I.B. Des dispositifs matériels d’autoprescription

Moins le travail personnel à réaliser des étudiants est organisé du dehors par un encadrement institutionnel resserré et plus il appartient aux étudiants (au moins en théorie) de gérer les modalités et le temps de ce dernier. Plus la part du travail personnel est importante dans la conduite des études et plus ces dernières supposent de la part des étudiants autodidactisme et autoprescription (« je note mes exposés, tout ce qui est travail à faire pour la fac je note, mais généralement il n’y a pas grand chose donc je note aussi tout ce que je dois faire de mon côté, mes entretiens, ce qu’on doit préparer » ; « Quand j’étais au lycée j’avais un cahier de textes parce que là on a des trucs... c’est assez régulier. Au lycée on a tout le temps des devoirs, c’est plus détaillé comme ça ce qu’on a à faire » ; « Je le regarde avant (de travailler) pour savoir les dates, (en souriant) parce que je m’y prends assez en retard généralement, donc au dernier moment [...] surtout en socio, je veux dire, tu n’as pas de devoirs suivis, réguliers, c’est toujours des échéances... » ; « j’aime bien m’organiser euh je dirais que c’est une forme de... d’auto prise en charge je dirais parce que parfois on aurait tendant à se laisser aller, à se lever à 10 heures du matin et puis on passe à côté de sa journée alors bon ça va pour la première année mais je considère que maintenant il faut quand même savoir se prendre en charge »).

« La planification de son temps de travail personnel est d’autant plus impérative que le volume de travail personnel est plus important. Elle aussi d’autant plus déterminante que la réussite scolaire repose davantage sur des travaux réalisés en dehors de tout encadrement direct et continu. Ne pas se fixer des étapes, ne pas marquer des temps pour prendre la mesure de la progression ou du retard, c’est prendre le risque de ne pas voir le temps passer et de n’avoir plus aucune prise sur lui »427. Or de ce point de vue, la licence de sociologie aussi bien que la troisième année de médecine accordent au temps de travail personnel, bien que sous des formes différentes, un rang de premier choix dans la conduite et le succès des apprentissages. D’un côté les étudiants médecins doivent organiser, tout au long de l’année et en sus de leur emploi du temps institutionnellement encadré, l’apprentissage de leurs cours et gérer le volume des choses à connaître. De l’autre, la formation des étudiants sociologues repose, en plus des cours, sur la fréquentation de textes scientifiques, d’études et d’auteurs, sur la réalisation à longue échéance d’enquêtes de terrain, de dossiers ou mémoires, de fiches, d’exposés...

Autant de points donc que les étudiants doivent gérer et organiser sur de plus ou moins longues périodes à partir de leurs propres moyens, l’utilisation d’un agenda (et dans une moindre mesure le calendrier, les listes et mots écrits) étant ainsi, en tant que dispositif pratique d’organisation et de répartition des activités dans le temps objectivé, l’un des moyens matériels de répondre à cette exigence428, c’est-à-dire de maîtriser le temps (« avant on a toujours le cahier de textes, le fameux cahier de textes mais les agendas de cette manière, ça fait depuis l’année dernière parce qu’avant je ne m’organisais... j’essayais de m’imposer un agenda parce que je savais qu’un jour ou l’autre on devait en avoir besoin de toute manière, mais ça allait vraiment comme sur des roulettes. Maintenant disons qu’on a plus de choses à apprendre en même temps (qu’au lycée), je me souviens moins des choses [...] et puis quand on rentre en seconde année, on a des TP obligatoires qui n’existent pas en première année, donc il vaut mieux les marquer parce que si on les loupe, si on loupe plus de deux vous n’êtes pas admis à passer les examens au moins de juin »).

Notes
427.

LAHIRE Bernard (avec la collaboration de MILLET Mathias et PARDELL Everest), Les Manières d’étudier, Paris, La Documentation française, Cahiers de l’O.V.E. (2), 1997, p.46.

428.

Plus généralement, on peut remarquer que les étudiants enquêtés font généralement de leur entrée dans l’enseignement supérieur le moment décisif qui conditionna le passage du cahier de textes à l’agenda. S’il en est ainsi, c’est à la fois parce qu’en passant du lycée en médecine ou en sociologie, les étudiants passent d’un système secondaire plutôt directif à un système supérieur relativement peu prescriptif mais aussi parce que le passage dans le supérieur correspond souvent à une nouvelle période dans le cycle de vie, celui du passage à la vie adulte durant lequel les étudiants peuvent sinon gagner en indépendance du moins en autonomie d’action, développer leurs propres activités, mener leurs affaires personnelles, avoir leurs propres obligations ou responsabilités à gouverner...

« Avant j’utilisais le classique cahier de textes [...] c’est parti du fait que de plus en plus j’avais des trucs à faire et que je n’arrivais jamais à m’en rappeler et donc je me suis dit il faut que tu t’achètes un agenda pour marquer des trucs de prévus deux mois plus tard (long terme) [...] à partir du moment où j’avais plus de responsabilités (sourire) ».