I. Le contexte des études médicales en D.C.E.M.1.

I.A. Synthétiser et mettre en fiche les notes de cours : réduction, structuration et visualisation

Face à la densité des cours qui leur sont dispensés, une première relecture qui synthétise et résume, trie les contenus, pointe les choses essentielles et cherche à mettre en forme, s’avère nécessaire pour préparer le travail d’assimilation qui devra être effectué ultérieurement. Cette pratique, selon les étudiants, peut prendre deux modalités similaires mais distinctes. La première consiste à reprendre les notes de cours sur leurs supports originels en faisant un abondant usage d’une palette de couleurs fluorescentes dont chaque nuance est affectée à une fonction précise : le bleu, par exemple, distinguera les grands titres du cours, le vert les sous-titres, le rouge les points centraux, le jaune les noms de maladies, etc. Bien qu’effectuée à partir du support originel, cette pratique est parente de la synthèse. Car, en discernant l’essentiel du secondaire, elle autorise les relectures rapides et l’économie des détails. La seconde consiste à effectuer les mêmes opérations mais, cette fois-ci, sur des fiches indépendantes à partir desquelles le cours sera appris (sélection et recopiage des passages importants, mise en valeur, mise en page et en texte des énoncés du cours).

Outre le fait que synthétiser est une façon de commencer à travailler et assimiler ses notes, une manière de préparer le moment où il faudra apprendre “par coeur” de façon plus systématique car à mesure que l’on reprend ses notes, on repère les points du cours qui font problème et qui, éventuellement, devront être revus : « quand je fais un résumé, c’est le moment où je comprends, c’est le moment où j’organise bien les choses dans ma tête, où j’élimine tous les doutes » —, une manière également de se constituer une sorte de “mémo” synoptique ou de plan détaillé par l’intermédiaire duquel le cours devient rapidement mobilisable en ses questions stratégiques (« pour tout voir d'un seul coup d'oeil et quand je connais bien la feuille, je sais exactement où il faut que je regarde » ; « c’est des abréviations en plus c’est écrit plus petit en général, je concentre sur une seule feuille plusieurs feuilles (...) j’enlève tout ce qui est inutile »), c’est la recherche d’une structure textuelle et visuelle minutieuse qui est visée ici et sans laquelle nos interlocuteurs ne sauraient apprendre et assimiler d’aussi vastes corpus (« pour moi faut que ça soit structuré quand même un cours sinon je ne peux pas l'apprendre » ; « moi faut qu'y ait des couleurs sinon je peux pas apprendre » ; « c'est plutôt des systèmes de tirets parce que si je sais que dans un paragraphe j'ai cinq idées à retenir, c'est important pour moi de savoir qu'il y en a cinq donc, si ce n’est pas clair je m'arrange pour que ce soit clair »).

C’est ainsi qu’ils découpent et multiplient les paragraphes, les tirets et les titres, les couleurs qui soulignent ou surlignent les intitulés, les noms de maladies, les définitions, pour clarifier, « réorganiser », « essayer de structurer », pour que les choses « sautent aux yeux tout de suite », « d'un seul coup d'oeil », pour hiérarchiser, recouper, expliciter. Tous évoquent leur mémoire visuelle qui, pour être opérante, doit s’appuyer sur la multiplication des repères, des contrastes, des décrochages, qui sont autant de “prises” visuelles. Il est essentiel de voir les choses pour les retenir.

L’organisation textuelle et la mise en texte, en même temps qu’elles offrent au regard des ruptures, des discontinuités, des repères significatifs qui mettent en forme les énoncés, sont des pratiques discursives qui explicitent des enchaînements, des liens et des recoupements (« j'aime bien qu'il y ait des tirets, que les idées soient claires » ; « quand dans les ronéos, il y a tout un paragraphe sans un tiret là je ne supporte pas parce que ça n’est pas clair, (...) parce que moi je ne 'peux pas apprendre là dessus »). De ce point de vue, il est significatif que certains de nos interviewés parlent de l’organisation des idées sur un support écrit comme étant une mise au clair des idées « dans la tête » (« pour que ce soit clair dans ma tête » ; « quand je fais un résumé [...] c’est le moment où j’organise bien les choses dans ma tête »). « Voir clair, c'est avoir les idées claires » pourrions-nous résumer.

