II. Des programmes de révisions en rupture avec l’urgence pratique de la situation

Les périodes de révisions correspondent en effet à des situations d’apprentissage bien spécifiques puisqu’elles constituent des phases d’accélération et d’amplification de l’activité, plus exigeantes en matière d’organisation, de maîtrise du temps de l’action, d’efforts à fournir pour gérer la masse des informations et les mémoriser dans les délais imposés du côté des étudiants médecins, pour organiser la révision des cours, des notes de lecture et parachever l’écriture d’un mémoire d’enquête du côté des étudiants sociologues. Les échéances se rapprochent. Le nombre de choses à penser, à organiser et à faire augmente (« souvent, il y a une telle masse qu’il faut s’organiser sinon on ne s’en sort pas »).

La pratique d’apprentissage est alors soumise à des impératifs temporels plus resserrés. Il s’agit de se mettre à jour dans les différentes matières d’enseignement, de reprendre toute la matière d’études dans des délais relativement courts, de s’entraîner et de s’exercer pour être prêt le jour J, de gérer en même temps les différents domaines de l’activité. Il convient d’équilibrer à peu près le temps passé sur chaque aspect de la pratique afin de ne pas risquer d’en négliger certains au profit d’autres (« c’est quand il y a beaucoup de choses et puis euh... pour être sûr que je serais dans les temps, que ne je passe pas trop de temps sur une matière alors que j’en ai encore 5 à voir ou des truc comme ça »). Et le nombre important de choses à faire et à penser en un temps limité crée une situation d’urgence relative dans laquelle l’action s’exerce sous pression.

La tension qui en résulte rend ainsi délicate, moins confortable et soutenable, une gestion purement pratique et mentale des activités et implique, pour s’en sortir, c’est-à-dire pour rompre avec l’urgence de l’action, pour ne pas prendre un retard insurmontable, pour adopter un tempo plus rapide, pour tenir le rythme, pour évaluer sa progression (« pour que je me rendre compte de mon retard », « pour me situer par rapport à ma progression ») ou même se rassurer sur le bon déroulement de son travail, d’optimiser, de calculer et de contrôler plus sévèrement l’usage que l’on fait de son temps (« actuellement je travaille mais disons que ce n’est pas un planning écrit, je vois à peu près, je me dis “tiens, je me donne une semaine pour faire ça”, bon et puis je peux prendre une semaine et deux jours, c’est pas strict, mais à partir des révisions, ouais, j’essaie d’être plus strict avec moi, et à ce moment là je l’écris »). Bref, en périodes de révisions tout particulièrement, les étudiants doivent s’occuper simultanément d’une multitude de choses, les organiser entre elles et par là même, portent généralement une plus grande attention à la gestion de leur temps et de leurs activités.

L’urgence, la tension et la charge mentale liée, entre autres, à une charge de travail plus importante, aux raccourcissements des délais générées par ce type de situations suscitent et encouragent donc les étudiants à user de façon plus systématique et intense qu’en d’autres périodes de la vie universitaire de dispositifs de programmation écrite, plannings écrits, listes de choses à faire, agendas, qui tout à la fois interviennent pour mettre à plat (par écrit) les différents états de la pratique à conduire, pour limiter les oublis et prévenir les éventuels moments de panique (« Même si un jour on a l’impression d’avoir rien fichu on n’a pas bien le moral ou je ne sais pas quoi, on a le papier pour nous dire bien si effectivement tu as quand même bossé, et puis tu as fait déjà ça, et il te reste ça à faire, c’est je sais pas je trouve que c’est un, ça pose des repère, ça pose des jalons qui sont assez importants dans ce genre de période où on est un peu tout fou quoi ») dans des circonstances telles que l’on ne sait parfois plus « où donner de la tête », pour réguler et prévoir le déroulement de la pratique et en limiter les imprévus, pour neutraliser les effets négatifs d’une action menée dans l’urgence...

L’élaboration de plannings ou de programmes écrits, et dans une moindre mesure l’utilisation de l’agenda ou la construction de listes de choses à faire, constituent ainsi ce “moyen” de rompre avec l’urgence pratique de la situation (« ça m’arrive, particulièrement en période de révisions, de travail, des trucs comme ça... disons que ça sert... c’est un support pour dire j’ai ça à faire, il me reste ça pour un petit peu mettre une limite et pour avoir des repères en fait mais c’est uniquement pour mon travail universitaire, intellectuel je dirais (sourire), mais uniquement pour les leçons, les trucs à apprendre »), et laissent transparaître des préoccupations d’organisation plus acérées, d’autocontrainte, de gestion, de calcul, de maximisation et d’optimisation par où la pratique est mise à distance, réfléchie dans ses étapes, ses moments, et son déroulement.

