III.B. Les routines du travail intellectuel comme mode de régulation des activités d’apprentissage des étudiants médecins

Le constat selon lequel l’établissement de plans de travail systématiques différents de la simple notation des choses à faire, d’impératifs, de dates, d’échéances ou de l’organisation très ponctuelle de quelques séquences n’est pas une pratique qui, en cours d’année universitaire, c’est-à-dire en dehors des “temps forts” de la pratique, survient avec une plus grande fréquence du côté des étudiants médecins que du côté des étudiants sociologues ne nous conduit toutefois pas aux mêmes conclusions. Il en est ainsi dans la mesure même où, d’une filière à l’autre, le contexte du constat (les conditions de l’apprentissage et de la pratique intellectuelle) varie et que, à la différence des étudiants sociologues, les étudiants médecins peuvent appuyer l’organisation de leur pratique dans le temps sur un système de travail stable et “routinisé” qui, en tant que tel, rend les recours aux écritures de programmation moins indispensables à la conduite rationnelle des activités.

Ces étudiants et c’est entre autres ce qui les différencie des apprentis-sociologues travaillent de façon régulière et de manière organisée, tel qu’ils ont appris à le faire au fil de leur scolarité supérieure à partir des corpus qui leur sont dispensés. Travailler au tout dernier moment est ici chose impensable simplement parce que la densité et la diversité des contenus professés, et donc la charge de travail personnel, rendent cette expérience objectivement insoutenable et demandent un effort d’assimilation pour le moins progressif. Les cours sont ainsi repris, revus, travaillés chaque semaine voire chaque jour durant. Les épreuves de rapidité, techniques et codifiées, qui sanctionnent les connaissances et sous-tendent les apprentissages suscitent la réalisation d’un travail de préparation minutieux et ciblé, organisé et structuré, ne serait-ce que pour ne pas être pris de court le jour de l’examen, pour que les idées soient claires et immédiatement mobilisables en situation d’examination, les moins hésitantes possibles (« je veux que dans ma tête ça soit structuré »). L’ensemble de nos interlocuteurs convient ainsi de la nécessité de produire un travail régulier, organisé, ordonné, précis et méthodique (« on a besoin d'être très organisé »), et témoigne, au fil des entretiens, de la relative systématicité de leurs pratiques d’apprentissage...

‘« Ilfaut être très méthodique en médecine parce qu’on demande énormément de choses en peu de temps, donc il faut absolument que l'esprit soit organisé... clair, concis, et précis. Il faut être très très méthodique. On n’a généralement pas le temps de réfléchir donc il faut que ce soit su et que la réponse soit du tac au tac, autrement c'est pas la peine hein, on avait une feuille double à écrire en 10 minutes, pour dire donc il faut aller très vite, il faut aller très très vite. (En souriant) Lorsque j'ai passé le concours je sais que j'écrivais euh... en même temps que j'écrivais je relisais, pour ne pas oublier des mots, non mais c'est très stressant, c'est très stressant le concours. Avant, ffffff, je ne peux pas dire que je ne travaillais pas. Enfin, pour moi, je ne travaillais pas, c'est-à-dire que généralement quand j'avais des dissertes à rendre (en souriant) je m'y prenais deux jours à l'avance, je la recopiais dans le bus (mais pourquoi parce que vous n'étiez pas intéressée ou parce que vous aviez plus le choix de faire comme ça ?) Non, parce que ça m'intéressait moyennement donc en fait je les faisais toujours à la dernière minute... parce que je traînais (en souriant) je glandais (rires)... voilà c'était un peu pour ça. Mais en médecine ce n'est pas possible, on ne peut pas se permettre de travailler, vu le nombre de cours qu'il y a, la masse, on ne peut pas se permettre, surtout en première année, où on demande quand même un niveau élevé, on ne peut pas se permettre de travailler à la dernière minute, c'est impossible... Donc (en souriant) il faut vraiment être organisé, il faut vraiment partir à point c’est-à-dire partir tout de suite ! Correctement ! A ce moment là si on est bien parti... généralement il n’y a pas de problème mais il faut surtout pas prendre de retard (donc il faut être régulier ?) Voilà ! Très très régulier ! Toujours ! » {Étudiante, Père : Médecin généraliste, Mère : Sans profession}’

