent à harmoniser les schémas d’expérience des étudiants et leurs manières d’étudier, les rapports aux études et au travail intellectuel, la filière médicale renforce encore, par une action seconde, l’homogénéité des pratiques et des conduites scolaires de sa population en la soumettant à un ensemble de situations d’apprentissage relativement stables et régulières, de cadres scolaires structurés et contraignants, qui ainsi limite l’espace des appropriations possible ou, si l’on veut, les effets liés aux inégalités dans les parcours, dans les conditions sociales d’appartenance et d’existence...

Incomparablement plus homogènes, les manières d’être étudiant semblent en médecine fortement et directement dominées par les ressorts disciplinaires, internes ou endogènes à leur filière d’études : perspectives d’avenir disciplinairement déterminé, enjeux scolaires et professionnels, programmes d’études définis, nature rigoureuse de l’encadrement, organisation explicite des apprentissages... A l’inverse, les manières d’être étudiants qui en licence de sociologie apparaissent tout à la fois plus diversifiées et plus hybrides semblent davantage en proie à l’influence de ressorts extra-scolaires, externes ou exogènes à la filière d’études stricto sensu : place des études dans le cycle de vie (reprise d’études pour le plaisir, pour changer de formation, dans la continuité des études secondaires...), exercice d’une activité salariée, conditions de vie (logement, cohabitation ou non avec d’autres personnes), sociabilités amicales, relations familiales, responsabilités domestiques, vie en couple...

De ce point de vue, les filières d’études apparaissent et se présentent comme des matrices de socialisation plus ou moins puissantes (à la manière d’un filtre plus ou moins bien poreux) qui enjoignent peu ou prou leurs étudiants à agir, à se comporter, à se déterminer, selon des schémas disciplinairement définis. Selon le caractère plus ou moins explicite de leurs prescriptions, le caractère plus ou moins réglé des actes d’apprentissage, le caractère plus ou moins tendu du tempo des pratiques, etc., les disciplines d’études ainsi favorisent ou au contraire inhibent (tout simplement en ouvrant ou en fermant le domaine du possible) les variations liées à l’influence des inégalités dans les parcours personnels, les situations d’études, les conditions sociales sur les manières d’étudier et d’être étudiants, sur les rapports aux études et au travail intellectuel...

Notes
406.

OBERTI Marc, « Les étudiants et leurs études », in GALLAND Olivier (sous la direction), Le Monde des étudiants, Paris, PUF, Coll. Sociologie, 1995, pp.31-32, c’est nous qui soulignons.

407.

Cette enquête statistique ne tient compte en effet, dans ses affirmations, ni des établissements ni des facultés à la fois les plus “prestigieuses” et à fort encadrement pédagogique comme les classes préparatoires aux grandes écoles et les facultés de médecine...

408.

Ibidem

409.

Elles sont secondaires ici dans l’ordre d’analyse adopté.