Modélisation de cette souffrance.

Ce travail élaboratif a consisté à m’interroger sur les conséquences psychiques d’un chômage prolongé chez des personnes de faible niveau de qualification (V ou VI), ayant travaillé de manière régulière pendant au moins une dizaine d’années et confrontées à une rupture durable de leur parcours professionnel (plus de deux ans de chômage). Le coeur de cette recherche était l’analyse de la séparation d’avec le monde du travail, et la proposition d’hypothèses sur ce que nous apprennent les différentes formes de souffrance des chômeurs sur les fonctions tenues antérieurement et silencieusement par une activité professionnelle dans l’organisation psychique.

La modélisation proposée1 reposait sur une approche phénoménologique des privations et distorsions environnementales provoquées par le chômage et analysait la désorganisation psychique qui en résulte, grâce au corpus théorique psychanalytique. La perte d’activité professionnelle était décrite comme une attaque du Moi sur plusieurs fronts, attaque le privant à la fois des « aliments » indispensables à son fonctionnement, mais aussi de la possibilité de s’organiser contre la privation et d’espérer un dépassement de la crise. Je mettais en évidence, par analogie aux besoins du Moi décrit par D.W. Winnicott chez le nourrisson, les besoins du Moi d’un adulte et le rôle régulateur de l’environnement professionnel pour leur satisfaction et le maintien de l’équilibre psychique.

Cette modélisation montrait en fait que le chômage est d’abord une réduction considérable des occasions d’entrer en contact avec l’environnement matériel et humain, et d’agir sur lui, à cause de la disparition de l’activité professionnelle mais aussi de celle des activités extra-professionnelles qui y succède très souvent. Cette réduction des stimulations prive le sujet de contextes habituellement utilisés pour étayer ses fonctions défensives, narcissiques et élaboratives. Le travail est en effet à la fois un lieu de décharge et de canalisation de l’énergie interne, une situation de renforcement de l’estime de soi grâce aux échanges et au sentiment d’utilité qu’il procure, un cadre offrant par le partage de codes communs des repères pour penser le monde et sa vie.

Elle expliquait d’autre part que s’ajoute à ces diverses ruptures des étayages des fonctions moïques, une confrontation à un environnement disqualifiant. Le chômeur doit non seulement supporter la perte d’une activité capitale pour son équilibre, mais aussi les remarques et reproches qui accompagnent cette perte. Ce contexte environnemental renforce la mise à mal des fonctions défensives, narcissiques et élaboratives citées précédemment. Il accroît la désorganisation interne, confirme le sentiment d’incapacité et n’offre aucun cadre pour contenir et élaborer la crise.

Cette étude m’amenait à souligner très brièvement en conclusion que les dispositifs d’insertion pouvaient être partie constituante de l’environnement rejetant. J’invitais à être attentif à des fonctionnements institutionnels qui augmentent la difficulté à gérer le chômage, en individualisant la responsabilité de la perte et en plaçant les chômeurs au coeur d’un paradoxe en les enjoignant à trouver un emploi n’existant plus en nombre suffisant pour tous.

Notes
1.

Je reviendrai précisément en partie 2 sur cette modélisation rappelée très brièvement ici.