Malgré le constat effectué par certaines études selon lequel les étudiants médecins lisent davantage de revues scientifiques que de livres, c’est le constat inverse qui caractérise les recours aux imprimés de notre population471. Nos interlocuteurs consomment davantage de livres médicaux qu’ils ne font usage de revues médicales et scientifiques (« (rires) je lis plus souvent des livres »). A cela, plusieurs raisons, essentiellement liées à l’état du marché éditorial de la discipline, au niveau d’études des enquêtés et aux logiques de connaissance qui prévalent en troisième année. Les différents types d’imprimés dans le champ médical ne ciblent pas les mêmes publics ni ne recouvrent les mêmes fonctions.
D’un côté, on trouve en effet des publications directement liées à l’activité intellectuelle et scientifique en train de se faire dont les préoccupations ne sont pas à proprement parler didactiques. Il s’agit d’imprimés qui, faisant état de recherches, d’études, de débats, etc., internes à la communauté médicale et scientifique, sont édités par des spécialistes à l’adresse d’autres spécialistes du savoir, qu’il s’agisse de praticiens ou de chercheurs. Pour l’essentiel, ce sont les revues scientifiques et médicales qui remplissent ce rôle. Leur fréquentation exige à la fois un fort niveau de compétence et un ensemble de préoccupations intellectuelles déjà acérées. La complexité même des textes, des débats et des questionnements qu’ils offrent à la lecture découragent et limitent dans une large mesure les recours des étudiants de DCEM1 à ce type d’imprimés (« ce n’est pas pour nous »).
Parmi les revues scientifiques et médicales, on trouve également des publications qui aident les étudiants à la préparation de l’internat en proposant régulièrement à leur attention un ensemble de dossiers scientifiques et médicaux complets sur une question donnée. La revue Impact Internat en est la figure de proue. Plus que des revues scientifiques stricto sensu où se nouerait le débat savant, ces imprimés récapitulent, par le détail, l’ensemble du programme de l’internat et dispensent la matière théorique nécessaire au concours et à sa préparation. Les étudiants préparant l’internat peuvent ainsi utiliser ces cahiers comme de véritables supports de cours qui viennent compléter et agrémenter ceux déjà accumulés durant les six premières années d’études. Ces publications remplissent donc des fonctions très précises à l’adresse d’étudiants déjà avancés dans le cursus d’études. Si certains de nos interlocuteurs envisagent de s’abonner prochainement à ce type de revues afin de disposer, le moment venu, de l’ensemble des “dossiers” nécessaires pour passer l’internat, aucun ne voit l’intérêt de s’y plonger dès à présent.
Enfin, on trouve un ensemble de publications dont l’objet est explicitement didactique, comme ces livres, fort nombreux, écrits par des enseignants à l’attention des étudiants. Ces dernières mettent à leur disposition un ensemble de contenus prémâchés, manuels, abrégés, précis, atlas, ABC, ouvrages de cours, aide-mémoire, dictionnaires, lexiques, vade-mecum, annales en tout genre, etc., qui, recoupant la matière des cours, traitent des différents thèmes et questions, définis avec le plus grand soin pour chaque année d’études, au programme de la formation. C’est à cette dernière catégorie d’imprimés que les étudiants médecins de DCEM1 se réfèrent régulièrement. A l’inverse des revues scientifiques et médicales qui livrent dans toute sa complexité le fruit d’un travail de recherche et d’enquête clinique et/ou fondamentale tel que le pratiquent et le communiquent des équipes de chercheurs, celui d’un savoir en construction, de connaissances en mouvement, d’interrogations naissantes, de débats en cours, ces ouvrages, pratiqués par les étudiants de DCEM1, proposent à l’étude le savoir médical sous ses formes les plus établies.
Les dictionnaires médicaux dont ils possèdent généralement un exemplaire sont régulièrement consultés tant la langue médicale les confronte à des termes hyper-spécialisés (« je consulte régulièrement (un dictionnaire médical) parce qu’il y a des termes que je ne comprends pas encore... » ; « Je l’utilise beaucoup parce qu’en fait c’est indispensable, il y a plein de mots où tu es obligé d’ouvrir le dictionnaire, au fur et à mesure de regarder les mots dans le dico, t’arrives à les retenir souvent à force ».). Les annales pour évaluer le travail effectué et s’entraîner aux exercices d’examen (« Je refais les annales surtout pour les QCM des choses comme ça »). Les atlas pour visualiser, par exemple, un schéma d’anatomie. Les abrégés et manuels encore pour rechercher une information, un complément, etc. (« Les manuels médicaux, quand il y a un point que je ne comprends pas (...) surtout des livres d’anatomie »). Avant même d’accéder à cette partie de la médecine en train de se faire, c’est-à-dire à cet ensemble non encore stabilisé de la connaissance (ou en voie de l’être), les apprentis-médecins de troisième année ont affaire au savoir médical en sa partie la plus codifiée et en l’état irréfragable. Aussi est-ce par le détour d’un ensemble enchevêtré de contenus déjà structurés et intégrés que ces étudiants accèdent aux ressources bibliographiques de leur discipline d’études et s’initient à la connaissance médicale...
