Les Alternatives à l’Emploi

L’analyse des fonctions de régulation psychique tenues par l’activité professionnelle offre les bases nécessaires pour imaginer et évaluer des dispositifs alternatifs à l’emploi pouvant tenir — au moins temporairement — des fonctions d’équilibration similaires.

Repérage et analyse en cours de modèles très divers de lutte contre l’exclusion

Entre contraintes économiques, valeurs sociales et résistances au changement :

la difficulté de créer de nouveaux espaces sociaux et le foisonnement des questions en suspens.

Des propositions... et leurs limites
Activités occupationnelles
Apports d’aliments sensitivo-sensoriels indispensables à l’équilibre psychique.
Réinscription dans une logique du faire.
Proposition d’un cadre spatio-temporel structurant.
Sortie de l’isolement.
Comment se réaliser dans un travail fictif ou ne correspondant pas à ses aspirations ?
Limite ambiguë entre l’utile et l’inutile, entre des emplois créés artificiellement et les réels besoins d’une société.
Jardins collectifs, ateliers de couture, réseaux d’échange de compétences
Réponse à des besoins matériels immédiats par une production utile.
Réinscription dans un réseau relationnel d’échange.
Repères spatio-temporels retrouvés.
Cela peut-il suffire à se sentir membre à part entière d’une société ?
Bénévolat, insertion par l’aide humanitaire
Réinscription dans un contrat narcissique, valorisation par le don et l’échange.
Issue à la logique de l’absurde par la découverte de nouvelles valeurs
Comment valoriser des activités non rémunérées lorsque la survie matérielle n’est pas assurée ?
La question d’un revenu d’existence.
Université du temps libéré
Valorisation des périodes de chômage par la culture et la formation.
Existence et épanouissement hors activité professionnelle.
Le temps libéré ne peut être imposé, il ne peut qu’être choisi.
Comment le valoriser dans une société où le travail, objet rare, est de plus en plus convoité ?
L’éducation en question : préparation à une vie professionnelle ou à autre chose ?
Mouvements associatifs et militants, les maisons de chômeurs
Lieu de rencontre et d’échange.
Découverte de nouveaux objectifs de vie, sortie de l’absurde.
Formes nouvelles de citoyenneté, valorisation de la vie politique.
Comment mobiliser autour d’un débat lorsque la précarité se vit au quotidien ?

Si un tel tableau peut présenter quelque intérêt pour une réflexion sociale sur des stratégies institutionnelles et comportementales plus ou moins pertinentes par rapport au problème de l’exclusion, il s’est avéré relativement vite une impasse par rapport à la problématique que je souhaitais travailler. Cherchant activement des activités capables de colmater la blessure faite par le chômage, je n’ai pu le comprendre, dans un premier temps, que comme la démonstration de l’impossibilité à trouver une alternative satisfaisante, les perspectives envisagées présentant toujours des limites et ne parvenant pas à assumer toutes les fonctions tenues antérieurement par l’emploi.

L’élargissement de mes recherches à la lecture d’ouvrages (politiques, économiques, historiques) sur la disparition du travail et sur l’existence d’autres objets pouvant tenir des fonctions sociales équivalentes, m’a également rapidement confrontée à la même déception. Si leurs propos m’assuraient d’abord d’une communauté de point de vue entre leur problématique et la mienne, ils ne conduisaient jamais à la description de solutions alternatives concrètes.3

Tiraillée entre l’échec de la recherche d’objets alternatifs au travail et le refus de répondre par la négative à la possibilité de maintenir un équilibre malgré le chômage, ma recherche a longuement piétiné. J’analyserai dans la partie méthodologique en quoi ce piétinement a correspondu à une résistance personnelle bloquant mon cheminement élaboratif.

Signalons pour l’heure que ce refus était d’abord la position d’une psychologue clinicienne confrontée à la souffrance de chômeurs, constatant son impuissance à accompagner une grande partie d’entre eux vers l’emploi et refusant d’admettre que l’équilibre psychique peut être irrémédiablement remis en cause par l’absence de travail. Mon activité dans une COTOREP*4 avait conforté cette position en m’amenant à rencontrer quotidiennement un public ne pouvant définitivement plus exercer une activité professionnelle pour des raisons médicales, et pour qui il n’était pas possible d’écarter la question d’un autre équilibre. Mon refus correspondait également à la volonté de ne pas ajouter à une situation difficile, une pression supplémentaire par l’injonction paradoxale de trouver un emploi.

Ma quête d’objets alternatifs au travail m’avait d’autre part amenée à réaliser que si le travail tient actuellement, pour un grand nombre d’individus, des fonctions d’équilibration psychique importante, d’autres modèles culturels contemporains ou anciens, mais également des choix de vie individuels hors travail dans notre société, permettent de relativiser cette fonction étayante. Ces modèles montrent en effet que l’équilibre psychique est possible sans l’étayage apporté par une activité professionnelle. Le nouvel équilibre trouvé par des milliers de retraités en est une autre preuve.

Il a été nécessaire pour sortir de cette impasse de réussir à poser un autre regard sur l’ensemble du matériel recueilli : informations sur les dispositifs d’insertion, témoignages des chômeurs, ouvrages sur le travail. Ce changement de point de vue a résulté de plusieurs réflexions qui ont progressivement permis de formuler des hypothèses, de les affiner et de les compléter.

Notes
3.

Le contenu de ces ouvrages qui a joué un rôle important pour l’ensemble de mon travail est présenté en chapitre III.

4.

Les mots suivis d’un astérisque sont définis dans le glossaire.