‘« Je souligne, j'ai des feutres ou des fluos [...] si c'est vraiment important je vais mettre des choses à côté, je ne sais pas des points d'exclamation, un gros triangle, ça c'est pour moi, c'est pour dire “bon, faut faire attention”, ou alors, généralement c'est avec des feutres, et si c'est vraiment important, si je sens que c'est un truc important bon là je vais mettre des mots au stabilo pour vraiment que ça me pique l'esprit ! Par exemple les têtes de chapitres je vais les souligner en vert, après les premièrement ça sera en bleu ou en jaune (et pourquoi différentes couleurs ?) pour me repérer parce que j'ai toujours souligné en vert les grands premièrement, donc après je sais c'est toujours pareil, c'est un peu de mémoire en fait je ne sais pas, donc je le fais comme ça... bon ce qui est vraiment important c'est en rouge ou au stabilo ça dépend de ce que j'ai sous la main mais, c'est vraiment, ça ressort » {Étudiante, Père : Ouvrier plâtrier-peintre, Mère : Employée dans une crèche}
« Une ronéo c’est tout en noir, donc j’essaie, les grands chapitres, je les mets, j’encadre mon grand thème et puis grand 1, je le mets en rouge, après en vert, puis après en noir, ce qui est important je le mets en jaune, encore plus important en orange, puis quand c’est vraiment fondamental, c’est en rouge, au fluo, je l’organise comme ça [...] chaque couleur a une signification (et pourquoi est-ce que vous faites comme ça ?) parce qu’il y a des choses qui sont tellement fondamentales... qui doivent être connues par coeur, des données qui doivent être connues par coeur, et qu’on se souvient plus parce qu’il y a longtemps qu’on ne les a pas vues. Quand vous relisez votre ronéo, ou même pour réviser rapidement les choses importantes, c’est telle couleur donc tac tac tac tac tac, c’est plus simple » {Étudiant, Père : Analyste programmeur, Mère : Sans emploi}.
« Tu vas sûrement me poser la question comment j'apprends mes cours. En fait je souligne les mots principaux, les mots clés, et les phrases principales, pas pendant le cours, chez moi donc au calme, donc les phrases principales et les phrases clés et j'essaie de hiérarchiser un petit peu tout ça en soulignant c'est-à-dire je souligne en violet ce qui est vraiment très important, puis en vert ce qui l'est un peu moins ».
« La majeure partie de mon boulot c'est sur la ronéo c'est sur des feuilles polycopiées, donc quand c'est des cours importants comme la séméiologie ben je résume, donc je fais des résumés qui me serviront plus tard, quand c'est des cours qui sont pas importants par exemple l'anatomie pathologique, ça je souligne sur la ronéo même ».’

Pour cet étudiant qui pratique également la synthèse, le résumé a plusieurs objectifs et fonctions :