« Il faut être le plus efficace possible dans son boulot », « j’essaie de calculer un petit peu le temps qui me reste », « j’essaie d’équilibrer les choses », « j’essaie d’être plus strict avec moi », « je veux que dans ma tête ça soit structuré », « ça m’aide à classer un peu tout », « il faut être très méthodique », « il faut vraiment être organisé », « ça me permet une meilleure organisation dans mon travail », « faut s’organiser sinon on ne s’en sort pas », « il faut optimiser », « je me programme ma journée de travail », « je me fais un programme de ce que j’ai à faire », « je divise en nombre de cours », « je déduis un nombre d’heures à consacrer à chaque matière », « c’est pour bien tout gérer », « je découpe », « j’essaie d’être logique », sont ainsi les termes, les expressions, et les formulations rencontrés dans les entretiens des étudiants concernés par l’établissement de programmes de travail, qui clairement témoignent chez ces derniers et à l’occasion des “temps forts” de la pratique universitaire de la mise en oeuvre de dispositions comportementales plus gestionnaires et calculatrices.

A partir du moment où les étudiants ont affaire à des examens et non plus à un contrôle continu et régulier, la réalisation du travail personnel n’est plus soumise à un contrôle extérieur permanent et, en conséquence, doit être organisée et déterminée de manière plus autonome. A cet égard, le planning permet d’être plus efficace dans son travail, de déterminer des priorités, de définir des objectifs, de s’imposer une discipline, d’assurer un rythme...

‘« Il faut déterminer, il faut être le plus efficace possible dans son boulot, c'est-à-dire pas bosser une matière à faible coefficient plus qu’une matière à fort coefficient. Donc déjà il faut quand-même prévoir ça un peu oui puis quand tu as des examens qui sont étalés dans le temps (irrégularité versus contrôle continu), je pense aux précédents partiels [...] d'abord ça a commencé avec la l'anate-radio, une semaine, ensuite avec la parasito et l'autre semaine donc la bactério. Bon ben là il faut d'abord quand tu prépares ton emploi du temps admettons, moi je l'avais préparé trois semaines, non, deux semaines avant l'anate-radio, ben faut que tu te dises durant les deux premières semaines jusqu'à l'anate-radio ben faut que je case toutes mes heures d'anate-radio, puis ensuite faut que j'étale donc sur ce qui reste les heures de parasito et de bactério (les plannings est-ce que c'est quelque chose que tu faisais avant d'être en médecine ?) je l'ai fait pour le bac [premier grade universitaire] et puis après j'en n'ai pas refait non (et pourquoi la médecine plus que par exemple je sais pas prépa HEC ou math sup ?) parce que en fait en math sup on avait pas d'examen c'était un contrôle permanent donc et puis en fait on avait pas le temps de réviser tu avais un rythme de travail tel que le temps d'assimiler tes cours, il fallait gérer tout ton temps tu avais des colles donc en fait les colles c'était des révisions [...], c'est des révisions donc t'as pas non plus besoin de réviser en plus » {Étudiant en médecine, Père : Ingénieur conseil libéral, Mère : Médecin acupuncteur homéopathe libéral}’

Ces efforts scripturaux et graphiques pour « gérer », pour « systématiser », « organiser », « prévoir », « classer », « optimiser », « diviser », selon les propres termes de nos interviewés, sont autant de procédés qui participent d’une emprise et d’une maîtrise de soi. La planification écrite fonctionne alors tout à la fois comme une technique de l’autocontrainte et de l’autodiscipline par laquelle les étudiants trouvent le moyen de s’obliger à faire les choses, de définir leurs propres obligations, de déterminer des priorités, de discipliner les pratiques et de rationaliser leurs comportements. Ces pratiques scripturales et graphiques permettent ainsi de raisonner ce qui, d’ordinaire, relève de la simple habitude, et de brider les tendances spontanées à l’action (« En période de révisions, ce que j’essaie de faire c’est vraiment de me fixer des horaires précis, éviter je veux dire, je commence à travailler à 8 heures, je m’arrête à la limite vers 10 heures et demie, une petite pause, je mange à midi, je reprends à une heure et demie enfin tu vois d’être assez précise parce qu’après je sais qu’on dévie vite quoi »).