III.C. Travail salarié et rapport à l’avenir

Enfin, et c’est lié, le rapport à l’avenir des étudiants sociologues, et donc au présent de leurs pratiques, semble jouer un rôle important dans le fait d’exercer ou non, dans ce contexte d’études, une activité salariée, davantage en tout cas, pour ce que nous pouvons en juger, que les conditions sociales d’appartenance des étudiants enquêtés dans le cadre de cette recherche. Ce sont, en effet, les étudiants qui envisagent leur avenir dans la discipline sur le (très) court terme, qui souhaitent arrêter la sociologie en fin d’année soit pour se réorienter dans un autre cursus d’études soit pour faire autre chose que des études, qui se trouvent les plus investis dans l’exercice d’une activité salariée. Sachant que ces étudiants ne souhaitent pas davantage poursuivre leurs études dans cette discipline qu’ils ne souhaitaient, au moment de leur entrée dans le supérieur, s’y inscrire, on comprend qu’ils puissent être moins enclins que d’autres à sacrifier, au profit de l’étude, les satisfactions financières et psychologiques que le travail rémunéré est susceptible de leur procurer.

C’est ainsi que l’on peut opposer à ces étudiants l’attitude de ceux qui, au contraire, projettent leur avenir dans la discipline sur le long terme, affirment des ambitions universitaires, et renoncent explicitement (et dans la mesure du possible bien sûr) à occuper un emploi dans l’objectif manifeste de se consacrer tout entier à leurs études. En témoigne par exemple cet interlocuteur qui, parce qu’il souhaite faire un doctorat de sociologie, contrarie explicitement toutes velléités d’indépendance au profit de l’étude, faisant ainsi le choix de dépendre totalement de ses parents sur un plan matériel pour disposer de la totalité de son temps. De cette étudiante également, boursière, qui pense qu’elle devra tôt ou tard travailler pour arrondir ses fins de mois mais cherche dans le même temps à repousser cette échéance le plus loin possible pour se consacrer à ses études...

Au total, si les pratiques de délégation économique ne sont pas moins fréquentes en licence de sociologie qu’en troisième année de médecine la majeure partie des étudiants étant pour l’essentiel à la charge de leurs parents (soit parce qu’ils sont logés et nourris par eux, soit parce qu’ils sont aidés financièrement), elles y sont toutefois moins prépondérantes. Et ce, en un double sens. En premier lieu parce que, nous l’avons constaté, un certain nombre d’étudiants en assurant tout ou partie de leurs besoins financiers n’y ont déjà plus recourt ou dans de faibles proportions, c’est-à-dire ne sont plus aidés par leurs parents, ce qui n’est le cas d’aucun étudiant médecin interrogé.

En second lieu (et peut-être surtout) parce que les pratiques de délégation prennent, dans ce contexte d’études, une place moins déterminante dans la manière de gérer le temps de l’étude. Même lorsqu’ils ne sont pas autonomes financièrement et qu’ils auraient la possibilité objective de disposer de la totalité de leur temps disponible pour l’étude, ces étudiants misent davantage que leurs homologues médecins sur les agréments d’une indépendance économique au moins relative et d’une expérience de la vie active. Tout se passe comme si ces étudiants souvent ne souhaitaient pas mettre tous leurs “oeufs dans le même panier”, et en l’occurrence tout investir dans les études. Pour cette population, les études ne sont pas tout.