Reprendre (si possible) les cours séance après séance ; accomplir périodiquement des tours entre les différentes matières étudiées ; surligner pour mettre en exergue les lignes saillantes des cours retravaillés, pour diviser, pour structurer et multiplier les prises visuelles ; réécrire et recopier pour fixer les choses mentalement, dans la tête ; réciter sur papier libre pour parfaire le travail de remémoration et le contrôler ; s’exercer à partir des annales d’examens, etc., voilà qui constitue, rapidement rapportées, les modalités sinon quotidiennes du moins habituelles et régulières de la pratique intellectuelle de ces étudiants.

Extraits des notes ethnographiques

Une fois le cours pris en notes, cette étudiante s’astreint généralement à sa relecture et à son surlignage le plus rapidement possible, le soir même ou, au plus tard, dans la semaine. Elle souligne, relit et apprend en réécrivant : « Qu’est-ce que j’en fais le soir ? Si j’ai le courage je souligne, je relis, j’essaie d’apprendre ». « J’aime pas bien suivre un cours et ne pas le revoir sous les 48 heures ». Quand, pour une raison ou une autre, elle ne peut pas faire ce travail et prend donc du retard, elle y consacre ses week-ends ! Reprendre un cours rapidement est ainsi une façon de profiter de la fraîcheur de l’écoute qui en a été faite et d’ancrer les choses dans la mémoire. « J’essaie parce que autrement c’est pas la peine d’aller en cours. Alors c’est simple je vais en cours le lundi de 2 à 4, donc ce cours est revu soit le lundi, soit le mercredi parce qu’on n’a pas cours. Le mardi je vais à 3 heures de cours, là aussi j’essaie qu’ils soient revus mardi ou bien mercredi, ou jeudi [...] (évidence) autrement ça sert pas ». {Étudiante, Père : Professeur de biochimie en faculté de médecine, Mère : Sans profession}

Maintes fois répétés depuis qu’ils suivent des études de médecine, ces actes d’apprentissage que d’aucuns qualifient de « système de travail », clairement établi dans ses principes, ses étapes et ses objectifs, peuvent ainsi être effectués, dans les situations “ordinaires” ou quotidiennes de la pratique, sur le mode de la routine dont les tenants, les aboutissants et les procédés, stables, sont parfaitement connus et maîtrisés (« Au niveau du boulot euh comme j'ai (...) une espèce de logique qui se suit tout le temps euh c'est rare que je note quelque chose »). Il y a donc une régularité, une “routinisation” de la pratique dans le temps qui rend le recours aux écritures planificatrices moins indispensables. La maîtrise pratique se suffit ainsi à elle-même pour réguler l’organisation des apprentissages. Ces derniers qui, tout au long de l’année, se répètent tant dans leurs modalités que dans leurs principes font qu’il n’est nul besoin de prévoir par écrit le déjà connu. La notation peut alors servir à prévenir les éventuels imprévus et les impératifs inopinés qui, d’une certaine façon, viennent perturber les habitudes, le fonctionnement régulier de la pratique.