  1. il s’agit de réduire le volume du cours dans la mesure où il lui semble impossible de tout apprendre parfaitement, de se centrer de sélectionner les choses essentielles. Il faut donc pouvoir garder les choses centrales, les incompressibles sans faire état de tous les détails e n: « Pendant les révisions, j'essaie de résumer au maximum systématiquement tous mes cours, mais en fait, en général, on est pris par le temps et c'est pas possible pour tous les cours. Donc je résume ceux qui sont plus facilement résumables, puis ceux dont je pense que les résumés me serviront à long terme [...] parce que c'est impossible de tout retenir déjà, puis de tout apprendre ».
  2. A cet égard, cet étudiant réalise des sortes de résumés de résumés, c’est-à-dire qu’à l’intérieur même de sa synthèse du cours il distingue encore les points centraux, en majuscules, des points annexes, en minuscules ; il s’agit de visualiser les choses rapidement, de les structurer pour les rendre facilement accessibles à la vue et immédiatement repérables : « L'essence même du (rires) cours j'essaie de me l'écrire en majuscules, tandis que le reste est en minuscule, tu vois, je vais me souligner ce qui est vraiment très important comme ça, ça me permet, en un clin d'oeil de voir un petit peu quels sont les repères clés [...] tu vois je me mets en majuscules ce qui est le plus important et je le souligne aussi en violet » ;
  3. il s’agit également de constituer un support plus aisément et rapidement consultable que les notes de cours manuscrites ou ronéotypées, facile à manier (pour les lire dans le bus par exemple), qui permettent les relectures fréquentes et ciblées, de standardiser le format sur lequel on apprend : « J'essaie aussi de le faire rentrer (le cours) dans un format standard c'est-à-dire la feuille. Là par exemple tu as un cours sur la grossesse extra-utérine ça c'était une heure de cours, donc j'essaie que ça tienne dans une page [...] c'est élagué » ;
  4. Enfin, cette pratique traduit clairement un souci d’économie, d’efficacité, c’est-à-dire d’optimisation du travail : apprendre le mieux possible en un minimum de temps. Il s’agit d’être économe en évitant les actes d’apprentissage inutiles : « Après la première année tu n’as plus vraiment envie de bosser donc euh (rires), tu essaies de t'en sortir avec le moins d'efforts possibles, donc en résumant. Alors l'objectif c'est d'essayer d'apprendre les cours le plus efficacement possible, c'est-à-dire de retenir le maximum de choses, le mieux possible avec le minimum de temps et d'efforts, voilà !... c'est pourquoi je fais des résumés » {Étudiant, Père : Ingénieur conseil libéral, Mère : Acupuncteur homéopathe}.
‘« Je remets mon cours au propre généralement, ça me permet de le comprendre et de l’analyser en même temps. Et une fois qu’il est compris et analysé, généralement il est appris » ; « Je me fais mon propre cours (une fois que celui-ci est pris en notes), c’est-à-dire que je rédige chez moi mon cours , à moi, entre la ronéo et mes notes, je note ce qui est dit, pas dit, ou si je note des anomalies, etc. Mais généralement je refais mon cours, et à ce moment là c’est un cours très propre, nickel et puis normalement je travaille dessus, avec des bouquins en plus ».
« Je souligne généralement avec des crayons de couleur, des feutres, ils sont tout bariolés et je sais que en première année notamment, c'était assez particulier mais je savais que si j’oubliais telle ou telle couleur, comment expliquer ça, c'est pas évident, quand j'écrivais donc justement donc ma copie, si jamais j'oubliais un passage, je le savais forcément parce que au fur et à mesure que je le déroulais dans ma tête, je savais qu'il y avait telle et telle couleur à cet endroit et donc à partir de ce moment là je savais si j'oubliais quelque chose ou pas et ça me permet de bien visualiser [...] à force de lire, j'ai des couleurs différentes généralement pour chaque paragraphe, j'utilise une couleur différente, c'est une couleur choisie au hasard, ça me permet de... de découper mes paragraphes en fait, et de souligner les mots importants... »
« ça me permet de m'intéresser des fois quand je suis fatiguée parce qu’au niveau des yeux des fois je fatigue donc le fait qu’il y ait une couleur ça me permet aussi de me réveiller » {Étudiante, Père : Médecin généraliste, Mère : au foyer}.’

Cette remarque permet de rappeler utilement que les formes que prennent les manifestations de la mémoire et de la pensée sont fondamentalement inséparables des formes langagières dans-par lesquelles elles se réalisent, du matériau linguistique dans lequel elles s’objectivent. Car il ne faut pas oublier que souligner, découper, ordonner, classer, hiérarchiser, etc. des énoncés sur un support visuel extériorisé (sur le papier) sont autant d’actes langagiers de mise en forme de la pensée, autant d’activités graphiques de mise en ordre de ses propres idées : on pense, on mémorise dans et à travers des catégories langagières scripturales-graphiques qui rendent possibles une maîtrise réflexive, seconde, une manipulation explicite des opérations cognitives et langagières réalisées. Ce sont les interventions sur l’organisation et la hiérarchisation des énoncés, sur le sens qui, en elles-mêmes, par ces recours, sont l’objet de l’attention et de l’activité de mise en forme.

