VIII. Du livre aux marges du cours

Enfin, contrairement à la sociologie où les notes de lecture, nous le verrons, sont indispensables à l’activité intellectuelle, elles occupent une place tout à fait annexe dans la formation de l’étudiant de DCEM1. Aucun de nos interviewés n’élabore de fiche de lecture à partir de livres ou d’articles. L’objectif de la lecture, à ce stade des études, ne réside pas dans une approche herméneutique ou exégétique des textes qui donnerait lieu à d’abondantes prises de notes. Il ne s’agit pas non plus de conserver une trace objectivée des développements d’un ouvrage en particulier ou, par la prise de notes, de se constituer un capital d’érudition. Il s’agit au contraire d’extraire des ouvrages les indications complémentaires recherchées (« ce sont des abréviations que je rajoute pour comprendre ou que ce soit plus clair. C’est quelque chose en plus, pour moi, pour essayer de comprendre mon cours. Mais que ça soit de tel auteur, j’en n’ai rien à faire (sourire). C’est l’information qui m’intéresse »). L’usage du livre est subordonné au cours, et, bien loin d’être indispensable, ce n’est que par défaut qu’il se fraye un chemin dans les apprentissages.

Les notes de lecture correspondent, dans ce contexte, à celles d’une pratique typiquement documentaire dont émergent un ensemble d’apostilles adjointes aux notes de cours. Les cours présentent parfois des difficultés. Des choses y sont mal notées, absconses ou simplement incomplètes. Dans ces cas de figure, le recours aux livres est au mieux accompagné de brèves prises de notes. Les étudiants relèvent une définition, une explication, une correction, etc., en seulement quelques mots ou quelques phrases (« un point particulier, un point précis que je n’avais pas bien compris dans le cours, je marque ça au dos de ma feuille, au dos sur mon cours »). Le plus souvent, on se contente de lire, éventuellement de noter la référence d’un ouvrage pour s’y reporter ultérieurement. Ou alors on recopie purement et simplement le passage sur le cours concerné par la lecture documentaire. Le résumé, plutôt rare, intervient lorsque le passage en question est de trop longue taille. Sont alors généralement notées les idées principales et volontairement omis les développements.

‘« Quand c'est des bouquins que j'utilise vraiment très souvent, je note les références des pages qui sont utiles, sur une feuille sur mon cours », « J’apprends directement sur le livre », « J'ai tout le temps un crayon à la main parce que j'ai tout le temps besoin de noter des trucs. Alors soit, si le bouquin est à moi je euh... je vais rajouter sur le bouquin des trucs que j'ai dans un cours à côté [...] si c'est un bouquin que j'ai pris dans une bibliothèque, je vais faire le contraire c'est-à-dire je vais noter sur mon cours des trucs que j’ai lus dans le bouquin, je vais noter les références de bouquins, les pages. Si le bouquin est à moi, c’est le bouquin que je gribouille » {Étudiante, Père : Soudeur, Mère : Assistante maternelle}.
« Si c’est un bouquin emprunté, j’ai une feuille de papier à côté donc je note la référence que c’est et je ne note pas le paragraphe mais les idées, etc., et puis si c’est mon bouquin... et que je veux refaire mon cours, à ce moment là donc je souligne au stabilo le passage qui m’intéresse sur mon bouquin (et vous recopiez directement sur votre cours ou c’est après ?) Généralement c’est en même temps, c’est-à-dire que j’ai mon cours, j’ai mon bouquin, si ça se rapporte à telle ou telle idée, donc je fais une flèche, et une fois que je vais reprendre mon cours, je vais intégrer l’article. Je souligne ce qui m’intéresse et après une fois que j’ai lu et que j’ai surligné, au moment où je refais mon cours... euh il va arriver un moment où je vais arriver à la partie qui m’intéresse et que le bouquin traite, donc à ce moment là je prends les données que j’intègre ». « Comment je l’intègre, en fait je résume ou je recopie pas intégralement mais je recopie l’idée parce que je la trouve très intéressante » {Étudiante, Père : Directeur d’une FNAC, Mère : Directrice d’école maternelle}.
« C’est pour le travail [...] c’est pour écrire les mots clés, les choses comme ça [...] là par exemple, j’ai annoté le bouquin... (comme un cours) j’ai souligné, j’ai colorié parce que c’était mon bouquin [...] tout dépend aussi des bouquins, ça étant donné que je le considérais comme un cours, [...] je faisais comme pour un cours normal, comme sur des polycopiés. Par exemple un bouquin d’anatomie, j’aurais plutôt colorié pour différencier les muscles des nerfs, des choses comme ça, ça me permet de relire plus vite, puis peut être de comprendre plus vite. Le fait de les lire une première fois, puis une deuxième fois et puis de rajouter des choses, si on relit une troisième fois... le fait qu’il y ait le mot qui fait la liaison avec autre chose, on l’a disponible, ça nous permet peut être d’aller encore plus vite dans la compréhension ». « Des fois, je note sur les cours, mais je regroupe de toute façon parce que je pense qu’il vaut mieux avoir un seul matériel de travail que trois, qu’ensuite on va devoir travailler peut être en même temps plus tard », « je préfère ajouter aux cours pour essayer de concentrer un peu les choses plutôt que d’avoir des choses un peu disparates » {Étudiante, Père : retraité, ex-receveur des PTT, Mère : Agent de bureau}.
« J’ai mon cours à côté, je lis... je sais ce que je n’ai pas compris, et soit entre les lignes je complète ce qui manque, ou ce qui est faux, voilà, je ne fais que ça [...] mais je rajoute à l’endroit sur mon cours carrément » ; « je recopie ce qui est écrit parce que souvent c’est très bien expliqué, je ne vais pas m’emmerder l’esprit à aller chercher des trucs compliqués pour plus rien y comprendre après. Ça explique d’une manière simple, concrète, précise, je reprends pareil » {Étudiant, Père : Chef d’équipe, Mère : Employée de bureau}.’