Extraits des notes ethnographiques

Les modalités selon lesquelles cette étudiante travaille les cours permettent de remarquer, comme cela apparaît d’ailleurs chez les autres étudiants en médecine, que le travail est fortement “routinisé”. Même si elle ne respecte pas toujours le système de travail adopté, celui-ci est clairement accompli selon des procédures régulières et fixes qui fonctionnent comme autant d’habitudes de travail modularisées. Elle s'efforce, tout d'abord, de donner une forme claire à ses cours en y multipliant les tirets et les repères, en y décomposant les différents énoncés, en s'efforçant de mettre en évidence le plan du cours et, si nécessaire, de construire son propre plan lorsque celui de l’enseignant n'est pas suffisamment détaillé, à son goût ou apparent. Les cours doivent nécessairement être ordonnés dans la mesure où elle ne peut les apprendre autrement. Elle y inscrit le plus grand nombre de tirets possible, multiplie les retours à la ligne pour discerner et démarquer, décompose les différentes idées d'un paragraphe, etc. « C'est plutôt un système de tirets parce que je sais que dans un paragraphe j'ai cinq idées à retenir, c'est important pour moi de savoir qu'il y en a cinq donc euh, si c'est pas clair je m'arrange pour que ce soit clair ». Ou encore : « J'essaie de prendre tout ce que je peux (...) en essayant d'ordonner le plus possible parce que moi si c'est le fouillis je n’arrive pas à apprendre donc ». C'est ainsi qu'elle préfère apprendre ses cours sur ses propres notes que sur les cours ronéotypés. Sur ses propres notes manuscrites, la disposition spatiale des énoncés est en quelque sorte personnalisée, familière, alors que la dactylographie présente une toute autre disposition des mots et des choses, plus resserrée et moins aérée... L'apprentissage des cours se fait selon des modalités systématiques. Elle surligne les cours de tout un tas de couleurs différentes. Surligner (et écrire) lui permet de se concentrer et de structurer. Elle commence par apprendre une première fois les différentes séances de cours le soir même où elles ont été dispensées, puis les travaille une fois encore avant d'entamer une nouvelle séance. Aussi les travaille-t-elle deux fois dans la semaine. Elle les revoie généralement une fois avant l'examen puis une nouvelle fois durant les révisions. Cette étudiante parle, à propos de sa propre pratique, de « système de travail ». {Étudiante, Père : Professeur de mathématiques et physique dans le secondaire, Mère : Directrice d’école maternelle}.

‘« Avec le système de la ronéo je les apprends dès que je la reçois... disons au début ça met longtemps à se mettre en route mais dès que je les ai je commence à travailler donc euh bon je vais faire plusieurs matières, et après, je vais reprendre telle matière, je vais me dire : “bon, aujourd'hui, je vais faire cette matière”, donc je révise tout, je réapprends la même chose, ou généralement... enfin, au début de l'année c'est pas évident de tout réapprendre, parce qu’on n'a pas beaucoup de cours donc j'apprends au fur et à mesure et puis quand j'arrive à avoir un bon paquet de cours bon ben à ce moment là euh je révise tout, donc j'apprends la ronéo ou j'apprends en premier après et je révise ou, généralement, je fais le contraire, je commence à tout réviser mon cours et une fois que j'ai tout révisé euh, j'apprends le dernier cours (donc vous faites ça au fur et à mesure ?) oui, et puis régulièrement, quand je commence à en avoir un petit paquet bon ben je commence à le reprendre. Après ça dépend des matières enfin ça dépend si c'est dur, mais souvent je fais des tours, disons que lundi on a notre ronéo, généralement j'essaie d'apprendre lundi mardi le cours » {Étudiante, Père : Plâtrier peintre, Mère : Employée dans une crèche}.’

Les logiques sociales et cognitives des enseignements et des savoirs médicaux prennent en réalité, outre les dispositions ascétiques dont font généralement preuve ces étudiants, une part conséquente dans cette “modularisation”434 des actes de l’apprentissage. Car ces derniers doivent à la fois acquérir un ensemble de données définies, un état ordonné et découpé du savoir, mais ils doivent aussi le faire à partir de contenus prémâchés, et en fonction d’objectifs on ne peut plus précis : « savoir par coeur » ce qu’il en est de tel ou tel mécanisme biologique, de tel ou tel traitement thérapeutique, de tel ou tel manifestations symptomatiques...

Le travail consistant pour l’essentiel en la mémorisation et la compréhension435 de contenus pré-établis, leurs méthodes de travail, déjà éprouvées et expérimentées en première puis en deuxième année, présentent de fortes récurrences dans les procédés qu’elles développent, et une grande homogénéité d’un étudiant à l’autre. Jour après jour, les situations d’apprentissage sont sensiblement les mêmes et emportent peu d’inconnus. Les cours concentrent toute la matière intellectuelle à s’approprier. Il s’agit toujours de les connaître le mieux possible, souvent par le détail.