C’est par cet impératif visuel de la mémoire et de la pensée que s’explique, de surcroît, la fréquence relative des schématisations dans les apprentissages, des pratiques de mise en schéma des textes par lesquelles les différents énoncés font l’objet de manipulations réflexives et deviennent analysables du “dehors”. Forme graphique par excellence, le schéma, en optimisant le rapport visuel au texte, fait voir, montre, met au jour et permet d’appréhender tota simul des relations que le commentaire ne présente que successivement et ne peut que nouer (« pour des mécanismes vachement intriqués », « ce genre de choses quand c'est écrit en fait ça saute moins aux yeux » alors qu’avec le schéma « tout de suite je comprendrais mieux »). Là où les choses se perdent et se fondent dans la linéarité d’un texte, la mise en forme les rend immédiatement perceptibles et repérables en sorte que les séparer, les détacher, les décomposer, les dénouer, c’est également les structurer et les expliciter en manipulant du sens494.

‘« Des tableaux récapitulatifs... des schémas, ouais, ça peut arriver. C’est-à-dire que c'est assez agréable d'avoir un peu une synthèse donc par exemple je ne sais pas je pense à des cours que j'ai vus récemment sur euh l'action d'une hormone alors j'ai un tableau récapitulatif sur l'action, sur différentes cellules, ça me permet d'avoir un truc synthétique que je pourrai revoir plus rapidement [...] parfois c'est utile si on va rechercher un truc dans un cours, hop, j'ai un truc rapide, que je retrouve rapidement, synthétisé, clair » {Étudiante, Parents : Architectes}.
« Pour synthétiser un cours parce que le cours regroupe beaucoup de choses et puis qu’il faut avoir une vue d’ensemble, globale [...] un schéma, du point de vue visuel... c’est beaucoup plus clair que cinquante phrases qui sont à la suite ! » {Étudiante, Père : Ouvrier garnisseur, Mère : au foyer}.
« Je vais essayer de faire des tableaux des trucs comme ça [...] des flèches, des schémas avec des flèches et tout. C’est toujours pour essayer de structurer, [...] c’est pour essayer de faire un effort de mémoire qui est moins important. [...] c’est beaucoup plus visuel » ; « Je vais souligner quelque chose en rouge d’important, je vais souligner un titre en rouge, un mot important ou une idée importante » {Étudiant, Père : Chirurgien gynécologue, Mère : sans emploi, Propriétaires immobiliers}.
« Quand il y a des mécanismes importants de régulations, des choses comme ça, j’aime bien que ça soit clair ». Pourquoi faire un graphique ? « Pour que ça soit clair dans ma tête et que le jour de l’épreuve j’ai ça, j’ai ce schéma qui me revienne et qui finalement résume un peu. C’est plus clair que d’écrire » {Étudiante, Père : Professeur de biochimie, Mère : au foyer}.
« La grossesse extra-utérine [...] c'est pas un cours qui peut vraiment se représenter de manière visuelle. Par contre tu as un cours sur le fibrome, donc le fibrome si tu veux c'est une tumeur de l'utérus, donc déjà dans la partie anatamo-pathologique, c'est-à-dire pour essayer de définir où c'est, comment c'est, etc., bon ben là tu te fais des schémas, là c'est beaucoup plus efficace en terme de rendement mnésique (rires) » {Étudiant, Père : kinésithérapeute, Mère : Sténodactylographe}.
« Je ne pouvais pas apprendre l’anatomie en texte, j’apprenais essentiellement mon schéma et après je lisais le texte en essayant de bien repérer parce que c’est vrai que le trajet d’une artère, on a beau dire elle passe en dedans, en dehors, si on la visualise pas sur le schéma, c’est un peu difficile à retenir, à s’imaginer » ; « s’il y a une idée compliquée, j’essaie de la décortiquer au maximum, de voir la structure de la phrase. Si la structure de la phrase est trop complexe à ce moment là de la simplifier » ; « une fois qu’elle (l’idée compliquée) est sous graphique on voit, on remarque le dessin donc c’est peut-être plus clair pour l’esprit. Elle est moins abstraite, elle est plus concrète » {Étudiante, Père : Ouvrier soudeur, Mère : Assistante maternelle}.’

Notes
494.

GOODY Jack, La Raison graphique, Paris, Minuit, 1979, 274 pages.