C’est ainsi, par exemple, que l’on trouve jusque dans les librairies des Livrets de l’étudiant en médecine qui présentent, année après année, cycle après cycle, des catalogues fournis des abrégés de médecine disponibles, pour certains accompagnés d’exercices corrigés et de tests : Introduction à l’étude de l’anatomie, à la neurologie, Précis d’anatomie et de dissection, Atlas aide-mémoire d’anatomie, Atlas d’histologie générale, de cytologie, de biologie cellulaire, Abrégés de biochimie génétique, de biochimie médicale, de biologie moléculaire, de chimie générale, de chimie organique, de bactériologie, de virologie humaine, de physique nucléaire, de biophysique, de physique, d’histoire de la médecine, d’embryologie médicale ou clinique, d’anatomie pathologique générale, Manuels de physiologie médicale, de physiologie clinique, de séméiologie médicale, de séméiologie chirurgicale, Manuels de travaux pratiques, ABC d’endocrinologie, de chimiothérapie anti-cancéreuse, de gynécologie-obstétrique472...
On comprend, dans ces conditions, que les apprentis-médecins de troisième année n’aient guère recours, sauf exception on le verra, aux revues scientifiques. Tout d’abord parce que la consultation de revues scientifiques, et donc de travaux de pointe, ne comptent pas au nombre des impératifs de la formation, à ce niveau d’études tout au moins. Comme l’exprime l’une de nos interlocutrices, « on ne nous oblige pas d’aller voir dans des revues médicales ». Cette pratique n’est pour l’instant pas indispensable. Elle le deviendra par la suite à mesure que la progression de ces étudiants dans le cursus d’études rendra nécessaire la fréquentation des dernières avancées du savoir médical et scientifique. Mais l’immédiat de la formation, qui initie les étudiants aux multiples énoncés de base et aux différents paramètres constitués, intégrés et cumulés, dans les nombreux domaines de connaissance du savoir médical, ne la présuppose pas. Aussi, pour ces étudiants, vaut-il mieux ne pas mettre “la charrue avant les boeufs” en cherchant, par exemple, à « précipiter les choses ». « De toute façon on aura le temps d’apprendre, on a largement le temps d’apprendre ». « Il y a suffisamment d’années d’études pour engranger des trucs ».
Ensuite, et c’est lié, parce que s’agissant d’étudiants qui, en raison de la densité de la matière professée et des formes techniques de la sanction institutionnelle, entretiennent dans une large mesure un rapport utilitaire à la connaissance, lire des revues reviendrait à consacrer de son temps à une pratique dont les fruits intellectuels ne serait à l’étude ni directement utile, ni immédiatement transposable. Enfin, parce qu’outre le fait déjà mentionné que la fréquentation de ce type d’imprimés impliquerait, pour ces étudiants, de prolonger l’étude de la médecine en dehors et au-delà du temps de l’étude stricto sensu, c’est la complexité même des textes, des débats et des préoccupations offerts à la lecture qui découragent et limitent pour une part les recours que les étudiants de DCEM 1 pourraient en faire.
‘« Je n’ai pas le niveau, disons, faut le dire carrément. Je pense que je pourrais comprendre, mais ça demande un effort supplémentaire et ffff je n’ai pas envie de précipiter les choses. Tu vois, je ne suis pas du genre à avoir envie de précipiter les choses. C’est surtout ça. En troisième année on est encore un peu... on n’est pas dans les révisions d’internat ». Ce sont des revues qui sont « pour un niveau quand même supérieur, c’est quand même des revues qui sont destinées à l’origine à des médecins, donc ce n’est pas pour nous, même si on est autorisé à les lire et qu’elles peuvent être enrichissantes, mais... (ça n’a pas un effet immédiat dans ton travail ?) ouais, ça n’a pas un effet immédiat » {Étudiant, Père : Maître de conférence en anglais, Mère : Professeur d’anglais dans le secondaire}.« Les étudiants et le livre universitaire : besoins, pratiques et opinions », Résultats quantitatifs de l’étude MRT/MP Conseil/Fluo sur les librairies Campus, Cahiers de l'économie du livre, mars 1992, n°7, pp.62-65.
Livret de l’étudiant en médecine, 1994-1995, Paris, Éd. Masson, 51 pages.