“Savoir” ne signifie pas, en troisième année de médecine, revenir sur les fondements de la connaissance dispensée pour en discuter les appuis, pour mettre au jour ses éventuelles déficits d’intelligibilité, pour en confronter les points de vue divergents... « Si je consulte des bouquins, ça sera toujours avant les exames parce que le truc euh j'aurais voulu en... voulu savoir quelque chose, autrement on a tout dans nos cours, hein tu vois ce que je veux dire on a euh l'examen c'est un truc à valider et il est validé par ce qu’on t'a mis dans ton cours... ».

“Savoir”, c’est d’abord et peut-être avant tout, c’est-à-dire avant de pouvoir interpréter et diagnostiquer à partir de la connaissance médicale, d’en déchiffrer les différentes ramures et de la pratiquer, comprendre et connaître “par coeur”, de manière toute réitérative, les codes et les data les mieux établis : une loi physiologique ou chimique est une loi, un mécanisme biologique est un mécanisme, une désignation pharmacologique est une désignation... Dans ces conditions, les situations d’apprentissage sont plutôt stables, prévisibles même, une fois trouvé le moyen de les traiter et de les aborder. Les actes de la pratique sont ainsi relativement récurrents, répétitifs, et, par la force de l’habitude, “modularisés”. Jour après jour, certes avec quelques variations, les étudiants travaillent selon les mêmes principes et de la même façon pour revoir, réviser, mémoriser leurs cours, bref sur le même mode opératoire.

Modularisées entendons par là que les situations “ordinaires” de la pratique d’apprentissage n’impliquent pas (ou plus), en terme d’organisation et de rationalisation, une charge mentale telle qu’elles solliciteraient fortement l’attention des étudiants médecins les actes de la pratique intellectuelle peuvent être aisément maîtrisés en pratique, sans que le recours à des dispositifs d’objectivation graphique et de planification de l’action soient nécessaires (ou en tout cas dans une moindre mesure) à la bonne conduite des activités436 : « c’est resté du système de colles de première année »...

Le travail s’organise si l’on peut dire de lui-même, non seulement parce que les mêmes tâches sont à accomplir d’une fois sur l’autre selon des procédures relativement analogues, mais également parce que celui-ci est déjà, en quelque sorte, orchestré et architecturé de l’extérieur par la matière des cours sur laquelle il porte, les connaissances prémâchées, les contenus structurés, systématiquement découpés en une série de questions distinctes, dont l’organisation précise (le plan) peut fonctionner comme un véritable plan d’action et d’instruction437. Enfin, et c’est lié, parce que les étapes et les objectifs de l’apprentissage y sont clairement définis...

