III.C.2. Des études conjuguées au présent

Les seconds, en revanche, ceux qui n’investissent pas leurs études d’un projet défini, constituent le gros des étudiants qui affirment ne jamais établir d’emploi du temps pour le travail personnel. D’un côté, on rencontre les étudiants sociologues, en position d’attente, pour qui la question du futur immédiat demeure informulable, indécise, incertaine. Ces derniers, outre le fait de ne pas avoir d’idée sur la voie professionnelle qu’ils pourraient ou voudraient suivre, n’envisagent pas non plus leur avenir en sociologie qui ne suscite guère leur enthousiasme. Et s’ils projettent toutefois de poursuivre en maîtrise, ce n’est souvent que faute de mieux, pour attendre d’éventuelles solutions ou pour ne pas précipiter leur entrée sur le marché du travail. Bref, dans ces conditions, ces étudiants éprouvent de réelles difficultés à mettre en perspective leurs propres pratiques d’études, à projeter le présent de leurs activités universitaire et à les investir d’enjeux mobilisateurs. Leur situation peut ainsi aider à comprendre, au moins pour une part, non seulement leurs difficultés à se mettre au travail, à se mobiliser, mais également leur tendance à fournir un travail au coup par coup, parfois de dernière minute, souvent sans conviction (sans envie), sans planification, qui ne parvient pas à trouver les perspectives nécessaires pour se discipliner, et la discipline minimale nécessaire pour être calculé et “pré-figuré”, y compris dans les temps forts de l’année universitaire.

Autre cas de figure, à certains égards encore plus tranché, les étudiants sociologues qui, d’une façon ou d’une autre, ont déjà un pied en dehors des études, lesquelles ne constituent pas ou plus un enjeu majeur pour eux. C’est le cas par exemple des étudiants qui, à côté d’une activité professionnelle stable (infirmière, enseignant), ont repris les études en sociologie, avant tout « pour le plaisir » d’étudier et sans enjeux de certification. Pour ces derniers, les études s’apparentent à un loisir studieux, vécu sur le mode de l’otium (de l’otium studiosum, de l’oisiveté ou de l’occupation studieuse) par définition incompatible avec la contrainte, le calcul, l’effort explicite, et tout ce qui, de près ou de loin, s’oppose au principe de plaisir. L’établissement de plan ou de plannings pour le travail serait ainsi la négation même de ce pour quoi ils reprennent les études, de la manière dont ils entendent vivre ces dernières (« il y a une planification mais euh qui est euh (...) qui fait... que je fais ouais... je repousse toujours en dernière minute de euh... c'est pas un travail régulier quoi ») qui, de surcroît, n’emportent d’autres enjeux que ceux qu’ils veulent bien y placer. Car en effet, qui dit programmes ou plannings écrits dit contraintes, disciplines et obligations. Qui dit obligations ou contraintes dit devoirs ou astreintes. Ces étudiants n’entendent pas se forcer ni s’obliger mais avant tout se faire plaisir. Si cela passe, tant mieux ! Sinon, tant pis !

C’est également le cas de ces étudiants (dont le pion est en quelque sorte la figure de proue) qui, dans une large mesure désengagés de leurs études, entretiennent un rapport déréalisé à leur avenir et investissent d’autres centres d’intérêt que les études proprement dites, exercent une activité salariée davantage pour répondre à des pulsions d’autonomie que pour de réels besoins matériels, sortent, multiplient les fêtes, les sociabilités amicales, entendent profiter des plaisirs de la vie, vivre au jour le jour, ne pas « se prendre la tête » avec les études, ne pas en faire plus que le minimum (« moi je n’en fais pas plus qu’il n’en faut »)... Ces étudiants se rendent à l’université de façon occasionnelle, travaillent à leurs moments perdus, sans s’inquiéter (« Je pense que l’an prochain je serai plus organisé pour ma seconde licence (rires) ») et improvisent de brèves révisions parfois limitées à la relecture d’un cours la veille d’un examen quand ils ne l’abordent pas, plus simplement encore, les “mains dans les poches”. Ces étudiants revendiquent ostensiblement par leurs propos, leurs attitudes, leurs réactions aux questions qui leur sont proposées en cours d’entretien, leur dilettantisme, voire même leur eudémonisme dans le cadre desquels ils dénigrent les contraintes ou le manque de spontanéité des pratiques scripturales de planification et d’organisation.L’absence de régularité et de règles dans le travail est ainsi fréquemment réclamée comme une condition fondamentale de celui-ci : « ce n’est pas réglé et à la fois disons que je le vis d’autant mieux que c’est pas réglé en fait ».