Dans tous les cas, la notation n’est pas une notation qui défriche un texte encore noué. Tout comme la lecture, l’effort d’écriture porte sur des secteurs particuliers du texte et se fait volontiers “montage”. Il s’agit d’associer des connaissances entre elles, de les regrouper pour les compléter ou les mettre en perspective en sorte que, le moment des révisions venu, l’on ait sous la main l’ensemble des informations nécessaires (« le nombre de données que j’ai, il faut que je les regroupe. Donc si j’ai un cours déjà qui traite de cette partie je vais le mettre dans ce cours là, ajouter les choses sur le cours même, au même endroit, pour ne pas éparpiller »).

Copier sur les cours permet d’assembler et de croiser des informations qui proviennent de sources différentes, de les réunir en un même support. Le travail de révision, qui suppose un suivi intensif et une forme d’optimisation de l’effort à produire, s’accommode mal, en effet, d’un accès aux informations en ordre dispersé. Ce travail de centralisation permet ainsi de coordonner les connaissances et procure, sans nul doute, le moment des révisions venu, un indéniable confort psychologique : ne pas être obligé de rechercher une information alors qu’on est en train d’apprendre.

‘« Quand j’ai un livre, c’est rare que je prenne une feuille blanche et puis que je fasse un résumé des trucs intéressants, parce que je ne veux pas étaler toutes les... le nombre de données que j’ai, il faut que je les regroupe. Donc si j’ai un cours déjà qui traite de cette partie je vais le mettre dans ce cours là, ajouter les choses sur le cours même, au même endroit pour ne pas éparpiller ».
« Moi je préfère ajouter sur le cours pour essayer de concentrer un peu les choses plutôt que d’avoir des choses un peu disparates [...] je pense qu’il vaut mieux avoir un seul matériel de travail que trois, qu’ensuite on va devoir travailler peut être en même temps plus tard ».
« Mes notes je les mets dans mes cours, en tête de chapitre qui correspond, le cours que j’ai eu à la fac, je le mets en début [...] ce qui est en rapport avec le cours va avec la pochette du cours ». « J’écris sur une feuille qui me permet d’accéder disons... à ce chapitre beaucoup plus rapidement, j’aurais pas besoin comme ça de retourner dans le bouquin et là, sur ma feuille, je vais voir tout de suite, parce que je le réécris moi-même, donc ça me reviendra beaucoup plus vite » ; « ça me permet d’aller plus vite au moment des révisions ».’

Les prises de notes lors de la consultation d’un ouvrage de médecine ne sont pas rares. Mais encore faut-il dire qu’elles sont extrêmement brèves et concises. Il s’agit de noter un complément ou un éclaircissement qui n’outrepasse généralement pas les quelques lignes ajoutées sur la feuille de cours. L’objectif est toujours de passer le moins de temps possible sur un livre et de ne s’en servir que lorsque la nécessité s’en fait ressentir. Les références du livre (auteur, titre, édition, année...) ne sont relevées que dans l’éventualité d’un retour ultérieur sur l’ouvrage, soit pour relire un passage avant les révisions, soit pour se dispenser de prendre des notes sur le moment. Les références relevées à partir du livre se limitent principalement au thème traité, éventuellement la page. Il n’est pas d’étudiants médecins qui se préoccupent de l’auteur de l’ouvrage. Ce qui compte, c’est avant tout le thème de l’information retenue. Ces notes de lecture sont soit relues avec le cours, soit ignorées purement et simplement dans la mesure où la notation (ou la lecture seule) suffit à la compréhension et à la mémorisation.

‘« Ce sont des abréviations que je rajoute pour comprendre ou pour que ce soit plus clair ou je ne sais pas, c’est quelque chose en plus, pour moi, pour essayer de comprendre mon cours, mais que ça soit de tel auteur, j’en ai rien à faire (sourire), c’est l’information qui m’intéresse » {Étudiante, Père : Ouvrier plâtrier-peintre, Mère : Employée de crèche}.
« Je note surtout pas les définitions (sourire) ce n’est pas ce qu’il y a d’important les définitions, la compréhension oui mais la définition on s’en fout (rires), il faut la comprendre, le but ce n’est pas de la ressortir c’est de la comprendre » ; « je trouve quand même les cours sont très bien fait mais c’est vrai que on a parfois besoin d’un complément mais je n’écris pas souvent, en général je ne l’écris pas, je le lis, c’est vraiment un complément » {Étudiante, Père : Ouvrier garnisseur, Mère : au foyer}.
« Je peux prendre carrément tout un chapitre, faire un résumé... disons apprendre le chapitre sur le bouquin et puis après je vois mon cours, ça m’est arrivé, parce que c’est un bouquin clair, mon bouquin de séméio par exemple. Je regarde parfois, il m’arrive de regarder dans le bouquin de séméio avant de regarder mon cours parce que je sais que cette partie du cours est bien rédigée dans le bouquin et là je fais un plan, je mets les idées principales. Alors c’est structuré disons. Je fais vraiment une feuille que je vais garder et que je vais mettre avec mon cours ou je le fais comme ça (c’est-à-dire sans garder de trace), j’écris comme ça pour le retenir un peu, pour apprendre une première fois sur le bouquin, mais disons apprendre, le lire de façon approfondie, de bien le lire, de le retenir un minimum » {Étudiant, Père : Chirurgien gynécologue, Mère : sans emploi, propriétaire immobilier}.’