‘« On a toujours plus ou moins les mêmes plans de cours en médecine, c'est euh définitions euh anatomie pathologie, étiologie, fréquences cliniques euh examens para-cliniques, évolution euh pronostics et traitements, en gros c'est ça quoi. En pharmaco c'est euh substance euh pharmaco cinétique, pharmaco dynamie euh action euh mode d'action euh contre-indications, indications, accidents, c'est à peu près toujours la même chose même si le prof il ne l’a pas fait avec ce plan là vraiment euh, avec ce plan là on est sûr d'y arriver c'est des plans ouais c'est à peu près toujours pareil » {Étudiant, Père : Maître de conférence en anglais, Mère : Professeur d’anglais dans le secondaire}.
« Il y a beaucoup de matières qui ont le même plan quoi, quand on parle d'une maladie par exemple, on fait les signes fonctionnels, les signes cliniques, les signes généraux, et il y a beaucoup de choses qui se recoupent, maintenant j'essaie de plus l'apprendre par coeur et, et de le savoir enfin non, j'essaie de le savoir, c'est-à-dire que ce que je suis en train d'apprendre ben il faudra que je le sache toute ma vie ».
« (A propos des livres de médecine) en général si le plan est vraiment différent du plan qu'on a en cours, c’est-à-dire si euh la classification n'est plus la même et que euh... nous on a une certaine euh codification (dans le cours), et dans le bouquin et euh dans un chapitre il y a des trucs complètement différents de ce qu’on a l'habitude d'apprendre donc euh on sait que dans le chapitre euh sur les dix choses qui vont être écrites eh ben il y en a que deux qui nous intéressent et puis qu'il va falloir aller chercher sur le chapitre suivant, ça ou ça (Comment ça ?) Ben je ne sais pas par exemple tu classes des pathologies, tu peux classer des pathologies selon le euh selon la répartition qu'elles ont dans le monde par exemple, selon leur gravité, selon comment elles surviennent, bon ben euh si dans ton cours c'est classé selon euh selon le vecteur gravité, et que dans le bouquin que tu vas lire c'est classé selon la répartition mondiale, et que toi ce qui t'intéresse c'est un certain groupe de pathologies, il va falloir que tu ailles piocher un peu dans tous les trucs donc ça devient chiant, mais c'est juste la mise en page qui est différente, la classification si tu veux » {Étudiant, Père : Technicien photographe, Mère : Aide familiale}.
« Ce que j’essaie de faire c’est à chaque fois que je reprends un nouveau cours, de relire mes anciens cours... pour me les remémorer. Donc je relis un peu à chaque fois, ça me prend pas longtemps mais je relis un petit peu ce que je n’ai pas bien assimilé parce que il y a des cours que je maîtrise très bien, alors que d’autres je vais mettre beaucoup plus de temps parce que c’est un peu plus difficile donc à ce moment là je vais relire ».
« Je suis très organisée pour mon travail. (En souriant) Pourquoi je fais ça parce que en fait ça me rassure parce que je me dis que j'ai bien travaillé donc que normalement je devrais réussir mes examens. Je suis très organisée au niveau, (en souriant) ça peut paraître (en riant) paradoxal parce que je n'utilise pas d'agenda ni de calendrier, mais au niveau de mon travail, tous mes cours, à chaque euh... à chaque début de cours, il y a le plan que je sais généralement très bien donc en fonction de chaque partie je me retrouve dans mon cours, mes cours sont très très organisés, c'est très clair, très propre, parce que je ne supporte pas de travailler sur un cours qui est sale, mal écrit, incompréhensible » {Étudiante, Père : Directeur commercial, Mère : Sans profession}
« En général on fait un premier tour c'est-à-dire qu’on se fait deux lectures, on se récite quand c'est tout frais ça va et puis si on a le temps on se fait un deuxième tour une semaine plus tard... » ; « J'essaie quand-même de les lire, pas régulièrement mais de ne pas arriver le jour des révisions en disant bon ben par quoi je commence ? [...] J'essaie quand j'arrive au moment de Pâques de pas découvrir des cours et de les avoir quand-même vu au moins une ou deux fois » {Étudiante, Parents : Architectes}
« Je l’apprends tout de suite, il peut arriver que par exemple là tu ne serais pas venu, on a eu un TP d’hémobio bon, en fait, c’est un ED (enseignement dirigé), c’est comme un cours, j’aurais pris mon cours d’ED, j’aurais pris mon cours d’hémobio correspondant au cours qu’on a eu là et je serais aller le travailler. Donc là je l’aurais rangé que ce soir ou disons, ce soir, je l’aurais encore retravaillé ce soir je pense que ç’aurait pas suffit en trois heures ». {Étudiant, Père : Chirurgien, Mère : Sans profession, propriétaire immobilier}’

En d’autres termes, ces enquêtés font état, à propos de leurs activités scolaires personnelles, de tout un ensemble de tâches ou de situations “habituelles” et répétitives, d’une fois sur l’autre analogues et prévisibles. Sauf échéances ou événements particuliers susceptibles de perturber le fonctionnement quotidien de la pratique, l’exigence de planification et de rationalisation graphique, de mise à plat et de mise en ordre, est ainsi moins impérieuse que s’il s’agissait de faire face à des situations de travail plus instables et moins routinières, ou encore plus tendues comme celles qui précisément caractérisent les périodes de révisions, à la fois plus complexes dans leurs implications et plus lourdes du point de vue de la charge mentale engagée.

