III.A. La lecture définie par la relation au livre

Autre décision interprétative ainsi fréquemment repérable dans nombre d’enquêtes, c’est ici la relation au livre qui constitue le point d’appui des analyses sur la lecture. De là, un double penchant. Celui, tout d’abord, consistant à réduire la lecture à ses formes et à ses représentations les plus légitimes, celles là mêmes qui se prêtent le mieux à la remémoration et à la déclaration. Les pratiques de la lecture étudiante sont ainsi jugées à l’aune de la lecture de livres. La lecture en ses formes moins traditionnelles, comme la lecture de notes de cours par exemple, n’y trouvent guère droit de cité. Que ceux qui ne lisent pas de livres sortent des statistiques sur la lecture ! Lire, c’est lire des livres.

Nombre des discours (parfois alarmistes) sur la baisse de la lecture étudiante trouvent précisément pour fondement l’oubli de la pluralité de ses formes ou, ce qui revient au même, ce subreptice glissement sémantique qui, du constat statistiquement établi de la baisse de la lecture de livres, conclut une baisse de la lecture en général. L’interprétation des constats empiriques ainsi mis au jour à partir de la mesure du livre prennent alors parfois le caractère d’une généralisation abusive. Par ce simple déplacement sémantique, c’est toute une conception implicite de la lecture qui se trouve engagée qui, reprenant à son compte les catégories de perception légitimes de ce que lire signifie, fait du livre, au détriment d’autres formes, la clef de voûte de l’activité de lecture.

Deuxième conséquence. Constitué en unité de mesure “commode”, le livre, en son apparente univocité sémantique et uniformité matérielle, est oublié dans la diversité de ses formes matérielles. De même que, pour certaines enquêtes, « tous les actes de lecture sont considérés comme équivalents », de même tous les livres sont pour elles « équivalents (quels que soient leur taille, leur prix, leurs caractéristiques matérielles, le chemin qu’ils ont fait pour arriver sous les yeux du lecteur) »467. Le livre est traité comme s’il s’agissait d’un invariant. Or lit-on un ouvrage de science fiction comme on lit un livre de mathématiques, un roman comme un livre de recettes de cuisines, un manuel comme une encyclopédie, un manuel de médecine comme un livre de sociologie ?

Notes
467.

FABIANI Jean-Louis, « Lire en prison... Opus-cité, p.200.