Extraits des notes ethnographiques

Cette étudiante se sert de son agenda pour toutes sortes d'activités. Elle note ses rendez-vous personnels et scolaires (les dates de partiels par exemple), ses sorties, les congés, les dates d'anniversaire en dehors des activités quotidiennes, ce sont les périodes et les dates liées au changement de rythme, les périodes clés de l'année, les dates rituelles de célébrations, bref les moments importants de la vie qui se trouvent consignés par écrit... Elle y note également les choses qu'elle doit faire (les coups de téléphone à passer...), les lectures dont on peut lui parler et qui l'intéressent, les films qu'elle va voir au cinéma. Dans ce dernier cas, il est intéressant de noter que l'agenda ne fait pas seulement office d'organisateur ou de planning. Il est également utilisé comme un carnet de souvenirs où sont consignés, par exemple, l'ensemble des films qu'elle a été voir, la critique journalistique appropriée et les photos correspondantes collées à même l’agenda. Cette étudiante peut aussi y noter quelques impressions....

A contrario, l'agenda ne lui sert guère pour planifier et organiser son travail. Il « n'est pas une base de travail parce que je sais ce que je dois faire... ». S’il en est ainsi, c’est-à-dire si elle n’élabore pas de planning durant l'année scolaire, c’est parce qu’elle continue des habitudes de travail prises en première année lorsqu'elle suivait les cours de préparation au concours. Elle opère des tours régulièrement, c'est-à-dire prend les matières une à une pour les revoir dans leur intégralité, souligne, discerne, découpe, recopie, récite par écrit, etc., même si son rythme n’est pas aussi soutenu qu’en première année. « C'est resté du système de colles de première année », me dit-elle. « Ce que j'essaie de faire c'est euh je me dis : “cette semaine, je vais faire telle matière en entier”. Mais ça en fait c'est resté du système des colles, enfin je sais pas si tu... des colles de première année. C'est vrai qu’on révisait une matière par semaine et on avait une colle à la à la fin de la semaine. Donc c'est vrai que dans un sens c'est bien... » {Étudiante, Père : Ingénieur, Mère : infirmière libérale}

Notes
434.

« La modularisation est, elle, la traduction théorique de ce mécanisme de structuration en retour. A mesure des exécutions successives, l’anticipation du résultat devient plus précise et plus précoce, l’effectuation de l’acte lui-même se calibre : son temps d’érection, sa vitesse d’exécution se réduisent et se stabilisent. L’acte demande ainsi une moins grande dépense d’énergie et surtout il libère l’attention auparavant mobilisée par l’exécution elle-même ». « (...) dès qu’il y a modularisation et réduction de l’attention requise par régularisation d’un acte, celui-ci peut alors s’intégrer à un acte de plus haut rang et appelant une séquence plus longue sans que l’attention requise soit telle qu’il y ait dé-régulation de l’acte de plus haut rang », BRUNER Jérôme S., Savoir-faire. Savoir dire. Le développement de l’enfant., Paris, PUF, 1983, p.19 et p.94.

435.

Même s’il faut remarquer que les étudiants ne sont pas rares qui affirment apprendre par coeur parfois sans comprendre...

436.

Cela d’autant plus que le travail personnel à réaliser n’est plus soumis, en cours de troisième année, à des impératifs qui impliqueraient, outre la production d’un effort régulier, que les activités scolaires personnelles soient rigoureusement agencées en fonction du respect d’un calendrier d’échéances précis.

437.

Les étudiants médecins raisonnent souvent leur travail personnel à partir des chapitres qui composent leurs différentes matières d’enseignement. C’est ainsi que l’apprentissage de la matière professée est généralement opéré, outre les notes de cours éventuellement revues à la fin de chaque séance, chapitre après chapitre, matière après matière, et quantifié à l’aune du nombre de chapitres à (re)voir par jour ou par semaine. C’est en ce sens que la découpe systématique et semble-t-il homogène, des cours en une série de chapitres aux contenus précis peut en elle-même servir de plan d’action aux activités d’apprentissage. Ces étudiants travaillant sur des contenus existants, déjà-là, finis, qui confèrent à l’activité d’apprentissage un début et une fin matériellement mesurables et circonscrits, ils peuvent appuyer une part de leurs efforts et de leur progression sur les multiples repères fournis par le plan et les traiter comme autant d’étapes ou de séquences d’apprentissage distinctes...